Histoire littéraire d'Italie (1. Pierre Loius Ginguené

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Histoire littéraire d'Italie (1 - Pierre Loius Ginguené

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173 ou forcées 174; les schismes, les papautés doubles et triples; partout des désastres, des barbaries et des scandales: dans ce qui est au-delà de Rome, la lutte sanglante d'un reste de Grecs, d'un reste de Lombards 175; et de quelques brigands Sarrazins, terminée par l'épée des aventuriers Normands, qui soumirent les uns et les autres, et fondèrent un état puissant; les républiques florissantes de Naples, de Gaëte et d'Amalphi, les premières dont l'histoire moderne consacre le souvenir, disparaissant dans cette lutte, et Robert Guiscard, le plus célèbre de ces aventuriers, brûlant et saccageant Rome même, pour sauver de la vengeance de l'empereur Henri IV, l'orgueilleux pape Grégoire VII: telle fut, dans le onzième siècle, la position générale de l'Italie; et l'on ne voit pas ce qu'elle pouvait avoir de favorable à la régénération des lettres.

      C'est une époque bien remarquable dans l'histoire de la papauté, que celle où cet archidiacre Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII 176, entreprit d'élever le saint-siége au-dessus de tous les trônes, et où, pour le malheur de l'Europe entière, il réussit dans cette entreprise! Il la poursuivit avec toute la ténacité de son caractère, toute l'énergie de son ambition et de son courage. Il voulut d'abord que les papes, qui n'étaient point encore souverains dans Rome, eussent une souveraineté réelle et territoriale, qui leur donnât un rang parmi les puissances; et il trouva dans la comtesse Mathilde, dans sa docilité crédule pour un pontife devenu directeur de sa conscience, dans sa haine et ses ressentiments héréditaires contre les empereurs d'Allemagne 177, tous les moyens d'y parvenir. Il eut l'art d'obtenir d'elle la donation de tous ses états, dont elle ne se réserva que l'usufruit. Le pouvoir des passions auxquelles elle obéissait, est tel, qu'il a mis en quelque sorte à couvert la réputation des mœurs de Grégoire VII. L'écrivain le moins habitué à ménager les papes vicieux et corrompus, Voltaire, a reconnu lui-même 178, qu'aucun fait, ni même aucun indice, n'a jamais confirmé les soupçons qu'avaient pu faire naître les liaisons intimes, la fréquentation assidue du pape, et l'immense libéralité de la comtesse.

      Grégoire suivait en même temps, avec autant d'ardeur que d'audace, l'autre partie de son plan. Il arrachait ou disputait à outrance aux rois l'investiture des bénéfices. Il écrivait en maître à ceux d'Angleterre, de Danemark et de France. Lui, qui ne s'était cru pape, que lorsque l'empereur Henri IV eut confirmé sa nomination, il excommuniait, il déclarait déchu cet empereur même, il le forçait de se soumettre aux épreuves les plus pénibles et les plus honteuses 179, et foulait aux pieds, dans sa personne, la tête humiliée de tous les rois.

      Les lettres de ce pontife existent 180. Elles déposent de la hardiesse de ses projets et de la force de son génie, en même temps qu'elles sont des pièces importantes pour l'histoire de la souveraineté temporelle des papes 181. Elles donnent à celui-ci, quant au style, une place peu distinguée dans l'Histoire littéraire. Il n'en a une, comme bienfaiteur des lettres, ou du moins des études, que par l'ordre qu'il donna aux évêques, dans un synode tenu à Rome 182, d'entretenir, chacun dans leurs églises, une école pour l'enseignement des lettres 183; mais il n'entendait par là que ce qu'on avait entendu jusqu'alors: cet enseignement des lettres n'avait rien de littéraire; et l'on ne voit encore là, pour le onzième siècle, aucun avantage sur les précédents.

      C'est à ce siècle, cependant, que les Italiens assignent les premiers mouvements de la renaissance: c'est l'époque qu'ils désignent par le nom de ce siècle même, et qu'ils appellent avec respect le Mille, il Mille. Mais le cours du mal, suspendu seulement par Charlemagne, devenu plus rapide depuis sa mort, était arrivé à l'extrême: il n'y avait, pour ainsi dire, plus de degrés d'ignorance, où les esprits pussent encore descendre. Il fallait qu'ils suivissent enfin cette loi d'instabilité qui les entraîne; que les sciences et les arts sortissent de leurs ruines, et recommençassent à s'élever, jusqu'à ce qu'ayant repris toute leur splendeur, de nouvelles causes ramenassent un jour une dégénération nouvelle.

