Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre страница 7
D'Harmental comprit l'importance de la mission dont on le chargeait, et, tout poudreux, tout sanglant, sans débotter, il sauta sur un cheval frais et gagna la première poste; douze heures après, il était à Versailles.
Villars avait prévu ce qui devait arriver. Aux premiers mots qui sortirent de la bouche du chevalier, madame de Maintenon le prit par la main et le conduisit chez le roi. Le roi travaillait avec Voisin dans sa chambre, contre l'habitude, car il était un peu malade. Madame de Maintenon ouvrit la porte, poussa le chevalier d'Harmental aux pieds du roi, et levant les deux mains au ciel:
– Sire, dit-elle, remerciez Dieu; car, Votre Majesté le sait, nous ne sommes rien par nous-mêmes, et c'est de Dieu que nous vient toute grâce.
– Qu'y a-t-il, monsieur? parlez! dit vivement Louis XIV, étonné de voir à ses pieds ce jeune homme qu'il ne connaissait pas.
– Sire, répondit le chevalier, le camp de Denain est pris; le comte d'Albemarle est prisonnier, le prince Eugène est en fuite; le maréchal de Villars met sa victoire aux pieds de Votre Majesté.
Malgré la puissance qu'il avait sur lui-même, Louis XIV pâlit; il sentit que les jambes lui manquaient, et il s'appuya à la table pour ne pas tomber sur son fauteuil.
– Qu'avez-vous, sire? s'écria madame de Maintenon en allant à lui.
– J'ai, madame, que je vous dois tout, dit Louis XIV: vous sauvez le roi, et vos amis sauvent le royaume.
Madame de Maintenon s'inclina et baisa respectueusement la main du roi.
Alors Louis XIV, encore tout pâle et tout ému, passa derrière le grand rideau qui fermait le salon où était son lit, et l'on entendit la prière d'actions de grâces qu'il adressait à demi-voix au Seigneur; puis, au bout d'un instant, il reparut calme et grave, comme si rien n'était arrivé.
– Et maintenant, monsieur, racontez-moi la chose dans tous ses détails.
Alors d'Harmental fit le récit de cette merveilleuse bataille, qui venait, comme par miracle, de sauver la monarchie. Puis, lorsqu'il eut fini:
– Et de vous, monsieur, dit Louis XIV, vous ne m'en dites rien? Cependant, si j'en juge par le sang et la boue qui couvrent encore vos habits, vous n'êtes point resté en arrière.
– Sire, j'ai fait de mon mieux, dit d'Harmental en s'inclinant; mais s'il y a réellement quelque chose à dire de moi, je laisse, avec la permission de Votre Majesté, ce soin à monsieur le maréchal de Villars.
– C'est bien, jeune homme, et s'il vous oublie, par hasard, nous nous souviendrons, nous. Vous devez être fatigué, allez vous reposer; je suis content de vous.
D'Harmental se retira tout joyeux. Madame de Maintenon le reconduisit jusqu'à la porte. D'Harmental lui baisa la main encore une fois, et se hâta de profiter de la permission royale qui lui était donnée, il y avait vingt-quatre heures qu'il n'avait ni bu, ni mangé, ni dormi.
À son réveil, on lui remit un paquet que l'on avait apporté pour lui du ministère de la guerre. C'était son brevet de colonel.
Deux mois après, la paix fut faite. L'Espagne y laissa la moitié de sa monarchie, mais la France resta intacte.
Trois ans après, Louis XIV mourut.
Deux partis bien distincts, bien irréconciliables surtout, étaient en présence au moment de cette mort: celui des bâtards, incarné dans monsieur le duc du Maine, et celui des princes légitimes, représenté par monsieur le duc d'Orléans.
