Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre
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Trois mois il avait été l'homme le plus heureux du monde; pendant trois mois il avait oublié Saint-Cyr, les Tuileries, le Palais-Royal; il ne savait plus s'il y avait une madame de Maintenon, un roi, un régent; il savait qu'il fait bon vivre quand on est aimé, et il ne voyait pas pourquoi il ne vivrait pas et il n'aimerait pas toujours.
Il en était là de son rêve lorsque, ainsi que nous l'avons dit, soupant avec son ami le baron de Valef dans une honorable maison de la rue Saint-Honoré, il avait été tout à coup brutalement réveillé par Lafare. Les amoureux ont, en général, le réveil mauvais, et l'on a vu que, sous ce rapport, d'Harmental n'était pas plus endurant que les autres. C'était, au reste, d'autant plus pardonnable au chevalier qu'il croyait aimer véritablement, et que, dans sa bonne foi toute juvénile, il pensait que rien ne pourrait reprendre dans son cœur la place de cet amour; c'était un reste de préjugé provincial qu'il avait apporté des environs de Nevers. Aussi, comme nous l'avons vu, la lettre si étrange, mais du moins si franche, de madame d'Averne, au lieu de lui inspirer l'admiration qu'elle méritait à cette folle époque, l'avait tout d'abord accablé. C'est le propre de chaque douleur qui nous arrive de réveiller toutes les douleurs passées, que l'on croyait disparues et qui n'étaient qu'endormies. L'âme a ses cicatrices comme le corps, et elles ne se ferment jamais si bien qu'une blessure nouvelle ne les puisse rouvrir. D'Harmental se retrouva ambitieux; la perte de sa maîtresse lui avait rappelé la perte de son régiment.
Aussi ne fallait-il rien moins que la seconde lettre si inattendue et si mystérieuse, pour faire quelque diversion à la douleur du chevalier. Un amoureux de nos jours l'eût jetée avec dédain loin de lui, et se serait méprisé lui-même, s'il n'avait pas creusé sa douleur de manière à s'en faire, pour huit jours au moins, une pâle et poétique mélancolie; mais un amoureux de la régence était bien autrement accommodant. Le suicide n'était pas encore découvert, et l'on ne se noyait alors, quand d'aventure on tombait à l'eau, que si l'on ne trouvait pas sous sa main la moindre petite paille où se retenir.
D'Harmental n'affecta donc pas la fatuité de la tristesse. Il décida, en soupirant, il est vrai, qu'il irait au bal de l'opéra, et, pour un amant trahi d'une manière si imprévue et si cruelle, c'était déjà beaucoup.
Mais, il faut le dire à la honte de notre pauvre espèce, ce qui le porta surtout à cette philosophique détermination, c'est que la seconde lettre, celle où on lui promettait de si grandes merveilles, était d'une écriture de femme
Chapitre 4
Les bals de l'Opéra étaient alors dans toute leur fureur. C'était une invention contemporaine du chevalier de Bouillon, à qui il n'avait fallu rien moins que le service qu'il venait de rendre ainsi à la société dissipée de ce temps-là pour se faire pardonner le titre de prince d'Auvergne, qu'il avait pris on ne savait trop pourquoi. C'était donc lui qui avait inventé ce double plancher qui met le parterre au niveau du théâtre, et le régent, juste appréciateur de toute belle invention, lui avait accordé, pour le récompenser de celle-là, une pension de six mille livres. C'était quatre fois ce que le grand roi donnait à Corneille.
Cette belle salle, à l'architecture riche et grave, que le cardinal de Richelieu avait inaugurée par sa Mirame, où Lulli et Quinault avaient fait représenter leurs pastorales et où Molière avait joué lui-même ses principaux chefs-d'œuvre, était donc ce soir-là le rendez-vous de tout ce que la cour avait de noble, de riche et d'élégant. D'Harmental, par un sentiment de dépit bien naturel dans sa situation, avait donné un soin plus grand que d'habitude encore à sa toilette. Aussi arriva-t-il comme la salle était déjà pleine. Il en résulta qu'un instant il eut la crainte que le masque au ruban violet ne pût le rejoindre, attendu que le génie inconnu avait eu la négligence de ne point lui assigner un lieu de rendez-vous. Il se félicita alors d'être venu à visage découvert, résolution qui, pour le dire en passant, annonçait de sa part une grande sécurité dans la discrétion de ses adversaires dont un mot l'eût envoyé devant le parlement ou tout au moins à la Bastille; mais telle était la confiance que les gentilshommes avaient réciproquement à cette époque dans leur loyauté, qu'après avoir passé le matin son épée à travers le corps de l'un des favoris du régent, le chevalier venait, sans hésitation aucune, chercher aventure au Palais-Royal.