      Parmi celles qui devaient les faire renaître, il en est qu'on a peu observées, mais qui ne laissèrent pas d'influer puissamment sur l'esprit de ce siècle. C'est, par exemple, une circonstance qui paraît peu importante, que cette opinion de la prochaine fin du monde, répandue par le fanatisme intéressé des moines, et dont les imaginations étaient préoccupées. Cependant on ne saurait croire combien elle fit de mal jusqu'au dernier jour du dixième siècle, et quel bien résulta de l'apparition naturelle, mais inattendue, du jour qui commença le onzième 184. L'horreur toujours présente d'une désolation universelle, fondée sur des prédictions répandues et interprétées par les moines qui en retiraient d'opulentes donations, avait en quelque sorte éteint toute espérance, toute pensée relative à un avenir, où personne ne comptait plus ni exister même de nom, ni revivre dans ses descendants, et dans la mémoire des hommes, tous destinés à périr à-la-fois. Ce désespoir devait ne permettre d'autre sentiment que celui de la terreur; il devait tourner toutes les idées vers une autre vie, et n'inspirer, pour les choses de ce monde, qu'indifférence et abandon. Mais quand le terme fatal fut passé, et que chacun se trouva, comme après une tempête, en sûreté sur le rivage, ce fut comme une vie nouvelle, un nouveau jour, et de nouvelles espérances. Le courage, la force, l'activité durent renaître, et les idées se tourner d'elles-même vers tout ce qui pouvait leur servir de but et d'aliment.

      C'est une circonstance peu remarquée dans un autre genre que d'avoir du papier ou d'en manquer; et cependant plusieurs auteurs graves 185 ont observé que la disette qui s'en fit sentir, au dixième siècle, avait beaucoup contribué à prolonger le règne de la barbarie. Le papyrus d'Égypte, dont on se servait encore, et qui était à fort bon compte, cessa de s'y fabriquer quand les Sarrazins y eurent porté leurs ravages, quand ils y eurent détruit les arts, le commerce, renversé les écoles et brûlé les bibliothèques. Le papier était donc devenu, depuis près de trois siècles, très-rare et très-cher en Occident 186. Le prix du parchemin était au-dessus des facultés, et des particuliers qui pouvaient encore écrire, et des moines. Il en résulta un cruel dommage; les copistes, pour ne pas rester oisifs, effaçaient d'anciens ouvrages écrits sur parchemin, et en écrivaient de nouveaux à la place. Muratori rapporte en avoir vu plusieurs de cette espèce à Milan, dans la bibliothèque Ambroisienne. L'un d'eux contenait les œuvres du vénérable Bède. «Ce qui me parut digne d'une attention particulière, dit-il, c'est que l'écrivain s'était servi de ces parchemins, en effaçant la plus ancienne écriture, pour écrire un livre nouveau. Il restait cependant un grand nombre de mots visibles, et tracés depuis tant de siècles, en caractères majuscules, dont la forme indiquait qu'ils avaient plus de mille ans d'antiquité» 187. Il est vrai que ce livre effacé était un livre d'église, mais on ne peut douter que cette méthode, une fois adoptée par le besoin, ne s'exerçât au moins indifféremment sur le sacré et sur le profane; et rien n'est en même temps et plus douloureux et plus croyable que ce que dit notre savant Mabillon 188, que les Grecs, comme les Latins, manquant de parchemin pour leurs livres d'église, se mirent à effacer les premiers manuscrits qui leur tombaient sous la main, et changèrent des Polybes, des Dion, des Diodore de Sicile, en Antiphonaires, en Pentecostaires, et en recueils d'Homélies. Mais le besoin excite à la fin l'industrie. Dans l'incertitude où sont les érudits sur l'époque précise de l'invention du papier d'Europe, le P. Montfaucon, suivi par Maffei, par Muratori et par d'autres qui font autorité, la fait remonter au onzième siècle 189; et cette invention,

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<p>173</p>

Telles que celles de Benoît VIII, Jean XIX son frère, et Benoît IX leur neveu, tous trois descendants de Marosie. Ils achetèrent successivement, ou leur famille acheta pour eux, les suffrages du peuple, qui était encore en possession d'élire les papes. Le dernier des trois, qui était très-jeune, et même, selon quelques historiens, encore enfant, souilla pendant douze ans le siège pontifical par tout ce que les vols, les massacres et l'impudicité ont de plus horrible. Il le vendit ensuite à l'archiprêtre Jean, qui prit le nom de Grégoire VI; et il alla se livrer sans contrainte, dans ses châteaux, à la vie crapuleuse qui était seule de son goût. C'est ce que raconte un de ses successeurs, Victor III, dans un Dialogue rapporté en Appendix à la chronique du mont Cassin, liv. II, t. IV, p. 396. Ce sont là des faits historiques que l'auteur de cet ouvrage dissimulait dans ses leçons publiques, et qu'il ne faisait que désigner par des expressions générales, dans le temps qu'on l'accusait de rechercher avec une affectation maligne tout ce qui pouvait être défavorable à la papauté.