Si monsieur le duc du Maine avait eu la persistance, la volonté, le courage de sa femme, Louise-Bénédicte de Condé, peut-être, appuyé comme il l'était par le testament royal, eût-il triomphé; mais il eût fallu se défendre au grand jour, comme on était attaqué, et le duc du Maine, faible de cœur et d'esprit, dangereux à force d'être lâche, n'était bon qu'aux choses qui se passaient par-dessous terre. Il fut menacé de face, et dès lors ses artifices sans nombre, ses faussetés exquises, ses marches ténébreuses et profondes lui devinrent inutiles. En un jour, et presque sans combat, il fut précipité de ce faîte où l'avait porté l'aveugle amour du vieux roi. La chute fut lourde et surtout honteuse; il se retira mutilé, abandonnant la régence à son rival, et ne conservant de toutes les faveurs accumulées sur lui que la surintendance de l'éducation royale, la maîtrise de l'artillerie et le pas sur les ducs et pairs.
L'arrêt que venait de rendre le parlement frappait la vieille cour et tout ce qui lui était attaché. Le père Letellier alla au-devant de son exil, madame de Maintenon se réfugia à Saint-Cyr, et monsieur le duc du Maine s'enferma dans la belle villa de Sceaux pour continuer sa traduction de Lucrèce.
Le chevalier d'Harmental avait assisté en spectateur intéressé, il est vrai, mais en spectateur passif, à toutes ces intrigues, attendant toujours qu'elles revêtissent un caractère qui lui permît d'y prendre part. S'il y avait eu lutte franche et armée, il se fût rangé du côté où la reconnaissance l'appelait. Trop jeune et trop chaste encore, si on peut le dire en matière politique, pour tourner avec le vent de la fortune, il resta respectueux à la mémoire de l'ancien roi et aux ruines de la vieille cour. Son absence du Palais-Royal, autour duquel gravitait à cette heure tout ce qui voulait reprendre une place dans le ciel politique, fut interprétée à opposition, et un matin, comme il avait reçu le brevet qui lui accordait un régiment, il reçut l'arrêté qui le lui enlevait.
D'Harmental avait l'ambition de son âge: la seule carrière ouverte à un gentilhomme de cette époque était la carrière des armes; son début y avait été brillant, et le coup qui brisait à vingt-cinq ans toutes ses espérances d'avenir lui fut profondément douloureux. Il courut chez monsieur de Villars, dans lequel il avait trouvé autrefois un protecteur si ardent. Le maréchal le reçut avec la froideur d'un homme qui ne serait pas fâché, non seulement d'oublier le passé, mais de voir le passé oublié. Aussi, d'Harmental comprit que le vieux courtisan était en train de changer de peau, et il se retira discrètement.
Quoique cet âge fût essentiellement celui de l'égoïsme, la première épreuve qu'en faisait le chevalier lui fut amère; mais il était dans cette heureuse période de la vie où il est rare que les douleurs de l'ambition trompée soient profondes et durables; l'ambition est la passion de ceux qui n'en ont pas d'autres, et le chevalier avait encore toutes celles que l'on a à vingt-cinq ans.
D'ailleurs, l'esprit du temps n'était point tourné encore à la mélancolie. C'est un sentiment tout moderne, né du bouleversement des fortunes et de l'impuissance des hommes. Au dix-huitième siècle, il était rare que l'on rêvât aux choses abstraites, et que l'on aspirât à l'inconnu; on allait droit aux plaisirs, à la gloire ou à la fortune, et pourvu qu'on fût beau, brave ou intrigant, tout le monde pouvait arriver là. C'était encore l'époque où l'on n'était pas humilié de son bonheur. Aujourd'hui, l'esprit domine de trop haut la matière pour que l'on ose avouer que l'on est heureux.
Au reste, il faut l'avouer, le vent soufflait à la joie, et la France semblait voguer, toutes voiles dehors, à la recherche de quelqu'une de ces îles enchantées comme on en trouve sur la carte dorée des Mille et une Nuits. Après ce long et triste hiver de la vieillesse de Louis XIV, apparaissait tout à coup le printemps joyeux et brillant d'une jeune royauté: chacun s'épanouissait à ce nouveau soleil, radieux et bienfaisant, et s'en allait bourdonnant et insoucieux, comme font les papillons et les abeilles aux premiers jours de la belle saison. Le plaisir, absent et proscrit pendant plus de trente ans, était de retour; on l'accueillait comme un ami qu'on n'espérait plus revoir; on courait à lui de tous côtés, franchement, les bras