Actes et Paroles, Volume 3. Victor Hugo

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Actes et Paroles, Volume 3 - Victor Hugo

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sublime qu'etant les accables, ils sont les moderes, et qu'etant les malheureux, ils sont les bons.

      Regardez ces autres hommes; ils sont ceux qui ont tout. Les autres sont en bas, eux ils sont en haut. Une occasion se presente d'etre laches et feroces; ils s'y precipitent. Leur chef est le fils d'un ministre; leur autre chef est le fils d'un senateur; il y a un prince parmi eux. Ils s'engagent dans un crime, et ils y vont aussi avant que la brievete de la nuit le leur permet. Ce n'est pas leur faute s'ils ne reussissent qu'a etre des bandits, ayant reve d'etre des assassins. Qui a fait les premiers? Paris.

      Qui a fait les seconds? Rome.

      Et, je le repete, avant l'enseignement, ils se valaient. Enfants riches et enfants pauvres, ils etaient dans l'aurore les memes tetes blondes et roses; ils avaient le meme bon sourire; ils etaient cette chose sacree, les enfants; par la faiblesse presque aussi petits que la mouche, par l'innocence presque aussi grands que Dieu.

      Et les voila changes, maintenant qu'ils sont hommes; les uns sont doux, les autres sont barbares. Pourquoi? c'est que leur ame s'est ouverte, c'est que leur esprit s'est sature d'influences dans des milieux differents; les uns ont respire Paris, les autres ont respire Rome.

      L'air qu'on respire, tout est la. C'est de cela que l'homme depend. L'enfant de Paris, meme inconscient, meme ignorant, car, jusqu'au jour ou l'instruction obligatoire existera, il a sur lui une ignorance voulue d'en haut, l'enfant de Paris respire, sans s'en douter et sans s'en apercevoir, une atmosphere qui le fait probe et equitable. Dans cette atmosphere il y a toute notre histoire; les dates memorables, les belles actions et les belles oeuvres, les heros, les poetes, les orateurs, le Cid, Tartuffe, le Dictionnaire philosophique, l'Encyclopedie, la tolerance, la fraternite, la logique, l'ideal litteraire, l'ideal social, la grande ame de la France. Dans l'atmosphere de Rome il y a l'inquisition, l'index, la censure, la torture, l'infaillibilite d'un homme substituee a la droiture de Dieu, la science niee, l'enfer eternel affirme, la fumee des encensoirs compliquee de la cendre des buchers. Ce que Paris fait, c'est le peuple; ce que Rome fait, c'est la populace. Le jour ou le fanatisme reussirait a rendre Rome respirable a la civilisation, tout serait perdu; l'humanite entrerait dans de l'ombre.

      C'est Rome qu'on respire a Bruxelles. Les hommes qu'on vient de voir travailler place des Barricades sont des disciples du Quirinal; ils sont tellement catholiques qu'ils ne sont plus chretiens. Ils sont tres forts; ils sont devenus merveilleusement reptiles et tortueux; ils savent le double itineraire de Mandrin et d'Escobar; ils ont etudie toutes les choses nocturnes, les procedes du banditisme et les doctrines de l'encyclique; ce serait des chauffeurs si ce n'etait des jesuites; ils attaquent avec perfection une maison endormie; ils utilisent ce talent au service de la religion; ils defendent la societe a la facon des voleurs de grand chemin; ils completent l'oraison jaculatoire par l'effraction et l'escalade; ils glissent du bigotisme au brigandage; et ils demontrent combien il est aise aux eleves de Loyola d'etre les plagiaires de Schinderhannes.

      Ici une question.

      Est-ce que ces hommes sont mechants?

      Non.

      Que sont-ils donc?

      Imbeciles.

      Etre feroce n'est point difficile; pour cela l'imbecillite suffit.

      Sont-ils donc nes imbeciles?

      Point.

      On les a faits; nous venons de le dire.

      Abrutir est un art.

      Les pretres des divers cultes appellent cet art Liberte d'enseignement.

