Lucrezia Floriani. Жорж Санд

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Lucrezia Floriani - Жорж Санд

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champêtre; il y y avait, n'en doutez pas, une succession ininterrompue d'histoires d'amour. Je ne vous les raconterai pas maintenant, ce serait trop long et sans intérêt direct. Je ne perdrai pas de temps non plus à vous faire saisir les nuances d'un caractère aussi clair et aussi aisé à connaître que celui du prince Karol était chatoyant et indéfinissable. Vous apprécierez, comme vous l'entendrez, ce naturel élémentaire, limpide dans ses travers comme dans ses qualités. Il est certain que je ne vous cacherai rien de la Floriani, par pruderie et crainte de vous déplaire. Ce qu'elle avait été, ce qu'elle était, elle le disait à qui le lui demandait avec amitié. Et, si quelqu'un l'interrogeait par curiosité pure, avec des ménagements ironiques, pour se venger de cette impertinente bienveillance, elle prenait plaisir à le scandaliser par sa franchise.

      Nous ne saurions la mieux définir qu'elle ne le fit elle-même un jour, en répondant en bon français à un vieux marquis:

      – «Vous êtes un peu embarrassé, lui disait-elle, pour savoir de quel terme, reçu dans votre langue, vous pourriez qualifier une femme comme moi. Diriez-vous que je suis une courtisane? Je ne crois pas, puisque j'ai toujours donné à mes amants, et que je n'ai jamais rien reçu, même de mes amis. Je ne dois mon aisance qu'à mon travail, et la vanité ne m'a pas plus éblouie que la cupidité ne m'a égarée. Je n'ai eu que des amants, non-seulement pauvres, mais encore obscurs.

      «Diriez-vous que je suis une femme galante? Les sens ne m'ont jamais emportée avant le cœur, et je ne comprends seulement pas le plaisir sans une affection enthousiaste.

      «Enfin, suis-je une femme de mauvaise vie, de mœurs relâchées? Il faut savoir ce que vous entendez par là. Je n'ai jamais cherché le scandale. J'en ai peut-être fait sans le vouloir et sans le savoir. Je n'ai jamais aimé deux hommes à la fois; je n'ai jamais appartenu de fait et d'intention qu'à un seul pendant un temps donné, suivant la durée de ma passion. Quand je ne l'aimais plus, je ne le trompais pas. Je rompais avec lui d'une manière absolue. Je lui avais juré, il est vrai, dans mon enthousiasme, de l'aimer toujours; j'étais de la meilleure foi du monde en le jurant. Toutes les fois que j'ai aimé, ç'a été de si grand cœur, que j'ai cru que c'était la première et la dernière fois de ma vie.

      «Vous ne pouvez pas dire pourtant que je sois une femme honnête. Moi, j'ai la certitude de l'être. Je prétends même, devant Dieu, être une femme vertueuse; mais je sais que, dans vos idées et devant l'opinion, c'est un blasphème de ma part. Je ne m'en soucie point; j'abandonne ma vie au jugement du monde, sans me révolter contre lui, sans trouver qu'il ait tort dans ses lois générales, mais sans reconnaître qu'il ait raison contre moi.

      «Vous trouvez sans doute que je me traite fort bien, et que j'ai une belle dose d'orgueil? D'accord. J'ai un grand orgueil pour moi-même, mais je n'ai point de vanité; et on peut dire de moi tout le mal possible, sans m'offenser, sans m'affliger le moins du monde. Je n'ai pas combattu mes passions. Si j'ai bien ou mal fait, j'en ai été, et punie, et récompensée, par ces passions même. J'y devais perdre ma réputation, je m'y attendais, j'en ai fait le sacrifice à l'amour, cela ne regarde que moi. De quel droit les gens qui condamnent disent-ils que l'exemple est dangereux? Du moment que le coupable est condamné, il est exécuté. Il ne peut donc plus nuire, et ceux qui seraient tentés de l'imiter, sont suffisamment avertis par sa punition.»

