Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo
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C'est avec cette fraternite dans le coeur que nous accepterons votre guerre.
Mais cette guerre, allemands, quel sens a-t-elle? Elle est finie, puisque l'empire est fini. Vous avez tue votre ennemi qui etait le notre. Que voulez-vous de plus?
Vous venez prendre Paris de force! Mais nous vous l'avons toujours offert avec amour. Ne faites pas fermer les portes par un peuple qui de tout temps vous a tendu les bras. N'ayez pas d'illusions sur Paris. Paris vous aime, mais Paris vous combattra. Paris vous combattra avec toute la majeste formidable de sa gloire et de son deuil. Paris, menace de ce viol brutal, peut devenir effrayant.
Jules Favre vous l'a dit eloquemment, et tous nous vous le repetons, attendez-vous a une resistanceindignee.
Vous prendrez la forteresse, vous trouverez l'enceinte; vous prendrez l'enceinte, vous trouverez la barricade; vous prendrez la barricade, et peut-etre alors, qui sait ce que peut conseiller le patriotisme en detresse? vous trouverez l'egout mine faisant sauter des rues entieres. Vous aurez a accepter celte condamnation terrible; prendre Paris pierre par pierre, y egorger l'Europe sur place, tuer la France en detail, dans chaque rue, dans chaque maison; et cette grande lumiere, il faudra l'eteindre ame par ame. Arretez-vous.
Allemands, Paris est redoutable. Soyez pensifs devant Paris. Toutes les transformations lui sont possibles. Ses mollesses vous donnent la mesure de ses energies; on semblait dormir, on se reveille; on tire l'idee du fourreau comme l'epee, et cette ville qui etait hier Sybaris peut etre demain Saragosse.
Est-ce que nous disons ceci pour vous intimider? Non, certes! On ne vous intimide pas, allemands. Vous avez eu Galgacus contre Rome et Koerner contre Napoleon. Nous sommes le peuple de la Marseillaise, mais vous etes le peuple des Sonnets cuirasses et du Cri de l'Epee. Vous etes cette nation de penseurs qui devient au besoin une legion de heros. Vos soldats sont dignes des notres; les notres sont la bravoure impassible, les votres sont la tranquillite intrepide.
Ecoutez pourtant.
Vous avez des generaux ruses et habiles, nous avions des chefs ineptes; vous avez fait la guerre adroite plutot que la guerre eclatante; vos generaux ont prefere l'utile au grand, c'etait leur droit; vous nous avez pris par surprise; vous etes venus dix contre un; nos soldats se sont laisse stoiquement massacrer par vous qui aviez mis savamment toutes les chances de votre cote; de sorte que, jusqu'a ce jour, dans cette effroyable guerre, la Prusse a la victoire, mais la France a la gloire.
A present, songez-y, vous croyez avoir un dernier coup a faire, vous ruer sur Paris, profiter de ce que notre admirable armee, trompee et trahie, est a cette heure presque tout entiere etendue morte sur le champ de bataille, pour vous jeter, vous sept cent mille soldats, avec toutes vos machines de guerre, vos mitrailleuses, vos canons d'acier, vos boulets Krupp, vos fusils Dreyse, vos innombrables cavaleries, vos artilleries epouvantables, sur trois cent mille citoyens debout sur leur rempart, sur des peres defendant leur foyer, sur une cite pleine de familles fremissantes, ou il y a des femmes, des soeurs, des meres, et ou, a cette heure, moi qui vous parle, j'ai mes deux petits-enfants, dont un a la mamelle. C'est sur cette ville innocente de cette guerre, sur cette cite qui ne vous a rien fait que vous donner sa clarte, c'est sur Paris isole, superbe et desespere, que vous vous precipiteriez, vous, immense flot de tuerie et de bataille! ce serait la votre role, hommes vaillants, grands soldats, illustre armee de la noble Allemagne! Oh! reflechissez!
