Le magasin d'antiquités. Tome I. Чарльз Диккенс
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«Ce drôle m'assassinera un de ces jours. S'il l'eût osé, il l'aurait fait déjà depuis longtemps.
– Bah! dit l'autre; c'est vous plutôt qui, si vous le pouviez, livreriez ma tête par un faux serment; nous savons bien cela.»
Avant de parler ainsi, le jeune homme s'était tourné vers moi et m'avait regardé fixement en fronçant les sourcils.
«Ma foi, dit le vieillard, je ne m'en défends pas. Si les serments, les prières ou les paroles pouvaient me débarrasser de vous, je le ferais, et votre mort serait pour moi un grand soulagement.
– Je le sais, c'est ce que je vous disais moi-même tout à l'heure, n'est-il pas vrai? Mais, ni serments, ni prières, ni paroles ne suffisent pour me tuer. En conséquence, je vis et je veux vivre.
– Et sa mère n'est plus!.. s'écria le vieillard, joignant ses mains avec désespoir et levant ses yeux au ciel; voilà donc la justice de Dieu!»
Le jeune homme était debout, frappant du pied contre une chaise et le regardant avec un ricanement de dédain. Il pouvait avoir environ vingt et un ans; il était bien fait et avait certainement la taille élégante, mais l'expression de sa physionomie n'était pas de nature à lui gagner les coeurs: car elle offrait un. caractère de libertinage et d'insolence vraiment repoussant, en harmonie d'ailleurs avec ses manières et son costume.
«Justice ou non, dit-il, je suis ici et j'y resterai jusqu'à ce que je juge convenable de m'en aller, à moins que vous n'appeliez main-forte pour me faire mettre dehors: mais vous n'en viendrez pas là, je le sais. Je vous répète que je veux voir ma soeur.
– Votre soeur!.. dit le vieillard avec amertume.
– Sans doute. Vous ne pouvez détruire les liens de parenté. Si cela était en votre pouvoir, il y a longtemps que vous l'eussiez fait. Je veux voir ma soeur, que vous tenez claquemurée ici, empoisonnant son coeur avec vos recettes mystérieuses et faisant parade de votre affection pour elle, afin de la tuer de travail, et de grappiller quelques schellings de plus que vous ajoutez chaque semaine à votre riche magot. Je veux la voir, et je la verrai.
– Voilà, s'écria le vieillard en se tournant vers moi, voilà un beau moraliste pour parler d'empoisonner les coeurs! Voilà un esprit généreux pour se moquer des schellings grappillés! Un misérable, monsieur, qui a perdu tous ses droits, non-seulement sur ceux qui ont le malheur d'être liés à lui par le sang, mais encore sur la société, qui ne le connaît que par ses méfaits. Un menteur, en outre! ajouta-t-il en baissant la voix et se rapprochant de moi; car il sait combien Nelly m'est chère, et il veut me blesser dans mon honneur et mon affection parce qu'il voit ici un étranger.»
Le jeune homme releva ce dernier mot.
«Les étrangers ne sont rien pour moi, grand-père, et je me flatte de n'être rien pour eux. Le meilleur parti qu'ils aient à prendre, c'est de s'occuper de leurs affaires et de me laisser le soin des miennes. Il y a là dehors un de mes amis qui m'attend; et comme, selon toute apparence, j'aurai à rester ici quelque temps, je vais, avec votre permission, le faire entrer.»
En parlant ainsi, il fit un pas vers la porte, et, regardant dans la rue, il adressa de la main plusieurs signes à une personne qu'on ne voyait pas; celle-ci, à en juger par les marques d'impatience qui accompagnaient les appels, ne paraissait pas très-disposée à se déterminer à venir. Enfin arriva, de l'autre côté de la rue, sous le prétexte assez gauche de passer là par hasard, un individu, remarquable par son élégance malpropre; après avoir fait de nombreuses difficultés et force mouvements de tête comme pour se défendre de l'invitation, il se décida à traverser la rue et entra dans la boutique.
«Là! dit le jeune homme le poussant devant; voici Dick Swiveller.
Asseyez-vous, Swiveller.
