Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo

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deux berceaux des petits enfants etaient pres du lit de la jeune mere, dans la chambre du second etage donnant sur la place, au-dessus de l'appartement de l'aieul.

      Cet homme etait de ceux qui ont l'ame habituellement sereine. Ce jour-la, le 27 mai, cette serenite etait encore augmentee en lui par la pensee d'une chose fraternelle qu'il avait faite le matin meme. L'annee 1871, on s'en souvient, a ete une des plus fatales de l'histoire; on etait dans un moment lugubre. Paris venait d'etre viole deux fois; d'abord par le parricide, la guerre de l'etranger contre la France, ensuite par le fratricide, la guerre des francais contre les francais. Pour l'instant la lutte avait cesse; l'un des deux partis avait ecrase l'autre; on ne se donnait plus de coups de couteau, mais les plaies restaient ouvertes; et a la bataille avait succede cette paix affreuse et gisante que font les cadavres a terre et les flaques de sang fige.

      Il y avait des vainqueurs et des vaincus; c'est-a-dire d'un cote nulle clemence, de l'autre nul espoir.

      Un unanime vae victis retentissait dans toute l'Europe. Tout ce qui se passait pouvait se resumer d'un mot, une immense absence de pitie. Les furieux tuaient, les violents applaudissaient, les morts et les laches se taisaient. Les gouvernements etrangers etaient complices de deux facons; les gouvernements traitres souriaient, les gouvernements abjects fermaient aux vaincus leur frontiere. Le gouvernement catholique belge etait un de ces derniers. Il avait, des le 26 mai, pris des precautions contre toute bonne action; et il avait honteusement et majestueusement annonce dans les deux Chambres que les fugitifs de Paris etaient au ban des nations, et que, lui gouvernement belge, il leur refusait asile.

      Ce que voyant, l'habitant solitaire de la place des Barricades avait decide que cet asile, refuse par les gouvernements a des vaincus, leur serait offert par un exile.

      Et, par une lettre rendue publique le 27 mai, il avait declare que, puisque toutes les portes etaient fermees aux fugitifs, sa maison a lui leur etait ouverte, qu'ils pouvaient s'y presenter, et qu'ils y seraient les bienvenus, qu'il leur offrait toute la quantite d'inviolabilite qu'il pouvait avoir lui-meme, qu'une fois entres chez lui personne ne les toucherait sans commencer par lui, qu'il associait son sort au leur, et qu'il entendait ou etre en danger avec eux, ou qu'ils fussent en surete avec lui.

      Cela fait, le soir venu, apres sa journee ordinaire de promenade solitaire, de reverie et de travail, il rentra dans sa maison. Tout le monde etait deja couche dans le logis. Il monta au deuxieme etage, et ecouta a travers une porte la respiration egale des petits enfants. Puis il redescendit au premier dans sa chambre, il s'accouda quelques instants a sa croisee, songeant aux vaincus, aux accables, aux desesperes, aux suppliants, aux choses violentes que font les hommes, et contemplant la celeste douceur de la nuit.

      Puis il ferma sa fenetre, ecrivit quelques mots, quelques vers, se deshabilla reveur, envoya encore une pensee de pitie aux vainqueurs aussi bien qu'aux vaincus, et, en paix avec Dieu, il s'endormit.

      Il fut brusquement reveille. A travers les profonds reves du premier sommeil, il entendit un coup de sonnette; il se dressa. Apres quelques secondes d'attente, il pensa que c'etait quelqu'un qui se trompait de porte; peut-etre meme ce coup de sonnette etait-il imaginaire; il y a de ces bruits dans les reves; il remit sa tete sur l'oreiller.

      Une veilleuse eclairait la chambre.

      Au moment ou il se rendormait, il y eut un second coup de sonnette, tres opiniatre et tres prolonge. Cette fois il ne pouvait douter; il se leva, mit un pantalon a pied, des pantoufles et une robe de chambre, alla a la fenetre et l'ouvrit.

      La place etait obscure, il avait encore dans les yeux le trouble du sommeil, il ne vit rien que de l'ombre, il se pencha sur cette ombre et demanda: Qui est la?

      Une voix tres basse, mais tres distincte, repondit: Dombrowski.

      Dombrowski etait le nom d'un des vaincus de Paris. Les journaux annoncaient, les uns qu'il avait ete fusille, les autres qu'il etait en fuite.