Le dix-neuvieme siecle verrait cet affreux prodige, une nation, de policee devenue sauvage, abolissant la ville des nations; l'Allemagne eteignant Paris; la Germanie levant la hache sur la Gaule! Vous, les descendants des chevaliers teutoniques, vous feriez la guerre deloyale, vous extermineriez le groupe d'hommes et d'idees dont le monde a besoin, vous aneantiriez la cite organique, vous recommenceriez Attila et Alaric, vous renouvelleriez, apres Omar, l'incendie de la bibliotheque humaine, vous raseriez l'Hotel de Ville comme les huns ont rase le Capitole, vous bombarderiez Notre-Dame comme les turcs ont bombarde le parthenon; vous donneriez au monde ce spectacle, les allemands redevenus les vandales, et vous seriez la barbarie decapitant la civilisation!
Non, non, non!
Savez-vous ce que serait pour vous cette victoire? ce serait le deshonneur.
Ah! certes, personne ne peut songer a vous effrayer, allemands, magnanime armee, courageux peuple! mais on peut vous renseigner. Ce n'est pas, a coup sur, l'opprobre que vous cherchez; eh bien, c'est l'opprobreque vous trouveriez; et moi, europeen, c'est-a-dire ami de Paris, moi parisien, c'est-a-dire ami des peuples, je vous avertis du peril ou vous etes, mes freres d'Allemagne, parce que je vous admire et je vous honore, et parce que je sais bien que, si quelque chose peut vous faire reculer, ce n'est pas la peur, c'est la honte.
Ah! nobles soldats, quel retour dans vos foyers! Vous seriez des vainqueurs la tete basse; et qu'est-ce que vos femmes vous diraient?
La mort de Paris, quel deuil!
L'assassinat de Paris, quel crime!
Le monde aurait le deuil, vous auriez le crime.
N'acceptez pas cette responsabilite formidable. Arretez-vous.
Et puis, un dernier mot. Paris pousse a bout, Paris soutenu par toute la France soulevee, peut vaincre et vaincrait; et vous auriez tente en pure perte cette voie de fait qui deja indigne le monde. Dans tous les cas, effacez de ces lignes ecrites en hate les mots destruction, abolition, mort. Non, on ne detruit pas Paris. Parvinton, ce qui est malaise, a le demolir materiellement, on le grandirait moralement. En ruinant Paris, vous le sanctifieriez. La dispersion des pierres ferait la dispersion des idees. Jetez Paris aux quatre vents, vous n'arriverez qu'a faire de chaque grain de cette cendre la semence de l'avenir. Ce sepulcre criera Liberte, Egalite, Fraternite! Paris est ville, mais Paris est ame. Brulez nos edifices, ce ne sont que nos ossements; leur fumee prendra forme, deviendra enorme et vivante, et montera jusqu'au ciel, et l'on verra a jamais, sur l'horizon des peuples, au-dessus de nous, au-dessus de vous, au-dessus de tout et de tous, attestant notre gloire, attestant votre honte, ce grand spectre fait d'ombre et de lumiere, Paris.
Maintenant, j'ai dit. Allemands, si vous persistez, soit, vous etes avertis. Faites, allez, attaquez la muraille de Paris. Sous vos bombes et vos mitrailles, elle se defendra. Quant a moi, vieillard, j'y serai, sans armes. Il me convient d'etre avec les peuples qui meurent, je vous plains d'etre avec les rois qui tuent.
Paris, 9 septembre 1870.
III
Aux paroles de M. Victor Hugo la presse feodale allemande avait repondu par des cris de colere. [Note: "Pendez le poete au haut du mat. —Haengt den Dichter an den Mast auf."] L'armee allemande continuait sa marche. Il ne restait plus d'espoir que dans la levee en masse. Crier aux armes etait le devoir de tout citoyen. Apres l'appel de paix, l'appel de guerre.
Nous avons fraternellement averti l'Allemagne.
L'Allemagne a continue sa marche sur Paris.
Elle est aux portes.
L'empire a attaque l'Allemagne comme il avait attaque