La première personne qu'il aperçut fut le jeune duc de Richelieu, que son nom, ses aventures, son élégance et peut-être ses indiscrétions, commençaient à mettre si fort à la mode. On assurait que deux princesses du sang se disputaient alors son amour, ce qui n'empêchait pas mesdames de Nesle et de Polignac de se battre au pistolet pour lui, et madame de Sabran, madame de Villars, madame de Mouchy et madame de Tencin de se partager son cœur.
Il venait de rejoindre le marquis de Canillac, un des roués du régent, qu'à cause de l'apparence rigide qu'il affectait, Son Altesse appelait son Mentor. Richelieu commençait à raconter à Canillac une histoire tout haut et avec de grands éclats. Le chevalier connaissait le duc, mais pas assez pour arriver au milieu d'une conversation entamée; ce n'était d'ailleurs pas lui qu'il cherchait. Aussi allait-il passer outre, lorsque le duc l'arrêta par la basque de son habit.
– Pardieu! dit-il, mon cher chevalier, vous n'êtes pas de trop; je raconte à Canillac une bonne aventure qui peut lui servir, à lui, comme lieutenant nocturne de monsieur le régent, et à vous, comme exposé au même danger que j'ai couru. L'histoire date d'aujourd'hui: c'est un mérite de plus, car je n'ai encore eu le temps de la raconter qu'à vingt personnes, de sorte qu'elle est à peine connue. Répandez-la: vous me ferez plaisir et à monsieur le régent aussi.
D'Harmental fronça le sourcil, Richelieu prenait mal son temps; en ce moment le chevalier de Ravanne passa poursuivant un masque.
– Ravanne! cria Richelieu, Ravanne!
– Je n'ai pas le loisir, répondit le chevalier.
– Savez-vous où est Lafare?
– Il a la migraine.
– Et Fargy?
– Il s'est donné une entorse.
Et Ravanne se perdit dans la foule, après avoir échangé avec son adversaire du matin le salut le plus amical.
– Eh bien! et l'histoire? demanda Canillac.
– Nous y voici. Imaginez-vous qu'il y a six ou sept mois, à ma sortie de la Bastille, où m'avait envoyé mon duel avec Gacé, trois ou quatre jours peut-être après avoir reparu dans le monde, Rafé me remet un charmant petit billet de madame de Parabère, par lequel je suis invité à passer le soir même chez elle. Vous comprenez, chevalier, ce n'est pas au moment où l'on sort de la Bastille que l'on méprise un rendez-vous donné par la maîtresse de celui qui en tient les clefs. Aussi ne faut-il pas demander si je fus exact. À l'heure dite, j'arrive. Devinez qui je trouve assis à côté d'elle sur un sofa? Je vous le donne en cent!
– Son mari? dit Canillac.
– Non, point; Son Altesse Royale elle-même. Je fus d'autant plus étonné qu'on m'avait fait entrer comme si la dame était seule. Néanmoins, comme vous le comprenez bien, chevalier, je ne me laissai point étourdir; je pris un air composé, naïf et modeste, un air comme le tien, Canillac, et je saluai la marquise avec une apparence de si profond respect, que le régent éclata de rire. Comme je ne m'attendais pas à cette explosion, je fus, je l'avoue, un peu déconcerté. Je pris une chaise pour m'asseoir, mais le régent me fit signe de prendre place sur le sofa, de l'autre côté de la marquise: j'obéis.
– Mon cher duc, me dit-il, nous vous avons écrit pour une affaire fort sérieuse. Voilà cette pauvre marquise qui, toute séparée qu'elle est depuis deux ans de