Histoire littéraire d'Italie (1. Pierre Loius Ginguené
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Le savant abbé Andrès est de la même opinion, et lui a donné plus de développements 149. L'Empereur, Alcuin, Théodulphe et tous les autres qui travaillèrent à la réforme des études, n'avaient, dit-il, d'autre objet en vue que le service de l'église; ils n'avaient pas tant à cœur de faire d'habiles littérateurs, que d'élever de bons ecclésiastiques. Aussi, dans toutes les écoles qu'ils fondèrent, on n'apprenait guère que la grammaire et le chant de l'église… Si dans quelques-unes on s'occupait des arts libéraux, c'était uniquement pour aider à l'intelligence des lettres sacrées… Les maîtres eux-mêmes n'en savaient pas davantage, et ne pouvaient enseigner autre chose à leurs disciples. Le grand Alcuin dont les auteurs contemporains ne parlent que comme d'un prodige de science, n'était après tout qu'un médiocre théologien, et ses connaissances si vantées, en philosophie et en mathématiques, ne s'étendaient qu'a quelques subtilités de dialectique, et à ces premiers éléments de musique, d'arithmétique et d'astronomie, nécessaires pour le chant et pour le comput ecclésiastiques…
«Les promoteurs des études et les maîtres ayant donc des idées si étroites des sciences, quels progrès pouvait-on espérer de leurs soins et de leurs leçons? On fondait des écoles; mais pour apprendre à lire, à chanter, à compter et presque rien de plus: on établissait des maîtres; mais il suffisait qu'ils sussent la Grammaire; si quelqu'un d'eux allait jusqu'à entendre un peu de mathématiques et d'astronomie, il était regardé comme un oracle. On recherchait des livres, mais seulement des livres ecclésiastiques; il n'y avait pas dans toute la France, un Térence, un Cicéron, un Quintilien… 150. Les hymnes de l'église et les ouvrages de quelques Pères étaient pris pour modèles du bon goût dans l'art d'écrire en prose et en vers, et celui qui s'approchait le plus en latin du style de S. Jérôme ou de Cassiodore, passait pour un Cicéron…
«Si Charlemagne et Alcuin avaient conçu de plus justes idées de la littérature, au lieu de tant de peines, de voyages et de dépenses inutiles, combien ne leur eût-il pas mieux réussi de se procurer et de multiplier les copies des auteurs des bons siècles, de ressusciter l'étude si nécessaire de la langue grecque? En apprenant à goûter dans les écoles les grands poètes et les grands orateurs, on aurait pu faire renaître la belle poésie et la solide éloquence. On aurait appris à bien penser et à bien écrire; et les études ecclésiastiques elles-mêmes y auraient autant gagné que les études purement littéraires.»
Ces réflexions judicieuses de deux très-bons esprits, et de deux auteurs très-orthodoxes, n'ont point eu de contradicteurs en Italie. Des écrivains français, non moins orthodoxes qu'eux, les Bénédictins, auteurs de l'Histoire littéraire de la France, ont pensé la même chose et ont écrit dans le même sens. Ils disent plus positivement encore 151 que dans l'école de S. Martin de Tours, l'une des plus florissantes que Charlemagne fit établir, Alcuin défendit à Sigulfe, son disciple, de lire Virgile aux élèves, de peur que cette lecture ne leur corrompît le cœur. Ce ne fut qu'après la mort de ce rigide président des études, que Sigulfe put donner un libre essor à son goût pour les bons modèles. L'école de Ferrières dans le Gâtinais, s'éleva bientôt au-dessus de toutes les autres, par l'étude qu'on y fit des anciens. Le célèbre abbé Loup, qu'on appelle Loup de Ferrières, eut pour eux une prédilection, dont on aperçoit les traces dans ses écrits. De toutes les lettres latines de ce temps, qui se sont conservées, les siennes sont les seules où il y ait quelque idée de bon style. «Il semble, dit expressément D. Rivet 152, que nos autres écrivains auraient pu mieux réussir qu'ils n'ont fait, s'ils avaient eu autant d'attention que lui à former leur style sur celui des anciens». Mais dans tous les soins que se donna l'Empereur, et que prirent sous ses ordres les ministres de ses volontés, pour rétablir une belle écriture, pour se procurer et rendre plus communs de bons et de beaux manuscrits, soins qui furent pris à grands frais, et portés quelquefois jusqu'à la plus grande magnificence, on voit qu'il n'était jamais question que de bibles, d'évangiles, de missels, d'antiphonaires, de pénitentiels, de sacramentaires, de psautiers: on n'entend point parler d'un manuscrit de Cicéron ou de Virgile.
