Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo

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la republique, a l'improviste, en traitre; et aujourd'hui l'Allemagne, de cette guerre que l'empire lui a faite, se venge sur la republique.

      Soit. L'histoire jugera.

      Ce que l'Allemagne fera maintenant la regarde; mais nous France, nous avons des devoirs envers les nations et envers le genre humain. Remplissons-les.

      Le premier des devoirs est l'exemple.

      Le moment ou nous sommes est une grande heure pour les peuples.

      Chacun va donner sa mesure.

      La France a ce privilege, qu'a eu jadis Rome, qu'a eu jadis la Grece, que son peril va marquer l'etiage de la civilisation.

      Ou en est le monde? Nous allons le voir.

      S'il arrivait, ce qui est impossible, que la France succombat, la quantite de submersion qu'elle subirait indiquerait la baisse de niveau du genre humain.

      Mais la France ne succombera pas.

      Par une raison bien simple, et nous venons de le dire. C'est qu'elle fera son devoir.

      La France doit a tous les peuples et a tous les hommes de sauver

      Paris, non pour Paris, mais pour le monde.

      Ce devoir, la France l'accomplira.

      Que toutes les communes se levent! que toutes les campagnes prennent feu! que toutes les forets s'emplissent de voix tonnantes! Tocsin! tocsin! Que de chaque maison il sorte un soldat; que le faubourg devienne regiment; que la ville se fasse armee. Les prussiens sont huit cent mille, vous etes quarante millions d'hommes. Dressez-vous, et soufflez sur eux! Lille, Nantes, Tours, Bourges, Orleans, Dijon, Toulouse, Bayonne, ceignez vos reins. En marche! Lyon, prends ton fusil, Bordeaux, prends ta carabine, Rouen, tire ton epee, et toi Marseille, chante ta chanson et viens terrible. Cites, cites, cites, faites des forets de piques, epaississez vos bayonnettes, attelez vos canons, et toi village, prends ta fourche. On n'a pas de poudre, on n'a pas de munitions, on n'a pas d'artillerie? Erreur! on en a. D'ailleurs les paysans suisses n'avaient que des cognees, les paysans polonais n'avaient que des faulx, les paysans bretons n'avaient que des batons. Et tout s'evanouissait devant eux! Tout est secourable a qui fait bien. Nous sommes chez nous. La saison sera pour nous, la bise sera pour nous, la pluie sera pour nous. Guerre ou Honte! Qui veut peut. Un mauvais fusil est excellent quand le coeur est bon; un vieux troncon de sabre est invincible quand le bras est vaillant. C'est aux paysans d'Espagne que s'est brise Napoleon. Tout de suite, en hate, sans perdre un jour, sans perdre une heure, que chacun, riche, pauvre, ouvrier, bourgeois, laboureur, prenne chez lui ou ramasse a terre tout ce qui ressemble a une arme ou a un projectile. Roulez des rochers, entassez des paves, changez les socs en haches, changez les sillons en fosses, combattez avec tout ce qui vous tombe sous la main, prenez les pierres de notre terre sacree, lapidez les envahisseurs avec les ossements de notre mere la France. O citoyens, dans les cailloux du chemin, ce que vous leur jetez a la face, c'est la patrie.

      Que tout homme soit Camille Desmoulins, que toute femme soit Theroigne, que tout adolescent soit Barra! Faites comme Bonbonnel, le chasseur de pantheres, qui, avec quinze hommes, a tue vingt prussiens et fait trente prisonniers. Que les rues des villes devorent l'ennemi, que la fenetre s'ouvre furieuse, que le logis jette ses meubles, que le toit jette ses tuiles, que les vieilles meres indignees attestent leurs cheveux blancs. Que les tombeaux crient, que derriere toute muraille on sente le peuple et Dieu, qu'une flamme sorte partout de terre, que toute broussaille soit le buisson ardent! Harcelez ici, foudroyez la, interceptez les convois, coupez les prolonges, brisez les ponts, rompez les routes, effondrez le sol, et que la France sous la Prusse devienne abime.

      Ah! peuple! te voila accule dans l'antre. Deploie ta stature inattendue. Montre au monde le formidable prodige de ton reveil. Que le lion de 92 se dresse et se herisse, et qu'on voie l'immense volee noire des vautours a deux tetes s'enfuir a la secousse de cette criniere!