      L'homme que la sonnette avait reveille pensa que ce fugitif etait la, qu'il avait lu sa lettre publiee le matin, et qu'il venait lui demander asile. Il se pencha un peu, et apercut en effet, dans la brume nocturne, au-dessous de lui, pres de la porte de la maison, un homme de petite taille, aux larges epaules, qui otait son chapeau et le saluait. Il n'hesita pas, et se dit: Je vais descendre et lui ouvrir.

      Comme il se redressait pour fermer la fenetre, une grosse pierre, violemment lancee, frappa le mur a cote de sa tete. Surpris, il regarda. Un fourmillement de vagues formes humaines, qu'il n'avait pas remarque d'abord, emplissait le fond de la place. Alors il comprit. Il se souvint que la veille, on lui avait dit: Ne publiez pas cette lettre, sinon vous serez assassine. Une seconde pierre, mieux ajustee, brisa la vitre au-dessus de son front, et le couvrit d'eclats de verre, dont aucun ne le blessa. C'etait un deuxieme renseignement sur ce qui allait etre fait ou essaye. Il se pencha sur la place, le fourmillement d'ombres s'etait rapproche et etait masse sous sa fenetre; il dit d'une voix haute a cette foule: Vous etes des miserables!

      Et il referma la croisee.

      Alors des cris frenetiques s'eleverent: A mort! A la potence! A la lanterne! A mort le brigand!

      Il comprit que "le brigand" c'etait lui. Pensant que cette heure pouvait etre pour lui la derniere, il regarda sa montre. Il etait minuit et demi.

      Abregeons. Il y eut un assaut furieux. On en verra le detail dans ce livre. Qu'on se figure cette douce maison endormie, et ce reveil epouvante. Les femmes se leverent en sursaut, les enfants eurent peur, les pierres pleuvaient, le fracas des vitres et des glaces brisees etait inexprimable. On entendait ce cri: A mort! A mort! Cet assaut eut trois reprises et dura sept quarts d'heure, de minuit et demi a deux heures un quart. Plus de cinq cents pierres furent lancees dans la chambre; une grele de cailloux s'abattit sur le lit, point de mire de cette lapidation. La grande fenetre fut defoncee; les barreaux du soupirail du couloir d'entree furent tordus; quant a la chambre, murs, plafond, parquet, meubles, cristaux, porcelaines, rideaux arraches par les pierres, qu'on se represente un lieu mitraille. L'escalade fut tentee trois fois, et l'on entendit des voix crier: Une echelle! L'effraction fut essayee, mais ne put disloquer la doublure de fer des volets du rez-de-chaussee. On s'efforca de crocheter la porte; il y eut un gros verrou qui resista. L'un des enfants, la petite fille, etait malade; elle pleurait, l'aieul l'avait prise dans ses bras; une pierre lancee a l'aieul passa pres de la tete de l'enfant. Les femmes etaient en priere; la jeune mere, vaillante, montee sur le vitrage d'une serre, appelait au secours; mais autour de la maison en danger la surdite etait profonde, surdite de terreur, de complicite peut-etre. Les femmes avaient fini par remettre dans leurs berceaux les deux enfants effrayes, et l'aieul, assis pres d'eux, tenait leurs mains dans ses deux mains; l'aine, le petit garcon, qui se souvenait du siege de Paris, disait a demi-voix, en ecoutant le tumulte sauvage de l'attaque: C'est des prussiens. Pendant deux heures les cris de mort allerent grossissant, une foule effrenee s'amassait dans la place. Enfin il n'y eut plus qu'une seule clameur: Enfoncons la porte!

      Peu apres que ce cri fut pousse, dans une rue voisine, deux hommes portant une longue poutre, propre a battre les portes des maisons assiegees, se dirigeaient vers la place des Barricades, vaguement entrevus comme dans un crepuscule de la Foret-Noire.

      Mais en meme temps que la poutre le soleil arrivait; le jour se leva. Le jour est un trop grand regard pour de certaines actions; la bande se dispersa. Ces fuites d'oiseaux de nuit font partie de l'aurore.

      V

      Quel est le but de ce double recit? le voici: mettre en regard deux facons differentes d'agir, resultant de deux educations differentes.

      Voila deux foules, l'une qui envahit la maison n deg. 6 de la place

      Royale, a Paris; l'autre qui assiege la maison n deg. 3 de la place des

      Barricades,

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