Une page d'amour. Emile Zola

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Une page d'amour - Emile Zola

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fais la?

      Elle se tourna vers Hélène et demanda:

      – C'est donc vous qui l'avez laissé entrer?

      Zéphyrin ne parlait pas, se contentait de cligner les paupières d'un air malin. Alors, des larmes d'attendrissement montèrent aux yeux de Rosalie, et pour témoigner sa joie de le revoir, elle ne trouva rien de mieux que de se moquer de lui.

      – Ah! va, reprit-elle en s'approchant, t'es joli, t'es propre, avec cet habit-là!.. J'aurais pu passer à côté de toi, je n'aurais pas seulement dit: Dieu te bénisse!.. Comme te voilà fait! T'as l'air d'avoir ta guérite sur ton dos. Et ils t'ont joliment rasé la tête, tu ressembles au caniche du sacristain… Bon Dieu! que t'es laid, que t'es laid!

      Zéphyrin, vexé, se décida à ouvrir la bouche.

      – Ce n'est pas ma faute, bien sûr… Si on t'envoyait au régiment, nous verrions un peu.

      Ils avaient complètement oublié où ils se trouvaient, et la chambre, et Hélène, et Jeanne, qui continuait à ramasser les pommes. La bonne s'était plantée debout devant le petit soldat, les mains nouées sur son tablier.

      – Alors, tout va bien là-bas? demanda-t-elle.

      – Mais oui, sauf que la vache des Guignard est malade, l'artiste est venu, et il leur a dit comme ça qu'elle était pleine d'eau,

      – Si elle est pleine d'eau, c'est fini.. À part ça, tout va bien?

      – Oui, oui… Il y a la garde champêtre qui s'est cassé le bras.. Le père Canivet est mort… Monsieur la curé a perdu sa bourse, où il y avait trente sous, en revenant de Grandval… Autrement tout va bien.

      Et ils se turent. Ils se regardaient avec des yeux luisants, les lèvres pincées et lentement remuées dans une grimace tendre. Ce devait être leur façon de s'embrasser, car ils ne s'étaient pas même tendu la main. Mais Rosalie sortit tout à coup de sa contemplation, et elle se désola on voyant ses légumes par terre. Un beau gâchis! il lui faisait faire de propres choses! Madame aurait dû le laisser attendre dans l'escalier. Tout en grondant, elle se baissait, remettait au fond du panier les pommes, les oignons, les choux-fleurs, à la grande contrariété de Jeanne, qui ne voulait pas qu'on l'aidât. Et, comme elle s'en allait dans sa cuisine, sans regarder davantage Zéphyrin, Hélène, gagnée par la tranquille santé des deux amoureux, la retint pour lui dire:

      – Écoutez, ma fille, votre tante m'a demandé d'autoriser ce garçon à venir vous voir le dimanche… Il viendra l'après-midi, et vous tacherez que votre service n'en souffre pas trop.

      Rosalie s'arrêta, tourna simplement la tête. Elle était bien contente, mais elle gardait son air grognon.

      – Oh! madame, il va joliment me déranger! cria-t-elle.

      Et, par-dessus son épaule, elle jeta un regard sur Zéphyrin et lui fit de nouveau sa grimace tendre. Le petit soldat resta un moment immobile, la bouche fendue par son rire muet. Puis, il se relira à reculons, en remerciant et en posant son képi contre son coeur. La porte était fermée, qu'il saluait encore sur le palier.

      – Maman, c'est le frère de Rosalie? demanda Jeanne.

      Hélène demeura tout embarrassée devant cette question. Elle regrettait l'autorisation qu'elle venait d'accorder, dans un mouvement de bonté subite, dont elle s'étonnait. Elle chercha quelques secondes, elle répondit:

      – Non, c'est son cousin.

      – Ah! dit l'enfant gravement.