      Karol de Roswald et Salvator Albani débarquèrent à l'entrée du parc, auprès de la chaumière que l'aubergiste d'Iseo leur avait montrée. C'est dans cette cabane que la Floriani était née, et son père, un vieux pêcheur à cheveux blancs, l'occupait encore. Rien n'avait pu le décider à quitter cette pauvre demeure, où il avait passé sa vie et où l'habitude le retenait; mais il avait consenti à ce qu'elle fût réparée, assainie, solidifiée et mise à l'abri du flot par une jolie terrasse rustique tout ornée de fleurs et d'arbustes. Il était assis à sa porte parmi les iris et les glaïeuls, et occupait les derniers instants du jour à raccommoder ses filets; car, bien que son existence fût désormais assurée, et que sa fille veillât pieusement, non-seulement à tous ses besoins, mais encore à surprendre les rares fantaisies de superflu qu'il pouvait avoir, il gardait les habitudes et les goûts parcimonieux du paysan, et ne réformait aucun instrument de son travail, tant qu'il pouvait en faire encore le moindre usage.

      V

      Karol remarqua la belle figure un peu dure de ce vieillard, et, ne songeant point que ce pût être le père de la signora, il le salua et se disposa à passer outre. Mais Salvator s'était arrêté à contempler la pittoresque chaumière et le vieux pêcheur qui, avec sa barbe blanche un peu jaunie par le soleil, ressemblait à une divinité limoneuse des rivages. Les souvenirs que, maintes fois, la Floriani lui avait retracés, les larmes aux yeux, et avec l'éloquence du repentir, repassèrent confusément dans son esprit; les traits austères du vieillard lui semblaient aussi conserver quelque ressemblance avec ceux de la belle jeune femme; il le salua par deux fois et alla essayer d'ouvrir la grille du parc, située à dix pas de là, non sans tourner plusieurs fois la tête vers le pêcheur, qui le suivait des yeux avec un air d'attention et de méfiance.

      Quand celui-ci vit que les deux jeunes seigneurs tentaient réellement de pénétrer dans la demeure de la Floriani, il se leva et leur cria, d'un ton peu accueillant, qu'on n'entrait point là, et que ce n'était pas une promenade publique.

      – Je le sais fort bien, mon brave, répondit Salvator; mais je suis un ami intime de la signora Floriani, et je viens pour la voir.

      Le vieillard approcha et le regarda avec attention. Puis il reprit: – Je ne vous connais pas. Vous n'êtes pas du pays?

      – Je suis de Milan, et je vous dis que j'ai l'honneur d'être lié avec la signora. Voyons, par où faut-il entrer?

      – Vous n'entrerez pas comme cela! Vous attend-on? Savez-vous si on voudra vous recevoir? Comment vous nommez-vous?

      – Le comte Albani. Et vous, mon brave, voulez-vous me dire votre nom? Ne seriez-vous pas, par hasard, un certain honnête homme, qu'on appelle Renzo… ou Beppo… ou Checco Menapace?

      – Renzo Menapace, oui, c'est moi, en vérité, dit le vieillard on se découvrant, par suite de l'habitude qu'ont les gens du peuple de s'incliner, en Italie, devant les titres. D'où me connaissez-vous, signor? Je ne vous ai jamais vu.

      – Ni moi non plus; mais votre fille vous ressemble, et je savais bien son véritable nom.

      – Un meilleur nom que celui qu'ils lui donnent maintenant! mais enfin le pli en est pris, et ils l'appellent tous d'un nom de guerre! Ah ça! vous voulez donc la voir? Vous venez exprès?

      – Mais, sans aucun doute, avec votre permission, J'espère qu'elle voudra bien nous recommander à vous, et que vous ne vous repentirez pas de nous avoir ouvert la porte. Je présume que vous en avez la clef?

      – Oui, j'en ai la clef, et pourtant, Seigneuries, je ne peux vous ouvrir. Ce jeune seigneur est avec vous?..

      – Oui, c'est le prince de Roswald, dit Salvator, qui n'ignorait pas l'ascendant des titres.

      Le vieux Menapace salua plus profondément encore, quoique sa figure restât froide et triste. – Seigneurs, dit-il, ayez la bonté de venir chez moi et d'y attendre que j'aie envoyé mon serviteur prévenir ma fille, car je ne peux pas vous promettre qu'elle soit disposée à vous voir.

      – Allons, dit Salvator au prince, il faut nous résigner à attendre. Il paraît que la Floriani a maintenant la manie de se cloîtrer; mais, comme je ne doute pas que nous ne soyons bien reçus, allons un peu voir sa chaumière natale. Ce doit être assez curieux.

      – Il est fort curieux, en effet, qu'elle habite un palais, aujourd'hui, et qu'elle laisse son père sous

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