      Faisons la guerre de jour et de nuit, la guerre des montagnes, la guerre des plaines, la guerre des bois. Levez-vous! levez-vous! Pas de treve, pas de repos, pas de sommeil. Le despotisme attaque la liberte, l'Allemagne attente a la France. Qu'a la sombre chaleur de notre sol cette colossale armee fonde comme la neige. Que pas un point du territoire ne se derobe au devoir. Organisons l'effrayante bataille de la patrie. O francs-tireurs, allez, traversez les halliers, passez les torrents, profitez de l'ombre et du crepuscule, serpentez dans les ravins, glissez-vous, rampez, ajustez, tirez, exterminez l'invasion. Defendez la France avec heroisme, avec desespoir, avec tendresse. Soyez terribles, o patriotes! Arretez-vous seulement, quand vous passerez devant une chaumiere, pour baiser au front un petit enfant endormi.

      Car l'enfant c'est l'avenir. Car l'avenir c'est la republique.

      Faisons cela, francais.

      Quant a l'Europe, que nous importe l'Europe! Qu'elle regarde, si elle a des yeux. On vient a nous si l'on veut. Nous ne quetons pas d'auxiliaires. Si l'Europe a peur, qu'elle ait peur. Nous rendons service a l'Europe, voila tout. Qu'elle reste chez elle, si bon lui semble. Pour le redoutable denoument que la France accepte si l'Allemagne l'y contraint, la France suffit a la France, et Paris suffit a Paris. Paris a toujours donne plus qu'il n'a recu. S'il engage les nations a l'aider, c'est dans leur interet plus encore que dans le sien. Qu'elles fassent comme elles voudront, Paris ne prie personne. Un si grand suppliant, que lui etonnerait l'histoire. Sois grande ou sois petite, Europe, c'est ton affaire. Incendiez Paris, allemands, comme vous avez incendie Strasbourg. Vous allumerez les coleres plus encore que les maisons.

      Paris a des forteresses, des remparts, des fosses, des canons, des casemates, des barricades, des egouts qui sont des sapes; il a de la poudre, du petrole et de la nitro-glycerine; il a trois cent mille citoyens armes; l'honneur, la justice, le droit, la civilisation indignee, fermentent en lui; la fournaise vermeille de la republique s'enfle dans son cratere; deja sur ses pentes se repandent et s'allongent des coulees de lave, et il est plein, ce puissant Paris, de toutes les explosions de l'ame humaine. Tranquille et formidable, il attend l'invasion, et il sent monter son bouillonnement. Un volcan n'a pas besoin d'etre secouru.

      Francais, vous combattrez. Vous vous devouerez a la cause universelle, parce qu'il faut que la France soit grande afin que la terre soit affranchie; parce qu'il ne faut pas que tant de sang ait coule et que tant d'ossements aient blanchi sans qu'il en sorte la liberte; parce que toutes les ombres illustres, Leonidas, Brutus, Arminius, Dante, Rienzi, Washington, Danton, Riego, Manin, sont la souriantes et fleres autour de vous; parce qu'il est temps de montrer a l'univers que la vertu existe, que le devoir existe et que la patrie existe; et vous ne faiblirez pas, et vous irez jusqu'au bout, et le monde saura par vous que, si la diplomatie est lache, le citoyen est brave; que, s'il y a des rois, il y a aussi des peuples; que, si le continent monarchique s'eclipse, la republique rayonne, et que, si, pour l'instant, il n'y a plus d'Europe, il y a toujours une France.

      Paris, 17 septembre 1870.

      IV

AUX PARISIENS

      On demanda a M. Victor Hugo d'aller par toute la France jeter lui-meme et reproduire sous toutes les formes de la parole ce cri de guerre. Il avait promis de partager le sort de Paris, il resta a Paris. Bientot Paris fut bloque et enferme; la Prusse l'investit et l'assiegea. Le peuple etait heroique. On etait en octobre. Quelques symptomes de division eclaterent. M. Victor Hugo, apres avoir parle aux allemands pour la paix, puis aux francais pour la guerre, s'adressa aux parisiens pour l'union.

      Il parait que les prussiens ont decrete que la France serait Allemagne et que l'Allemagne serait Prusse; que moi qui parle, ne lorrain, je suis allemand; qu'il faisait nuit en plein midi; que l'Eurotas, le Nil, le Tibre et la Seine etaient des affluents de la Spree; que la ville qui depuis quatre siecles eclaire le globe n'avait plus de raison d'etre; que Berlin suffisait; que Montaigne, Rabelais, d'Aubigne, Pascal,

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