      La cuisine de Rosalie donnait sur le jardin du docteur Deberle, en plein soleil. L'été, par la fenêtre, très-large, les branches des ormes entraient. C'était la pièce la plus gaie de l'appartement, toute blanche de lumière, si éclairée même que Rosalie avait dû poser un rideau de cotonnade bleue, qu'elle tirait l'après-midi. Elle ne se plaignait que de la petitesse de cette cuisine, qui s'allongeait en forme de boyau, le fourneau à droite, une table et un buffet à gauche, Mais elle avait si bien casé les ustensiles et les meubles, qu'elle s'était ménagé, près de la fenêtre, un coin libre où elle travaillait le soir. Son orgueil était de tenir les casseroles, les bouilloires, les plats dans une merveilleuse propreté. Aussi, lorsque le soleil arrivait, un resplendissement rayonnait des murs; les cuivres jetaient des étincelles d'or, les fers battus avaient des rondeurs éclatantes de lunes d'argent; tandis que les faïences bleues et blanches du fourneau mettaient leur note pâle dans cet incendie.

      Le samedi suivant, dans la soirée, Hélène entendit un tel remue-ménage, qu'elle se décida à aller voir.

      – Qu'est-ce donc? demanda-t-elle, vous vous battes avec les meubles?

      – Je lave, madame, répondit Rosalie, ébouriffée et suante, accroupie par terre, en train de frotter le carreau de toute la force de ses petits bras.

      C'était fini, elle épongeait. Jamais elle n'avait fait sa cuisine aussi belle. Une mariée aurait pu y coucher, tout y était blanc comme pour une noce. La table et le buffet semblaient rabotés à neuf, tant elle y avait usé ses doigts. Et il fallait voir le bel ordre, les casseroles et les pots par rangs de grandeur, chaque chose à son clou, jusqu'à la poêle et au gril qui reluisaient, sans une tache de fumée. Hélène resta là un instant, silencieuse; puis, elle sourit et se retira.

      Alors, chaque samedi, ce fut un nettoyage pareil, quatre heures passées dans la poussière et dans l'eau. Rosalie voulait, le dimanche, montrer sa propreté à Zéphyrin. Elle recevait ce jour-là. Une toile d'araignée lui aurait fait honte. Lorsque tout resplendissait autour d'elle, cela la rendait aimable et la faisait chanter. À trois heures, elle se lavait encore les mains, elle mettait un bonnet avec des rubans. Puis, tirant à demi le rideau de cotonnade, ménageant un jour de boudoir, elle attendait Zéphyrin au milieu du bel ordre, dans une bonne odeur de thym et de laurier.

      A trois heures et demie, exactement, Zéphyrin arrivait; il se promenait dans la rue, tant que la demie n'avait pas sonné aux horloges du quartier. Rosalie écoutait ses gros souliers buter contre les marches, et lui ouvrait, quand il s'arrêtait sur le palier. Elle lui avait défendu de toucher au cordon de sonnette. Chaque fois, ils échangeaient les mêmes paroles.

      – C'est toi?

      – Oui, c'est moi.

      Et ils restaient nez à nez, avec leurs yeux pétillants et leur bouche pincée. Puis, Zéphyrin suivait Rosalie; mais elle l'empêchait d'entrer avant qu'elle l'eût débarrassé de son shako et de son sabre. Elle ne voulait point de ça dans sa cuisine, elle cachait le sabre et le shako au fond d'un placard. Alors, elle asseyait son amoureux, près de la fenêtre, dans le coin ménagé là, et elle ne lui permettait plus de remuer.

      – Tiens-toi tranquille… Tu me regarderas faire le dîner de madame, si tu veux.

      Mais il ne venait presque jamais les mains vides. Ordinairement, il avait employé sa matinée à courir avec des camarades les bois de Meudon, traînant les pieds dans des flâneries sans fin, oisif et buvant le grand air, avec le regret vague du pays. Pour occuper ses doigts, il coupait des baguettes, les taillait, les enjolivait en marchant de toutes sortes d'arabesques; et son pas se ralentissait encore, il s'arrêtait près des fossés, le shako sur la nuque, les yeux ne quittant plus son couteau qui fouillait le bois. Puis, comme il ne pouvait se décidera jeter ses baguettes, il les apportait l'après-midi à Rosalie, qui les lui enlevait des mains, en criant un peu, parce que cela salissait la cuisine. La vérité était qu'elle les collectionnait; elle en avait, sous son lit, un paquet de toutes les longueurs et de tous les

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