Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo
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Paris, juillet 1876.
DEPUIS L'EXIL
PREMIERE PARTIE
PARIS
I
Le 4 septembre 1870, pendant que l'armee prussienne victorieuse marchait sur Paris, la republique fut proclamee; le 5 septembre, M. Victor Hugo, absent depuis dix-neuf ans, rentra. Pour que sa rentree fut silencieuse et solitaire, il prit celui des trains de Bruxelles qui arrive la nuit. Il arriva a Paris a dix heures du soir. Une foule considerable l'attendait a la gare du Nord. Il adressa au peuple l'allocution qu'on va lire:
Les paroles me manquent pour dire a quel point m'emeut l'inexprimable accueil que me fait le genereuxpeuple de Paris.
Citoyens, j'avais dit: Le jour ou la republique rentrera, je rentrerai. Me voici.
Deux grandes choses m'appellent. La premiere, la republique. La seconde, le danger.
Je viens ici faire mon devoir.
Quel est mon devoir?
C'est le votre, c'est celui de tous.
Defendre Paris, garder Paris.
Sauver Paris, c'est plus que sauver la France, c'est sauver le monde.
Paris est le centre meme de l'humanite. Paris est la ville sacree.
Qui attaque Paris attaque en masse tout le genre humain.
Paris est la capitale de la civilisation, qui n'est ni un royaume, ni un empire, et qui est le genre humain tout entier dans son passe et dans son avenir. Et savez-vous pourquoi Paris est la ville de la civilisation? C'est parce que Paris est la ville de la revolution.
Qu'une telle ville, qu'un tel chef-lieu, qu'un tel foyer de lumiere, qu'un tel centre des esprits, des coeurs et des ames, qu'un tel cerveau de la pensee universelle puisse etre viole, brise, pris d'assaut, parqui? par une invasion sauvage? cela ne se peut. Cela ne sera pas. Jamais, jamais, jamais!
Citoyens, Paris triomphera, parce qu'il represente l'idee humaine et parce qu'il represente l'instinct populaire.
L'instinct du peuple est toujours d'accord avec l'ideal de la civilisation.
Paris triomphera, mais a une condition: c'est que vous, moi, nous tous qui sommes ici, nous ne serons qu'une seule ame; c'est que nous ne serons qu'un seul soldat et un seul citoyen, un seul citoyen pour aimer Paris, un seul soldat pour le defendre.
A cette condition, d'une part la republique une, d'autre part le peuple unanime, Paris triomphera.
Quant a moi, je vous remercie de vos acclamations mais je les rapporte toutes a cette grande angoisse qui remue toutes les entrailles, la patrie en danger.
Je ne vous demande qu'une chose, l'union!
Par l'union, vous vaincrez.
Etouffez toutes les haines, eloignez tous les ressentiments, soyez unis, vous serez invincibles.
Serrons-nous tous autour de la republique en face de l'invasion, et soyons freres. Nous vaincrons.
C'est par la fraternite qu'on sauve la liberte.
Reconduit par le peuple jusqu'a l'avenue Frochot qu'il allait habiter, chez son ami M. Paul Meurice, et rencontrant partout la foule sur son passage, M. Victor Hugo, en arrivant rue de Laval, remercia encore une fois le peuple de Paris et dit:
"Vous me payez en une heure dix-neuf ans d'exil."
II
Cependant, l'armee allemande avancait et menacait. Il semblait qu'il fut temps encore d'elever la voix entre les deux nations. M. Victor Hugo publia, en francais et en allemand, l'appel que voici:
Allemands, celui qui vous parle est un ami.
II y a trois ans, a l'epoque de l'Exposition de 1867, du fond de l'exil, je vous souhaitais la bienvenue dans votre ville.
Quelle ville?
Paris.
Car Paris ne nous appartient pas a nous seuls. Paris est a vous autant qu'a nous. Berlin, Vienne; Dresde, Munich, Stuttgart, sont vos capitales; Paris est votre centre. C'est a Paris que l'on sent vivre l'Europe. Paris est la ville des villes. Paris est la ville des hommes. Il y a eu Athenes, il y a eu Rome, et il y a Paris.
Paris n'est autre chose qu'une immense hospitalite. Aujourd'hui vous y revenez. Comment?
En freres, comme il y a trois ans?
Non, en ennemis.
Pourquoi?
Quel est ce malentendu sinistre?
Deux nations ont fait l'Europe. Ces deux nations sont la France et l'Allemagne. L'Allemagne est pour l'occident ce que l'Inde est pour l'orient, une sorte de grande aieule. Nous la venerons. Mais que se passe-t-il donc? et qu'est-ce que cela veut dire? Aujourd'hui, cette Europe, que l'Allemagne a construite par son expansion et la France par son rayonnement, l'Allemagne veut la defaire.
Est-ce possible?
L'Allemagne deferait l'Europe en mutilant la France.
L'Allemagne deferait l'Europe en detruisant Paris.
Reflechissez.
Pourquoi cette invasion? Pourquoi cet effort sauvage contre un peuple frere?
Qu'est-ce que nous vous avons fait?
Cette guerre, est-ce qu'elle vient de nous? c'est l'empire qui l'a voulue, c'est l'empire qui l'a faite. Il est mort. C'est bien.
Nous n'avons rien de commun avec ce cadavre.
Il est le passe, nous sommes l'avenir.
Il est la haine, nous sommes la sympathie.
Il est la trahison, nous sommes la loyaute.
Il est Capoue et Gomorrhe, nous sommes la France.
Nous sommes la Republique francaise; nous avons pour devise: Liberte, Egalite, Fraternite; nous ecrivons sur notre drapeau: Etats-Unis d'Europe. Nous sommes le meme peuple que vous. Nous avons eu Vercingetorix comme vous avez eu Arminius. Le meme rayon fraternel, trait d'union sublime, traverse le coeur allemand et l'ame francaise.
Cela est si vrai que nous vous disons ceci: