Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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vous y venez sans masque, il ira à vous; si vous y venez masqué, vous le reconnaîtrez à un ruban violet qu'il portera sur l'épaule gauche. Le mot d'ordre est: Sésame, ouvre-toi! Prononcez-le hardiment, et vous verrez s'ouvrir une caverne bien autrement merveilleuse que celle d'Ali-Baba.»

      – À la bonne heure! dit d'Harmental; et si le génie au ruban violet tient seulement la moitié de sa promesse, ma foi! il a trouvé son homme!

      Chapitre 3

      Le chevalier Raoul d'Harmental, avec qui, avant de passer outre, il est nécessaire que nos lecteurs fassent plus ample connaissance, était l'unique rejeton d'une des meilleures familles du Nivernais. Quoique cette famille n'eût jamais joué un rôle important dans l'histoire, elle ne manquait pas cependant d'une certaine illustration, qu'elle avait acquise, soit par elle-même, soit par ses alliances. Ainsi, le père du chevalier, le sire Gaston d'Harmental, étant venu en 1682 à Paris, et ayant eu la fantaisie de monter dans les carrosses du roi, avait fait, haut la main, ses preuves de 1399, opération héraldique qui, s'il faut en croire un mémoire du parlement, aurait fort embarrassé plus d'un duc et pair. D'un autre côté, son oncle maternel, monsieur de Torigny, ayant été nommé chevalier de l'Ordre, à la promotion de 1694, avait avoué, en faisant reconnaître ses seize quartiers que le plus beau de son visage, comme on le disait alors, était fait des d'Harmental, avec qui ses ancêtres étaient en alliance depuis trois cents ans. En voilà donc assez pour satisfaire aux exigences aristocratiques de l'époque sur laquelle nous écrivons.

      Le chevalier n'était ni pauvre ni riche, c'est-à-dire que son père en mourant lui avait laissé une terre située dans les environs de Nevers, laquelle lui rapportait quelque chose comme vingt-cinq ou trente mille livres de rente.

      C'était de quoi vivre fort grandement dans sa province; mais le chevalier avait reçu une excellente éducation, et il se sentait une grande ambition dans le cœur; il avait donc, à sa majorité, c'est-à-dire vers 1711, quitté sa province, et était accouru à Paris.

      Sa première visite avait été pour le comte de Torigny, sur lequel il comptait fort pour le mettre en cour. Malheureusement, à cette époque, le comte de Torigny n'y était pas lui-même. Mais comme il se souvenait toujours avec grand plaisir, ainsi que nous l'avons dit, de la famille d'Harmental, il recommanda son neveu au chevalier de Villarceaux, et le chevalier de Villarceaux qui n'avait rien à refuser à son ami le comte de Torigny, conduisit le jeune homme chez madame de Maintenon.

      Madame de Maintenon avait une qualité: c'était d'être restée l'amie de ses anciens amants. Elle reçut parfaitement le chevalier d'Harmental, grâce aux vieux souvenirs qui le recommandaient auprès d'elle, et quelques jours après le maréchal de Villars étant venu lui faire sa cour, elle lui dit quelques mots si pressants en faveur de son jeune protégé, que le maréchal, enchanté de trouver une occasion d'être agréable à cette reine in partibus, répondit qu'à compter de cette heure il attachait le chevalier d'Harmental à sa maison militaire, et s'empresserait de lui offrir toutes les occasions de justifier la bonne opinion que son auguste protectrice voulait bien avoir de lui.

      Ce fut une grande joie pour le chevalier que de se voir ouvrir une pareille porte. La campagne qui allait avoir lieu était définitive.

      Louis XIV en était arrivé à la dernière période de son règne, à l'époque des revers. Tallard et Marsin avaient été battus à Hochstett, Villeroy à Ramillies, et Villars lui-même, le héros de Friedlingen, venait de perdre la fameuse bataille de Malplaquet contre Marlborough et Eugène. L'Europe, un instant étouffée sous la main de Colbert et de Louvois, réagissait tout entière contre la France. La situation des affaires était extrême; le roi, comme un malade désespéré qui change à chaque heure de médecin, changeait chaque jour de ministres. Mais chaque essai nouveau révélait une impuissance nouvelle. La France ne pouvait plus soutenir la guerre et ne pouvait pas parvenir à faire la paix. Vainement elle offrait d'abandonner l'Espagne et de restreindre ses frontières: ce n'était point assez d'humiliation. On exigeait que le roi donnât passage aux armées ennemies à travers la France pour aller chasser son petit-fils du trône de Charles II, et qu'il livrât comme places de sûreté Cambrai, Metz, La Rochelle et Bayonne, à moins qu'il n'aimât mieux, dans un an pour tout délai, le détrôner lui-même à force ouverte. Voilà à quelles conditions une trêve était accordée au vainqueur des Dunes, de Senef, de Fleurus, de Steinkerque et de la Marsaille; à celui qui, jusque-là, avait tenu dans le pan de son manteau royal la paix et la guerre; à celui qui s'intitulait le distributeur des couronnes, le châtieur des nations, le grand, l'immortel; à celui enfin pour lequel, depuis un demi-siècle, on taillait le marbre, on fondait le bronze, on mesurait l'alexandrin, on épuisait l'encens.

      Louis XIV avait pleuré en plein conseil.

      Ces larmes avaient produit une armée, et cette armée avait été donnée à Villars.

      Villars marcha droit à l'ennemi, dont le camp était à Denain, et qui, les yeux fixés sur l'agonie de la France, s'endormait dans sa sécurité. Jamais responsabilité plus grande n'avait chargé une tête. Sur un coup de dé, Villars allait jouer le salut de la France.

      Les alliés avaient établi, entre Denain et Marchiennes, une ligne de fortifications que, dans leur orgueil anticipé, Albemarle et Eugène appelaient la grande route de Paris. Villars résolut d'enlever Denain par surprise, et, Albemarle battu, de battre Eugène.

      Il fallait, pour réussir dans une si audacieuse entreprise, tromper non seulement l'armée ennemie, mais l'armée française, le succès de ce coup de main étant dans son impossibilité même.

      Villars proclama bien haut son intention de forcer les lignes de Landrecies. Une nuit, à une heure convenue toute son armée s'ébranle et marche dans la direction de cette ville. Tout à coup l'ordre est donné d'obliquer à gauche; le génie jette trois ponts sur l'Escaut. Villars franchit le fleuve sans obstacle, se jette dans les marais que l'on croyait impraticables, et où le soldat s'avance ayant de l'eau jusqu'à la ceinture; il marche droit aux premières redoutes, et les emporte presque sans coup férir, s'empare successivement d'une lieue de fortifications, atteint Denain, franchit le fossé qui l'entoure, pénètre dans la ville, et, en arrivant sur la place, trouve son jeune protégé, le chevalier d'Harmental, qui lui présente l'épée d'Albemarle, qu'il venait de faire prisonnier.

      En ce moment, on annonce l'arrivée d'Eugène. Villars se retourne, atteint avant lui le pont sur lequel ce dernier doit passer, s'en empare et attend. Là, le véritable combat s'engage, car la prise de Denain n'a été qu'une escarmouche. Eugène pousse attaque sur attaque, revient sept fois à la tête de ce pont briser ses meilleures troupes contre l'artillerie qui le protège et contre les baïonnettes qui le défendent; enfin ayant ses habits criblés de balles, tout sanglant de deux blessures, monte sur son troisième cheval, et le vainqueur de Hochstett et de Malplaquet se retire en pleurant de rage et en mordant ses gants de colère. En six heures tout a changé de face: la France est sauvée, et Louis XIV est toujours le grand roi.

      D'Harmental s'était conduit en homme qui d'un seul coup veut gagner ses éperons. Villars, en le voyant tout couvert de sang et de poussière, se rappela par qui il avait été recommandé, et le fit approcher de lui, pendant qu'au milieu du champ de bataille même il écrivait sur un tambour le résultat de la journée. En voyant d'Harmental, Villars interrompit sa lettre.

      – Êtes-vous blessé? lui demanda-t-il.

      – Oui, monsieur le maréchal, mais si légèrement que cela ne vaut pas la peine d'en parler.

      – Vous sentez-vous la force de faire soixante lieues à cheval à franc étrier sans vous reposer une heure, une minute, une seconde?

      – Je me sens capable de tout, monsieur le maréchal, pour le service du roi et le vôtre.

      – Alors,

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