Le chevalier d'Harmental. Dumas Alexandre

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Le chevalier d'Harmental - Dumas Alexandre

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si je suis soumis à quelque grande enchanteresse, et si c'est elle qui m'envoie!

      – Je te préviens que je ne traite rien par ambassadeur.

      – Aussi ai-je mission de vous conduire près d'elle.

      – Alors je la verrai?

      – Face à face, comme Moïse vit le Seigneur.

      – Partons, en ce cas!

      – Chevalier, vous allez vite en besogne! Oubliez-vous qu'avant toute initiation il y a certaines cérémonies indispensables pour s'assurer de la discrétion des initiés?

      – Que faut-il faire?

      – Il faut vous laisser bander les yeux, vous laisser conduire où l'on voudra vous mener; puis, arrivé à la porte du temple, faire le serment solennel que vous ne révélerez rien à qui que ce soit des choses qu'on vous aura dites ou des personnes que vous aurez vues.

      – Je suis prêt à jurer par le Styx, dit en riant d'Harmental.

      – Non, chevalier, répondit le masque d'une voix grave; jurez tout bonnement par l'honneur, on vous connaît, et cela suffira.

      – Et ce serment fait, demanda le chevalier après un instant de silence et de réflexion, me sera-t-il permis de me retirer si les choses que l'on me proposera ne sont pas de celles que puisse accomplir un gentilhomme?

      – Vous n'aurez que votre conscience pour arbitre, et on ne vous demandera que votre parole pour gage.

      – Je suis prêt, dit le chevalier.

      – Allons donc, dit le masque.

      Le chevalier s'apprêta à traverser la foule en ligne droite pour gagner la porte de la salle; mais ayant aperçu Brancas, Broglie et Simiane qui se trouvaient sur sa route et qui l'eussent arrêté sans doute au passage il fit un détour et prit une ligne courbe, laquelle cependant devait le conduire au même but.

      – Que faites-vous? demanda le masque.

      – J'évite la rencontre de quelqu'un qui pourrait nous retarder.

      – Tant mieux! je commençais à craindre.

      – Que craigniez-vous? demanda d'Harmental.

      – Je craignais, répondit en riant le masque, que votre empressement ne fût diminué de la différence de la diagonale aux deux côtés du carré.

      – Pardieu! dit d'Harmental, voilà la première fois, je crois, qu'on donne rendez-vous à un gentilhomme, au bal de l'opéra, pour lui parler anatomie, littérature ancienne et mathématiques! Je suis fâché de vous le dire, beau masque, mais vous êtes bien le génie le plus pédant que j'aie connu de ma vie.

      La chauve-souris éclata de rire, mais ne répondit rien à cette boutade, dans laquelle éclatait le dépit du chevalier de ne pouvoir reconnaître une personne qui paraissait cependant si bien au fait de ses propres aventures; mais comme ce dépit ne faisait qu'ajouter à sa curiosité, au bout d'un instant, tous deux, étant descendus d'une hâte pareille, se trouvèrent dans le vestibule.

      – Quel chemin prenons-nous? dit le chevalier; nous en allons-nous par dessous terre ou dans un char attelé de deux griffons?

      – Si vous le permettez, chevalier, nous nous en irons tout bonnement dans une voiture. Au fond, et quoique vous ayez paru en douter plus d'une fois, je suis femme et j'ai peur des ténèbres.

      – Permettez-moi, en ce cas, de faire avancer mon carrosse, dit le chevalier.

      – Non pas, j'ai le mien, s'il vous plaît, répondit le masque.

      – Appelez-le donc alors.

      – Avec votre permission, chevalier, nous ne serons pas plus fiers que Mahomet à l'endroit de la montagne; et comme mon carrosse ne peut pas venir à nous, nous irons à mon carrosse.

      À ces mots, la chauve-souris entraîna le chevalier dans la rue Saint-Honoré. Une voiture sans armoiries, attelée de deux chevaux de couleur sombre, attendait au coin de la petite rue Pierre-Lescot. Le cocher était sur son siège, enveloppé d'une grande houppelande qui lui cachait tout le bas de la figure, tandis qu'un large chapeau à trois cornes couvrait son front et ses yeux. Un valet de pied tenait d'une main une portière ouverte, et de l'autre se masquait le visage avec son mouchoir.

      – Montez, dit le masque au chevalier.

      D'Harmental hésita un instant: ces deux domestiques inconnus sans livrée, qui paraissaient aussi désireux que leur maîtresse de conserver leur incognito; cette voiture sans aucun chiffre, sans aucun blason, l'endroit obscur où elle était retirée, l'heure avancée de la nuit, tout inspirait au chevalier un sentiment de défiance très naturel; mais bientôt, réfléchissant qu'il donnait le bras à une femme et qu'il avait une épée au côté, il monta hardiment dans le carrosse. La chauve-souris s'assit près de lui, et le valet de pied referma la portière avec un ressort qui tourna deux fois à la manière d'une clef.

      – Eh bien! ne parlons-nous pas? demanda le chevalier en voyant que la voiture restait immobile.

      – Il nous reste une petite précaution à prendre, répondit le masque en tirant un mouchoir de soie de sa poche.

      – Ah! oui, c'est vrai, dit d'Harmental, je l'avais oublié; je me livre à vous en toute confiance; faites.

      Et il avança sa tête.

      L'inconnue lui banda les yeux, puis, l'opération terminée:

      – Chevalier, dit-elle, vous me donnez votre parole de ne point écarter ce bandeau avant que vous ayez reçu la permission de l'enlever tout à fait?

      – Je vous la donne.

      – C'est bien.

      Alors, soulevant la glace de devant:

      – Où vous savez, monsieur le comte, dit l'inconnue en s'adressant au cocher.

      Et la voiture partit au galop

      Chapitre 5

      Autant la conversation avait été animée au bal, autant le silence fut absolu pendant la route. Cette aventure, qui s'était présentée d'abord sous les apparences d'une aventure amoureuse, avait bientôt revêtu une allure plus grave et tournait visiblement à la machination politique. Si ce nouvel aspect n'effrayait pas le chevalier, il lui donnait du moins matière à réfléchir, et ces réflexions étaient d'autant plus profondes que plus d'une fois il avait rêvé à ce qu'il aurait à faire s'il se trouvait dans une situation pareille à celle où probablement il allait se trouver.

      Il y a dans la vie de tout homme un instant qui décide de tout son avenir. Ce moment, si important qu'il soit est rarement préparé par le calcul et dirigé par la volonté. C'est presque toujours le hasard qui prend l'homme, comme le vent fait d'une feuille, et qui le jette dans quelque voie nouvelle et inconnue, où, une fois entré, il est contraint d'obéir à une force supérieure, et où tout en croyant suivre son libre arbitre, il est l'esclave des circonstances ou le jouet des événements.

      Il en avait été ainsi du chevalier; nous avons vu par quelle porte il était entré à Versailles,

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