<p>174</p>

L'empereur Henri III se ressaisit du droit d'intervenir dans la nomination des papes, qu'avaient eu les empereurs Grecs et les Carlovingiens. Il présenta Clément II à l'élection du peuple, et ensuite élut de son autorité Damase II, Léon IX et Victor II; ce dernier en 1055. Après sa mort, le peuple et l'église nommèrent, en 1057, Etienne X; et ce fut sous son successeur, Nicolas II, que le concile de Latran attribua, pour l'avenir, l'élection des papes aux cardinaux. Vinrent ensuite le pontificat de Grégoire VII, la donation de la comtesse Mathilde, les démêlés trop fameux de ce pape avec l'empereur Henri IV, etc.; époque de la puissance temporelle des papes, et de l'avilissement des empereurs et des rois.

<p>175</p>

Ceux qui avaient fondé le duché de Bénévent.

<p>176</p>

En 1073.

<p>177</p>

La mère de Mathilde, femme du marquis Boniface, comte ou duc de Toscane, et sœur de l'empereur Henri III, souleva contre son frère toutes les parties de l'Italie où s'étendait son pouvoir, et qui formaient l'héritage de sa fille, c'est-à-dire, la Toscane, les états de Mantoue, de Modène, de Parme, de Ferrare, de Vérone, une partie de l'Ombrie, de la Marche d'Ancône, et presque tout ce qui a été nommé depuis le patrimoine de S. Pierre. Ayant fait imprudemment un voyage à la cour de l'empereur, elle fut arrêtée, et resta long-temps prisonnière; elle laissa, en mourant, à sa fille Mathilde, ses ressentiments avec tous ses biens.

<p>178</p>

Essai sur les Mœurs et sur l'Esprit des Nations, ch. 46.

<p>179</p>

On sait la manière dont ce pape, enfermé dans la forteresse de Canosse, avec la comtesse Mathilde, y reçut l'espèce d'amende honorable que vint lui faire l'empereur. Voyez, sur cette scène déshonorante pour l'Empire, tous les historiens; et cherchez dans tous les livres qui peuvent faire autorité en matière de religion, quelque chose qui la justifie.

<p>180</p>

Dans la collection des conciles du P. Labbe, t. X.

<p>181</p>

Depuis que ceci est écrit, il a paru un jugement plein d'équité sur ces lettres, sur le caractère, les plans et la conduite de leur auteur, dans l'excellent ouvrage de M. le professeur Heeren, traduit de l'allemand en français, par M. Charles Villers, et qui a partagé, en 1808, le prix proposé par la classe d'histoire et de littérature ancienne de l'Institut de France, sur la belle question de l'influence des croisades. Voyez cet ouvrage, p. 73-90.

<p>182</p>

En 1078.

<p>183</p>

Concil. collect. Harduin. t. VI, part. I, p. 1580, cité par Tiraboschi, t. III. p. 218.

<p>184</p>

Bettinelli, Risorgim. d'Ital., c. 2.

<p>185</p>

Muratori, Antichità Ital., Dissert. 43; Andrès, Orig. Progr. e stat. att. d'ogni Lett., c. 7; Bettinelli, Risorg. d'Ital., c. 2.

<p>186</p>

Muratori, loc. cit.

<p>187</p>

Muratori, loc. cit.

<p>188</p>

De re Diplomaticâ, cité par Bettin., Risorg. d'Ital., c. 2.

<p>189</p>

Voy. Montfaucon, Palœogr. Grœca, l. I, c. 2; le même, tome IX de l'Acad. des Inscr., Dissertation sur le papier; Maffei, Histor. Diplomatica, p. 77; Muratori, Antich. d'Ital., Dissert. 43. Il est vrai que Tiraboschi recule jusqu'au quatorzième siècle, l'invention du pap. de lin; t, V, l. I, c. 4, p. 76.