– Mais je ne sais pas si cela fait plaisir au vieux, dit M. Swiveller à demi-voix.
– Asseyez-vous,» répéta son compagnon.
M. Swiveller obéit, et regardant autour de lui avec un sourira câlin, il fit observer que la semaine passée avait été bonne pour les canards, et que celle-ci était bonne pour la poussière: il ajouta que, tandis qu'il attendait auprès de la lanterne, au coin de la rue, il avait vu un cochon avec de la paille au groin sortir d'un débit de tabac; d'où il avait auguré qu'on ne tarderait pas à avoir une autre semaine favorable aux canards, et que la pluie ne se ferait pas attendre; il trouva ensuite occasion de s'excuser de la négligence qu'on pouvait remarquer dans sa toilette: «C'est que, voyez-vous, la nuit dernière, dit-il, j'ai attrapé un fameux coup de soleil.» Expression par laquelle il instruisait la compagnie le plus délicatement possible qu'il s'était enivré complètement.
«Mais qu'importe! dit M. Swiveller avec un soupir; qu'importe, pourvu que le feu de l'âme s'enflamme à la torche de la joyeuse fraternité des convives, pourvu qu'il ne tombe pas une plume de l'aile de l'amitié! Qu'importe, pourvu que l'esprit s'épanche dans des flots de vin rosé, et que le moment présent soit pour le moins le plus heureux de notre existence!
– Vous n'avez pas besoin de faire ici le président de banquet, lui dit son ami en aparté.
– Fred! s'écria M. Swiveller en se frappant légèrement le nez du bout du doigt; un mot suffit au sage. Fred, on peut être bon et heureux sans être riche. Pas une syllabe de plus! Je connais mon rôle: trop parler nuit. Seulement, Fred, un petit mot à l'oreille: le vieux est-il bien disposé?
– Qu'est-ce que cela vous fait? répliqua son ami.
– Tout cela est bel et bon, dit M. Swiveller; mais prudence est mère de sûreté.»
En même temps il cligna de l'oeil, comme s'il avait à garder quelque secret d'importance; et, croisant ses bras en se renversant sur le dossier de sa chaise, il se mit à contempler le plafond avec une imperturbable gravité.
D'après tout ce qui venait de se passer, on pouvait raisonnablement soupçonner que M. Swiveller n'était point encore parfaitement remis du fameux coup de soleil auquel il avait fait allusion; mais, quand ses paroles seules n'auraient pas suffi pour éveiller ce soupçon, ses cheveux, roides comme du fil d'archal, ses yeux hébétés, et la couleur livide de son visage ne témoignaient que trop des désordres de la nuit passée. Comme il l'avait fait remarquer lui-même, son costume n'était pas parfaitement soigné, ou plutôt il était d'un débraillé qui laissait supposer qu'il s'était couché tout habillé. Ce costume consistait en un habit brun, garni par devant d'une grande quantité de boutons de cuivre, mais n'en ayant qu'un seul par derrière; d'une cravate à carreaux, de couleur voyante; d'un gilet écossais; d'un pantalon blanc sale, et d'un chapeau déformé, que M. Swiveller portait sens devant derrière pour cacher un trou dans le bord. Le devant de son habit était orné d'une poche extérieure d'où sortait le coin le plus propre d'un grand vilain mouchoir. Les poignets tout noircis de sa chemise étaient tirés le plus possible et prétentieusement relevés par-dessus le bord de ses manches; il n'avait pas de gants et tenait une canne jaune ayant pour pomme une main en os qui semblait porter une bague au petit doigt et saisir à poignée une boule noire. C'était avec tous ces avantages personnels, auxquels il convient d'ajouter une forte odeur de fumée de tabac et un extérieur crasseux, que M. Swiveller s'était renversé sur son siège, les yeux fixés au plafond; de temps à autre, mettant sa voix au ton, il régalait la compagnie de quelques mesures d'un air mélancolique, puis soudain, au milieu même d'une note, il retombait dans son premier silence.
Le vieillard s'était assis; les mains croisées, il regardait tour à tour son petit-fils et son étrange compagnon, comme s'il n'avait plus aucune autorité et qu'il