Les mêmes effets furent encore une fois le résultat des mêmes causes. Les lettres encouragées et renouvellées en France par Charlemagne, mais, trop exclusivement consacrées à un seul objet, n'eurent pas le temps de jeter de racines; elles ne produisirent presque aucun fruit: elles se retrouvèrent, après ce grand effort, telles qu'elles étaient auparavant, et dans le même état d'inertie et de nullité. Elles se soutinrent un peu pendant les premières années du neuvième siècle: dans les suivantes, elles commencèrent à déchoir: le milieu du siècle leur fut encore plus fatal: elles disparurent de nouveau entièrement à la fin 153.
Ce ne fut pas non plus à Charlemagne, ce fut encore moins à son fils Louis, qu'en France on nomme le débonnaire, en Italie le pieux, et qu'on devrait partout appeler le faible, comme Voltaire, mais ce fut à Lothaire, fils de Louis, que l'Italie dut ses premiers établissements fixes d'instruction, et ses premiers pas marqués vers la renaissance. Un de ses capitulaires, qui n'a été publié que dans le dix-huitième siècle 154, établit à Pavie et dans huit autres villes, des écoles dont il fixe l'arrondissement. Mais son règne agité, ceux des autres empereurs de sa maison plus agités et plus faibles encore, ne furent pas propres à faire fleurir ces écoles naissantes. Après la mort du dernier d'entre eux, Charles-le-Gros, les guerres civiles et tous les maux qu'elles entraînent, déchirèrent de nouveau l'Italie, et la replongèrent, avant la fin du neuvième siècle, dans cet abîme de barbarie et d'infortunes, d'où elle commençait à peine à espérer de sortir.
On doute si l'on doit compter parmi le peu d'hommes qui se distinguèrent encore dans les lettres pendant cette triste époque, un prêtre de Ravenne, nommé Agnello, que l'on appelle aussi André. Il a laissé un recueil de vies des évêques de cette église, qui n'ont d'autre mérite que de nous avoir conservé plusieurs faits de l'histoire sacrée et profane, et plusieurs traits relatifs aux mœurs de ce temps, que l'on ne trouve point ailleurs 155. Il y eut aussi alors un Jean, Diacre de l'église romaine, auteur de la vie de Grégoire le-Grand et de quelques autres écrits. Un autre Jean, Diacre de l'église de Saint-Janvier à Naples, avait précédemment écrit les vies des évêques de cette ville, depuis l'origine, jusque vers la fin du neuvième siècle où il vivait. Muratori les a publiées le premier dans sa grande collection 156. Il y a inséré, ce semble, à plus juste titre l'ouvrage d'Anastase, surnommé le Bibliothécaire, qu'il ne faut pas confondre, comme l'ont fait quelques auteurs 157, avec un autre Anastase, cardinal du titre de Saint-Michel, qui troubla alors l'église par ses prétentions au souverain pontificat. Anastase, garde de la bibliothèque pontificale, et qu'on désigne toujours
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Il serait plus exact de dire, s'ils les eût connus.
149
150
L'auteur italien paraîtra sans doute exagéré dans cette assertion; mais elle est autorisée par une lettre de Loup de Ferrières au pape Benoît III, par laquelle ce savant abbé lui demandait des livres, et entre autres ceux du l'orateur de Cicéron, les douze livres des institutions de Quintilien, dont on ne trouvait, disait il, en France que des copies imparfaites, et enfin le commentaire de Donat sur les comédies de Térence. (Voy.
151
Tom. IV, Disc. sur l'état des Lettres au huitième siècle.
152
Loc. cit.
153
Hist. Litt. de la France,
154
Dans le grand recueil de Muratori,
155
Muratori les a insérées dans sa collection;
156
Tom. I, part. II.
157
Voy. là-dessus Mazzuchelli,