Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo
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X
Les Assemblees ont un meuble qu'on appelle la tribune. Quand les Assemblees seront ce qu'elles doivent etre, la tribune sera en marbre blanc, comme il sied au trepied de la pensee et a l'autel de la conscience, et il y aura des Phidias et des Michel-Ange pour la sculpter. En attendant que la tribune soit en marbre, elle est en bois, et, en attendant qu'elle soit un trepied et un autel, elle est, nous venons de le dire, un meuble. C'est moins encombrant pour les coups d'etat; un meuble, cela se met au grenier. Cela en sort aussi. La tribune actuelle du senat a eu cette aventure.
Elle est en bois; pas meme en chene; en acajou, avec pilastres et cuivres dores, a la mode du directoire, et au lieu de Michel-Ange et de Phidias elle a eu pour sculpteur Ravrio. Elle est vieille, quoiqu'elle semble neuve. Elle n'est pas vierge. Elle a ete la tribune du conseil des anciens, et elle a vu l'entree factieuse des grenadiers de Bonaparte. Puis, elle a ete la tribune du senat de l'empire. Elle l'a ete deux fois; d'abord apres le 18 Brumaire, ensuite apres le 2 Decembre. Elle a subi le defile des eloquences des deux empires; elle a vu se dresser au-dessus d'elle ces hautes et inflexibles consciences, d'abord l'inaccessible Cambaceres, puis l'infranchissable Troplong; elle a vu succeder la chastete de Baroche a la pudeur de Fouche; elle a ete le lieu ou l'on a pu, a cinquante ans d'intervalle, comparer a ces fiers senateurs, les Sieyes et les Fontanes, ces autres senateurs non moins altiers, les Merimee et les Sainte-Beuve. Sur elle ont rayonne Suin, Fould, Delangle, Espinasse, M. Nisard.
Elle a eu devant elle un banc d'eveques dont aurait pu etre Talleyrand, et un banc de generaux dont a ete Bazaine. Elle a vu le premier empire commencer par l'illusion d'Austerlitz, et le deuxieme empire s'achever par le reveil du demembrement. Elle a possede Fialin, Vieillard, Pelissier, Saint-Arnaud, Dupin. Aucune illustration ne lui a ete epargnee. Elle a assiste a des glorifications inouies, a la celebration de Puebla, a l'hosanna de Sadowa, a l'apotheose de Mentana. Elle a entendu des personnages competents affirmer qu'on sauvait la societe, la famille et la religion en mitraillant les promeneurs sur le boulevard. Elle a eu tel homme que la legion d'honneur n'a plus. Elle a, pour nous borner au dernier empire, ete, pendant dix-neuf ans, illuminee par la pleiade de toutes les hontes; elle a entendu une sorte de long cantique, psalmodie par les devots athees aussi bien que par les devots catholiques, en l'honneur du parjure, du guet-apens et de la trahison; pas une lachete ne lui a manque; pas une platitude ne lui a fait defaut; elle a eu l'inviolabilite officielle; elle a ete si parfaitement auguste qu'elle en a profite pour etre completement immonde; elle a entendu on ne sait qui confier l'epee de la France a un aventurier pour on ne sait quoi, qui etait Sedan; cette tribune a eu un tressaillement de gloire et de joie a l'approche des catastrophes; ce morceau de bois d'acajou a ete quelque chose comme le proche parent du trone imperial, qui du reste, on le sait, et l'on a l'aveu de Napoleon, n'etait que sapin; les autres tribunes sont faites pour parler, celle-ci avait ete faite pour etre muette; car c'est etre muet que de taire au peuple le devoir, le droit, l'honneur, l'equite. Eh bien! un jour est venu ou cette tribune a brusquement pris la parole, pour dire quoi? La realite.
Oui, et c'est la une de ces surprises que nous fait la logique profonde des evenements, un jour on s'est apercu que cette tribune, successivement occupee par toutes les corruptions adorant l'iniquite et par toutes les complicites soutenant le crime, etait faite pour que la justice montat dessus; a une certaine heure, le 22 mai 1876, un passant, le premier venu, n'importe qui, – mais n'importe qui, c'est l'histoire, – a mis le pied sur cette chose qui n'avait encore servi qu'a l'empire, et ce passant a delie la langue des faits; il a employe ce sommet de la gloire imperiale a pilorier Cesar; sur la tribune meme ou avait ete chante le Tedeum pour le crime, il a donne a ce Tedeum le dementi de la conscience humaine, et, insistons-y, c'est la l'inattendu de l'histoire, du haut de ce piedestal du mensonge, la verite a parle.
