Le Rhin, Tome I. Victor Hugo
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Les étoiles brillaient quand j'arrivai à Sainte-Menehould.
Sainte-Menehould est une assez pittoresque petite ville, répandue à plaisir sur la pente d'une colline fort verte, surmontée de grands arbres. J'ai vu à Sainte-Menehould une belle chose, c'est la cuisine de l'hôtel de Metz.
C'est là une vraie cuisine. Une salle immense. Un des murs occupé par les cuivres, l'autre par les faïences. Au milieu, en face des fenêtres, la cheminée, énorme caverne qu'emplit un feu splendide. Au plafond, un noir réseau de poutres magnifiquement enfumées, auxquelles pendent toutes sortes de choses joyeuses, des paniers, des lampes, un garde-manger, et au centre une large nasse à claire-voie où s'étalent de vastes trapèzes de lard. Sous la cheminée, outre le tourne-broche, la crémaillère et la chaudière, reluit et petille un trousseau éblouissant d'une douzaine de pelles et de pincettes de toutes formes et de toutes grandeurs. L'âtre flamboyant envoie des rayons dans tous les coins, découpe de grandes ombres sur le plafond, jette une fraîche teinte rose sur les faïences bleues et fait resplendir l'édifice fantastique des casseroles comme une muraille de braise. Si j'étais Homère ou Rabelais, je dirais: «Cette cuisine est un monde dont cette cheminée est le soleil.»
C'est un monde en effet. Un monde où se meut toute une république d'hommes, de femmes et d'animaux. Des garçons, des servantes, des marmitons, des rouliers attablés, des poêles sur des réchauds, des marmites qui gloussent, des fritures qui glapissent, des pipes, des cartes, des enfants qui jouent, et des chats, et des chiens, et le maître qui surveille. Mens agitat molem.
Dans un angle, une grande horloge à gaîne et à poids dit gravement l'heure à tous ces gens occupés.
Parmi les choses innombrables qui pendent au plafond, j'en ai admiré une surtout le soir de mon arrivée. C'est une petite cage où dormait un petit oiseau. Cet oiseau m'a paru être le plus admirable emblème de la confiance. Cet antre, cette forge à indigestion, cette cuisine effrayante, est jour et nuit pleine de vacarme, l'oiseau dort. On a beau faire rage autour de lui, les hommes jurent, les femmes querellent, les enfants crient, les chiens aboient, les chats miaulent, l'horloge sonne, le couperet cogne, la lèchefrite piaille, le tournebroche grince, la fontaine pleure, les bouteilles sanglotent, les vitres frissonnent, les diligences passent sous la voûte comme le tonnerre; la petite boule de plume ne bouge pas. – Dieu est adorable. Il donne la foi aux petits oiseaux.
Et, à ce propos, je déclare que l'on dit généralement trop de mal des auberges, et moi-même, tout le premier, j'en ai quelquefois trop durement parlé. Une auberge, à tout prendre, est une bonne chose, et qu'on est très-heureux de trouver. Et puis j'ai remarqué qu'il y a dans presque toutes les auberges une femme admirable. C'est l'hôtesse. J'abandonne l'hôte aux voyageurs de mauvaise humeur, mais qu'ils m'accordent l'hôtesse. L'hôte est un être assez maussade. L'hôtesse est aimable. Pauvre femme! quelquefois vieille, quelquefois malade, souvent grosse, elle va, elle vient, ébauche tout, achemine tout, complète tout, talonne les servantes, mouche les enfants, chasse les chiens, complimente les voyageurs, stimule le chef, sourit à l'un, gronde l'autre, surveille un fourneau, porte un sac de nuit, accueille celui-ci, embarque celui-là, et rayonne dans tous les sens comme l'âme. Elle est l'âme, en effet, de ce grand corps qu'on appelle l'auberge. L'hôte n'est bon qu'à boire avec des rouliers dans un coin.
En somme, grâce à l'hôtesse, l'hospitalité des auberges perd quelque chose de sa laideur d'hospitalité payée. L'hôtesse a de ces fines attentions de femme qui voilent la vénalité de l'accueil. Cela est un peu banal, mais cela agrée.