      Ils n'y mettent aucune mauvaise intention, ayant eux-memes ete soumis a la mutilation d'intelligence qu'ils voudraient pratiquer apres l'avoir subie.

      Le castrat faisant l'eunuque, cela s'appelle l'Enseignement libre.

      Cette operation serait tentee sur nos enfants, s'il etait donne suite a la loi d'ailleurs peu viable qu'a votee l'assemblee defunte.

      Le double recit qu'on vient de lire est une simple note en marge de cette loi.

      VII

      Qui dit education dit gouvernement; enseigner, c'est regner; le cerveau humain est une sorte de cire terrible qui prend l'empreinte du bien ou du mal selon qu'un ideal le touche ou qu'une griffe le saisit.

      L'education par le clerge, c'est le gouvernement par le clerge. Ce genre de gouvernement est juge. C'est lui qui sur la cime auguste de la glorieuse Espagne a mis cet effroyable autel de Moloch, le quemadero de Seville. C'est lui qui a superpose a la Rome romaine la Rome papale, monstrueux etouffement de Caton sous Borgia.

      La dialectique a une double loi, voir de haut et serrer de pres. Les gouvernements-pretres ne resistent a aucune de ces deux formes du raisonnement; de pres, on voit leurs defauts; de haut, on voit leurs crimes.

      La griffe est sur l'homme et la patte est sur l'enfant. L'histoire faite par Torquemada est racontee par Loriquet.

      Sommet, le despotisme; base, l'ignorance.

      VIII

      Rome a beaucoup de bras. C'est l'antique hecatonchire. On a cru cette bete fabuleuse jusqu'au jour ou la pieuvre est apparue dans l'ocean et la papaute dans le moyen age. La papaute s'est d'abord appelee Gregoire VII, et elle a fait esclaves les rois; puis elle s'est appelee Pie V, et elle a fait prisonniers les peuples. La revolution francaise lui a fait lacher prise; la grande epee republicaine a coupe toutes ces ligatures vivantes enroulees autour de l'ame humaine, et a delivre le monde de ces noeuds malsains, arctis nodis relligionum, dit Lucrece; mais les tentacules ont repousse, et aujourd'hui voila que de nouveau les cent bras de Rome sortent des profondeurs et s'allongent vers les agres frissonnants du navire en marche, saisissement redoutable qui pourrait faire sombrer la civilisation.

      A cette heure, Rome tient la Belgique; mais qui n'a pas la France n'a rien. Rome voudrait tenir la France. Nous assistons a ce sinistre effort.

      Paris et Rome sont aux prises.

      Rome nous veut.

      Les tenebres gonflent toutes leurs forces autour de nous.

      C'est l'epouvantable rut de l'abime.

      IX

      Autour de nous se dresse toute la puissance multiple qui peut sortir du passe, l'esprit de monarchie, l'esprit de superstition, l'esprit de caserne et de couvent, l'habilete des menteurs, et l'effarement de ceux qui ne comprennent pas. Nous avons contre nous la temerite, la hardiesse, l'effronterie, l'audace et la peur.

      Nous n'avons pour nous que la lumiere.

      C'est pourquoi nous vaincrons.

      Si etrange que semble le moment present, quelque mauvaise apparence qu'il ait, aucune ame serieuse ne doit desesperer. Les surfaces sont ce qu'elles sont, mais il y a une loi morale dans la destinee, et les courants sous-marins existent. Pendant que le flot s'agite, eux, ils travaillent. On ne les voit pas, mais ce qu'ils font finit toujours par sortir tout a coup de l'ombre, l'inapercu construit l'imprevu. Sachons comprendre l'inattendu de l'histoire. C'est au moment ou le mal croit triompher qu'il s'effondre; son entassement fait son ecroulement.

      Tous les evenements recents, dans leurs grands comme dans leurs petits details, sont pleins de ces surprises. En veut-on un exemple? en voici un:

      Si c'est une digression, qu'on nous la permette; car elle va au but.

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