La clique dorée. Emile Gaboriau
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу La clique dorée - Emile Gaboriau страница 15
Un amour noble et pur tel que le sien, reposant sur une confiance absolue, suffit à remplir la vie, car il enchante le présent et dore d'espérances radieuses les lointains horizons de l'avenir.
Mais plus il aimait Mlle Henriette, plus Daniel se croyait tenu de la mériter, de se montrer digne d'elle.
Ambitieux, il ne l'était pas. Il avait embrassé une profession qui lui plaisait, il possédait dix ou douze mille livres de rentes qui, ajoutées à son traitement, lui assuraient une modeste aisance; que souhaiter de plus? Pour lui, rien.
Mais Mlle Henriette portait un grand nom, elle était la fille d'un homme qui avait occupé une grande situation, enfin elle était très riche, et la mariât-on avec ses seuls biens propres, elle aurait encore sept ou huit cent mille francs de dot.
Eh bien! Daniel ne voulait pas que le jour béni où elle lui accorderait sa main, Mlle de la Ville-Handry eût rien à regretter ou à désirer.
De là un labeur obstiné, incessant, une volonté chaque matin plus forte que la veille de conquérir un de ces noms célèbres qui écrasent les plus vieux parchemins, une de ces positions qui, à l'amour d'une femme pour son mari, ajoutent la fierté.
Or le moment était propice à son ambition, au lendemain de la transformation de notre flotte, pendant que la marine militaire en est encore aux tâtonnements et aux expériences, attendant, ce semble, la main d'un homme de génie.
Pourquoi ne serait-il pas cet homme? Soutenu par la pensée d'Henriette, il n'apercevait rien d'impossible, il n'imaginait pas d'obstacle qu'il ne pût surmonter.
– Vous voyez ce b… là, avec son petit air calme, disait le vieil amiral Penhoël à ses jeunes officiers, eh bien! il vous damera le pion à tous…
Donc, ainsi que d'ordinaire, Daniel était enfermé dans son cabinet, achevant un travail que lui avait demandé le ministre, lorsque le valet de pied de l'hôtel de la Ville-Handry lui remit la lettre de Mlle Henriette.
D'un geste fiévreux, il rompit le cachet, et ayant lu d'un coup d'œil les deux lignes de la lettre, il devint fort pâle.
Pour que Mlle Henriette, toujours si réservée, hasardât cette démarche de lui écrire, pour qu'elle lui écrivît ces deux phrases si pressantes en leur brièveté, il fallait quelque événement extraordinaire.
– Est-il donc arrivé un malheur à l'hôtel? demanda-t-il au domestique.
– Non, monsieur, pas que je sache.
– M. le comte n'est pas malade?
– Non, monsieur.
– Et Mademoiselle?
– Mademoiselle est en parfaite santé.
Daniel respira.
– Courez prévenir mademoiselle que je vous suis, dit-il au domestique, et courez vite, si vous ne voulez pas que je sois arrivé avant vous.
Le valet sorti, Daniel, en un tour de main, fut habillé et s'élança dehors.
Et tout en remontant d'un pas rapide la rue de Varennes:
– Je me serai alarmé trop tôt, pensait-il, essayant de résister à l'obsession des plus noirs pressentiments, elle a peut-être simplement quelque commission à me donner…
Non, ce n'était pas cela, il le comprit bien quand, introduit au salon, il aperçut Mlle Henriette assise près de la cheminée, plus blanche que sa collerette, les yeux rougis et gonflés par les larmes.
– Qu'avez-vous, s'écria-t-il, sans attendre seulement que la porte fût refermée, que vous est-il arrivé?..
– Une chose terrible, M. Daniel.
– Parlez… vous me faites peur.
– Mon père veut se remarier.
D'abord Daniel fut abasourdi. Puis, se rappelant soudain toutes les circonstances de la métamorphose du comte:
– Oh! fit-il sur trois tons différents, oh! oh! cela explique tout…
Mais Mlle Henriette lui coupa la parole, et, dominant son émotion, d'une voix brève, elle lui rapporta textuellement la conversation du comte de la Ville-Handry.
Dès qu'elle eut terminé:
– Vous avez deviné juste, mademoiselle, prononça Daniel; c'est bien un marché que M. votre père vous propose.
– Ah! c'est affreux!..
– Il a voulu bien vous faire entendre que de votre consentement à son mariage dépend son consentement…
Stupéfait de ce qu'il allait dire, il s'arrêta court, et ce fut la jeune fille qui ajouta:
– Au nôtre, n'est-ce pas? dit-elle hardiment, M. Daniel, au nôtre. Oui, voilà ce que j'avais compris, voilà pourquoi je vous demande un conseil.
Malheureux!.. c'était lui demander de dicter sa destinée.
– Je crois que vous devez consentir, balbutia-t-il.
Vibrante d'indignation, elle se dressa:
– Jamais! s'écria-t-elle, jamais!
Sous ce coup terrible, Daniel chancela… Jamais!.. Il vit toutes les espérances de sa vie anéanties, son bonheur détruit, Henriette perdue pour lui…
Mais l'imminence même du péril lui eut bientôt rendu son énergie: il se roidit contre la douleur, et d'une voix presque calme:
– Je vous en conjure, reprit-il, laissez-moi vous expliquer le conseil que je vous donne… Croyez-moi: ce n'est pas un consentement que désire votre père; vous ne sauriez vous passer du sien, pour vous marier, lui n'a pas besoin du vôtre. Il n'y a pas d'article de loi qui autorise les enfants à s'opposer aux… folies de leurs parents. Ce que veut M. de la Ville-Handry, c'est votre approbation tacite, la certitude d'un accueil honorable pour sa seconde femme… Si vous refusez, il passera outre, sans souci de vos répugnances…
– Oh!..
– Ce n'est que trop sûr, hélas! S'il vous a parlé de ses projets, c'est qu'ils sont irrévocables. Le seul résultat de vos résistances sera notre séparation. Lui vous pardonnerait peut-être encore, mais elle!.. Espérez-vous qu'elle n'abusera pas contre vous de son ascendant sur votre père?.. Qui peut prévoir à quelles extrémités se porteront ses rancunes!.. Et ce doit être une femme dangereuse, Henriette, capable de tout…
– Pourquoi?
Il eut une seconde d'indécision, n'osant dire toute sa pensée, puis enfin, lentement, et comme s'il eût été obligé de chercher ses mots:
– Parce que, répondit-il, ce mariage ne peut être qu'une spéculation effrontée… Votre père est immensément riche, c'est à sa fortune qu'on en veut…
Si plausibles étaient toutes les raisons de Daniel, il plaidait sa cause avec tant d'ardeur,