L'hôtesse de la Ville de Metz à Sainte-Menehould est une jeune fille de quinze à seize ans qui est partout et qui mène merveilleusement cette grosse machine, tout en touchant par moment du piano. L'hôte, son père, – est-ce une exception? – est un brave homme. Somme toute, c'est une auberge excellente.
Hier donc, comme je vous l'écrivais au commencement de ma lettre, j'ai quitté Sainte-Menehould. De Sainte-Menehould à Clermont, la route est ravissante. Un verger continuel. Des deux côtés de la route un chaos d'arbres fruitiers dont le beau vert fait fête au soleil, et qui répandent sur le chemin leur ombre découpée en chicorées. Les villages ont quelque chose de suisse et d'allemand. Maisons de pierre blanche, à demi revêtues de planches, avec de grands toits de tuiles creuses qui débordent le mur de deux ou trois pieds. Presque des chalets. On sent le voisinage des montagnes. Les Ardennes, en effet, sont là.
Avant d'arriver au gros bourg de Clermont, on parcourt une admirable vallée où se rencontrent les frontières de la Marne et de la Meuse. La descente dans cette vallée est magique. La route plonge entre deux collines, et l'on ne voit d'abord au-dessous de soi qu'un gouffre de feuillages. Puis le chemin tourne, et toute la vallée apparaît. Un vaste cirque de collines, au milieu un beau village presque italien, tant les toits sont plats, à droite et à gauche plusieurs autres villages sur des croupes boisées, des clochers dans la brume qui révèlent d'autres hameaux cachés dans les plis de la vallée comme dans une robe de velours vert, d'immenses prairies où paissent de grands troupeaux de bœufs, et, à travers tout cela, une jolie rivière vive qui passe joyeusement. J'ai mis une heure à traverser cette vallée. Pendant ce temps-là, un télégraphe qui est au bout a figuré les trois signes que voici:
Tandis que cette machine faisait cela, les arbres bruissaient, l'eau courait, les troupeaux mugissaient et bêlaient, le soleil rayonnait à plein ciel, et moi je comparais l'homme à Dieu.
Clermont est un beau village qui est situé au-dessus d'une mer de verdure avec son église sur sa tête, comme le Tréport au-dessus d'une mer de vagues.
Au milieu de Clermont on tourne à gauche, et à travers un joli paysage de plaines, de coteaux et d'eaux courantes, en deux heures on arrive à Varennes. Louis XVI a suivi cette gracieuse route.
Mon ami, en relisant cette lettre, je m'aperçois que j'ai deux ou trois fois employé le mot champenois tel qu'il me venait involontairement à la pensée, nuancé ironiquement par je ne sais quelle acception proverbiale. Ne vous méprenez pourtant pas, très-cher, sur le vrai sens que j'y attache. Le proverbe, familier peut-être plus qu'il ne convient, parle de la Champagne comme madame de la Sablière parlait de la Fontaine, lequel était un homme de génie bête, ainsi qu'il sied à un homme de génie qui est Champenois. Cela n'empêche pas que la Fontaine ne soit, entre Molière et Régnier, un admirable poëte, et que la Champagne ne soit, entre le Rhin et la Seine, un noble et illustre pays. Virgile pourrait dire de la Champagne comme de l'Italie:
Alma parens frugum,
Alma virum.
La Champagne a produit Amyot, cet autre bonhomme qui a répandu son air sur Plutarque comme la Fontaine a répandu le sien sur Esope; Thibaut IV, poëte presque roi qui n'eût pas mieux demandé que d'être le père de saint Louis; Robert de Sorbon, qui fut fondateur de la Sorbonne; Charlier de Gerson, qui fut chancelier de l'Université de Paris; le commandeur de Villegagnon, qui faillit donner Alger à la France dès le seizième siècle; Amadis Jamyn, Colbert, Diderot; deux peintres, Lantara et Valentin; deux sculpteurs, Girardon et Bouchardon; deux historiens, Flodoard et Mabillon; deux cardinaux pleins de génie, Henri de Lorraine et Paul de Gondi; deux papes pleins de vertu, Martin IV et Urbain IV; un roi plein de gloire, Philippe-Auguste.
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