Les deux empires avaient pourtant triomphe bien longtemps. Et quant au dernier, il s'etait declare providentiel, qui est l'a peu pres d'eternel.
Que ceci fasse reflechir les conspirateurs actuels du despotisme.
Quand Cesar est mort, Pierre est malade.
XI
Paris vaincra Rome.
Toute la question humaine est aujourd'hui dans ces trois mots.
Rome ira decroissant et Paris ira grandissant.
Nous ne parlons pas ici des deux cites, qui sont toutes deux egalement augustes, mais des deux principes; Rome signifiant la foi et Paris la raison.
L'ame de la vieille Rome est aujourd'hui dans Paris. C'est Paris qui a le Capitole; Rome n'a plus que le Vatican.
On peut dire de Paris qu'il a des vertus de chevalier; il est sans peur et sans reproche. Sans peur, il le prouve devant l'ennemi; sans reproche, il le prouve devant l'histoire. Il a eu parfois la colere; est-ce que le ciel n'a pas le vent? Comme les grands vents, les coleres de Paris sont assainissantes. Apres le 14 juillet, il n'y a plus de Bastille; apres le 10 aout, il n'y a plus de royaute. Orages justifies par l'elargissement de l'azur.
De certaines violences ne sont pas le fait de Paris. L'histoire constatera, par exemple, que ce qu'on reproche au 18 Mars n'est pas imputable au peuple de Paris; il y a la une sombre culpabilite partageable entre plusieurs hommes; et l'histoire aura a juger de quel cote a ete la provocation, et de quelle nature a ete la repression. Attendons la sentence de l'histoire.
En attendant, tous, qui que nous soyons, nous avons des obligations austeres; ne les oublions pas.
L'homme a en lui Dieu, c'est-a-dire la conscience; le catholicisme retire a l'homme la conscience, et lui met dans l'ame le pretre a la place de Dieu; c'est la le travail du confessionnal; le dogme, nous l'avons dit, se substitue a la raison; il en resulte cette profonde servitude, croire l'absurde; credo quia absurdum.
Le catholicisme fait l'homme esclave, la philosophie le fait libre.
De la de plus grands devoirs.
Les dogmes sont ou des lisieres ou des bequilles. Le catholicisme traite l'homme tantot en enfant, tantot en vieillard. Pour la philosophie l'homme est un homme. L'eclairer c'est le delivrer. Le delivrer du faux, c'est l'assujettir au vrai.
Disons les verites severes.
XII
Tout ce qui augmente la liberte augmente la responsabilite. Etre libre, rien n'est plus grave; la liberte est pesante, et toutes les chaines qu'elle ote au corps, elle les ajoute a la conscience; dans la conscience, le droit se retourne et devient devoir. Prenons garde a ce que nous faisons; nous vivons dans des temps exigeants. Nous repondons a la fois de ce qui fut et de ce qui sera. Nous avons derriere nous ce qu'ont fait nos peres et devant nous ce que feront nos enfants. Or a nos peres nous devons compte de leur tradition et a nos enfants de leur itineraire. Nous devons etre les continuateurs resolus des uns et les guides prudents des autres. Il serait pueril de se dissimuler qu'un profond travail se fait dans les institutions humaines et que des transformations sociales se preparent. Tachons que ces transformations soient calmes et s'accomplissent, dans ce qu'on appelle (a tort, selon moi) le haut et le bas de la societe, avec un fraternel sentiment d'acceptation reciproque. Remplacons les commotions par les concessions. C'est ainsi que la civilisation avance. Le progres n'est autre chose que la revolution faite a l'amiable.
Donc, legislateurs et citoyens, redoublons de sagesse, c'est-a-dire de bienveillance. Guerissons les blessures, eteignons les animosites; en supprimant la haine nous supprimons la guerre; que pas une tempete ne soit de notre faute. Quatrevingt-neuf a ete une colere utile. Quatrevingt-treize a ete une fureur necessaire; mais il n'y a plus desormais ni utilite ni necessite aux violences; toute acceleration de circulation serait maintenant un trouble; otons aux fureurs et aux coleres leur raison d'etre; ne laissons couver aucun ferment terrible. C'est deja bien assez d'entrer dans