Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre
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Le chevalier fit toutes ces remarques en moins de temps qu'il ne nous en a fallu pour décrire un tel costume; mais n'ayant aucune idée de la personne à laquelle il avait affaire et croyant qu'il s'agissait tout bonnement de quelque intrigue amoureuse, il hésitait à lui adresser la parole, lorsque, tournant la tête de son côté:
– Chevalier, lui dit le masque sans prendre la peine de déguiser sa voix, dans la certitude sans doute que sa voix lui était inconnue, savez-vous bien que je vous ai une double reconnaissance d'être venu, surtout dans la situation d'esprit où vous êtes? Il est malheureux que je ne puisse en conscience attribuer une pareille exactitude qu'à la curiosité.
– Beau masque, reprit d'Harmental, ne m'avez-vous pas dit dans votre lettre que vous étiez un bon génie? Or, si réellement vous participez d'une nature supérieure le passé, le présent et l'avenir doivent vous être connus; vous saviez donc que je viendrais, et, puisque vous le saviez, ma venue ne doit donc pas vous étonner.
– Hélas! répondit l'inconnue, que l'on voit bien que vous êtes un faible mortel, et que vous avez le bonheur de ne vous être jamais élevé au-dessus de votre sphère! autrement vous sauriez que si nous connaissons comme vous le dites, le passé, le présent et l'avenir, cette science est muette en ce qui nous regarde, et ce sont les choses que nous désirons le plus qui restent plongées pour nous dans la plus grande obscurité.
– Diable! répondit d'Harmental, savez-vous, monsieur le génie, que vous allez me rendre bien fat si vous continuez de ce ton-là? Car, prenez-y garde, vous m'avez dit, ou à peu près, que vous aviez grand désir que je vinsse à votre rendez-vous.
– Je croyais ne rien vous apprendre de nouveau, chevalier, et il me semblait que ma lettre, sous le rapport du désir que j'avais de vous voir, ne devait vous laisser aucun doute.
– Ce désir, que je n'admets au reste que parce que vous l'avouez et que je suis trop galant pour vous donner un démenti, ne vous a-t-il pas fait promettre dans cette lettre plus qu'il n'est en votre pouvoir de tenir?
– Faites l'épreuve de ma science, elle vous donnera la mesure de mon pouvoir.
– Oh! mon Dieu! je me bornerai à la chose la plus simple. Vous savez, dites-vous, le passé, le présent et l'avenir; dites-moi ma bonne aventure.
– Rien de plus facile: donnez-moi votre main.
D'Harmental fit ce qu'on lui demandait.
– Sire chevalier, dit l'inconnue après un instant d'examen, je vois fort lisiblement écrits, par la direction de l'adducteur et par la disposition des fibres longitudinales de l'aponévrose palmaire, cinq mots dans lesquels est renfermée toute l'histoire de votre vie; ces mots sont: courage, ambition, désappointement, amour et trahison.
– Peste! interrompit le chevalier, je ne savais pas que les génies étudiassent si à fond l'anatomie et fussent obligés de prendre leurs licences comme un bachelier de Salamanque!
– Les génies savent tout ce que les hommes savent et bien d'autres choses encore, chevalier.
– Eh bien! que veulent dire ces mots à la fois si sonores et si opposés, et que vous apprennent-ils de moi dans le passé, mon très savant génie?
– Ils m'apprennent que c'est par votre courage seul que vous avez acquis le grade de colonel que vous occupiez dans l'armée de Flandre; que ce grade avait éveillé votre ambition; que cette ambition a été suivie d'un désappointement, et que vous avez cru vous consoler de ce désappointement par l'amour; mais que l'amour, comme la fortune, étant sujet à la trahison, vous avez été trahi.
– Pas mal, dit le chevalier, et la sibylle de Cumes ne s'en serait pas mieux tirée. Un peu de vague, comme dans tous les horoscopes; mais du reste, un grand fond de vérité. Passons au présent, beau masque.
– Le présent! chevalier! Parlons-en tout bas, car il sent terriblement la Bastille!
Le chevalier tressaillit malgré lui car il croyait que nul, excepté les acteurs qui y avaient joué un rôle, ne pouvait connaître son aventure, du matin.
– Il y a à cette heure, continua l'inconnue, deux braves gentilshommes couchés fort tristement dans leur lit tandis que nous bavardons gaiement au bal; et cela, parce que certain chevalier d'Harmental, grand écouteur aux portes, ne s'est pas souvenu d'un hémistiche de Virgile.
– Et quel est cet hémistiche? demanda le chevalier de plus en plus étonné.
– Facilis descensus Averni, dit en riant la chauve-souris.
– Mon cher génie! s'écria le chevalier en plongeant ses regards à travers les ouvertures du masque de l'inconnue, voici, permettez-moi de vous le dire, une citation tant soit peu masculine.
– Ne savez-vous pas que les génies sont des deux sexes?
– Oui, mais je n'avais pas entendu dire qu'ils citassent si couramment l' Énéide.
– La citation n'est-elle pas juste? Vous me parlez de la sibylle de Cumes, je vous réponds dans sa langue; vous me demandez du positif, je vous en donne; mais vous autres mortels, vous n'êtes jamais satisfaits.
– Non, car j'avoue que cette science du passé et du présent m'inspire une terrible envie de connaître l'avenir.
– Il y a toujours deux avenirs, dit le masque; il y a l'avenir des cœurs faibles, et l'avenir des cœurs forts. Dieu a donné à l'homme le libre arbitre, afin qu'il pût choisir. Votre avenir dépend de vous.
– Encore faut-il les connaître, ces deux avenirs, pour choisir le meilleur.
– Eh bien! il y en a un qui vous attend quelque part, aux environs de Nevers, dans le fond d'une province, entre les lapins de votre garenne et les poules de votre basse-cour. Celui-là vous conduira droit au banc de marguillier de la paroisse. C'est d'une ambition facile, et il n'y a qu'à vous laisser faire pour l'atteindre: vous êtes sur la route.
– Et l'autre? répliqua le chevalier, visiblement piqué que l'on pût supposer qu'en aucun cas un pareil avenir serait jamais le sien.
– L'autre, dit l'inconnue en appuyant son bras sur le bras du jeune gentilhomme, et en fixant sur lui ses yeux à travers son masque; l'autre vous rejettera dans le bruit et dans la lumière; l'autre fera de vous un des acteurs de la scène qui se joue dans le monde; l'autre, que vous perdiez ou que vous gagniez, vous laissera du moins le renom d'un grand joueur.
– Si je perds, que perdrai-je? demanda le chevalier.
– La vie probablement.
Le chevalier fit un geste de mépris.
– Et si je gagne? ajouta-t-il.
– Que dites-vous du grade de mestre de camp, du titre de grand d'Espagne, et du cordon du Saint-Esprit? Tout cela sans compter le bâton de maréchal en perspective.
– Je dis que le gain vaut l'enjeu, beau masque, et que si tu me donnes la preuve que tu peux tenir ce que tu promets, je suis homme à faire ta partie.
– Cette preuve, répondit le masque, ne peut vous être donnée que par une autre que moi, chevalier, et si vous voulez l'acquérir il faut me suivre.
– Oh! oh! dit d'Harmental, me serais-je trompé, et