Une page d'amour. Emile Zola

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Une page d'amour - Emile Zola

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avec les oeufs d'oiseau. Rosalie jeta cette horreur, mais elle garda le nid, qui alla rejoindre les baguettes. D'ailleurs, il avait toujours ses poches plaines à crever. Il en tirait des curiosités, des cailloux transparents, pris au bord de la Seine, d'anciennes ferrures, des baies sauvages qui sa séchaient, des débris méconnaissables dont les chiffonniers n'avaient pas voulu. Sa passion était surtout les images. Le long des routes, il ramassait les papiers qui avaient enveloppé du chocolat ou des savons, et sur lesquels on voyait des nègres et des palmiers, des almées et des bouquets de roses. Les dessus des vieilles bottes crevées, avec des dames blondes et rêveuses, les gravures vernies et le papier d'argent des sucres de pomme, jetés dans les foires des environs, étaient ses grandes trouvailles, qui lui gonflaient le coeur. Tout ce butin disparaissait dans ses poches; il enveloppait d'un bout de journal les plus beaux morceaux. Et, le dimanche, quand Rosalie avait un moment à perdre, entre une sauce et un rôti, il lui montrait ses images. C'était pour elle, si elle voulait; seulement, comme le papier, autour, n'était pas toujours propre, il découpait les images, ce qui l'amusait beaucoup. Rosalie se fâchait, des brins de papier s'envolaient jusque dans ses plats; et il fallait voir avec quelle malice de paysan, tirée de loin, il finissait par s'emparer de ses ciseaux. Parfois, pour se débarrasser de lui, elle les lui donnait brusquement.

      Cependant, un roux chantait dans un poêlon. Rosalie surveillait la sauce, une cuiller de bois à la main, pendant que Zéphyrin, la tête penchée, le dos élargi par ses épaulettes rouges, découpait des images. Ses cheveux étaient tellement ras, qu'on lui voyait la peau du crâne; et, son collet jaune bâillait par derrière, montrant le hale du cou. Pendant des quarts d'heure entiers, tous deux ne disaient rien. Lorsque Zéphyrin levait la tête, il regardait Rosalie prendre de la farine, hacher du persil, saler et poivrer, d'un air profondément intéressé. Alors, de loin en loin, une parole lui échappait.

      – Fichtre! ça sent trop bon!

      La cuisinière, en plein coup de feu, ne daignait pas répondre tout de suite. Au bout d'un long silence, elle disait à son tour:

      – Vois-tu, il faut que ça mijote.

      Et leurs conversations ne sortaient guère de la. Ils ne parlaient même plus du pays. Lorsqu'un souvenir leur revenait, ils se comprenaient d'un mot et riaient en dedans toute l'après-midi. Cela leur suffisait. Quand Rosalie mettait Zéphyrin à la porte, ils s'étaient joliment amusés tous les deux.

      – Allons, va-t'en! Je vais servir madame.

      Elle lui rendait son shako et son sabre, le poussait devant elle, puis servait madame avec de la joie aux joues; tandis que lui, les bras ballants, rentrait à la caserne, chatouillé à l'intérieur par cette bonne odeur de thym et de laurier qu'il emportait.

      Dans les premiers temps, Hélène crut devoir les surveiller. Elle arrivait parfois à l'improviste, pour donner un ordre. Et toujours elle trouvait Zéphyrin dans son coin, entre la table et la fenêtre, près de la fontaine de grès, qui le forçait à rentrer les jambes. Dès que madame paraissait, il se levait comme au port d'arme, demeurait debout. Si madame lui adressait la parole, il ne répondait guère que par des saluts et des grognements respectueux. Peu à peu, Hélène se rassura, en voyant qu'elle ne les dérangeait jamais et qu'ils gardaient sur le visage leur tranquillité d'amoureux patients.

      Même Rosalie semblait alors beaucoup plus délurée que Zéphyrin. Elle Avait déjà quelques mois de Paris, elle s'y déniaisait, bien qu'elle ne connût que trois rues, la rue, de Passy, la rue Franklin et la rue Vineuse. Lui, au régiment, restait godiche. Elle assurait à madame qu'il «bêtisait»; car au pays, bien sûr, il était plus malin. Ça résultait de l'uniforme, disait elle; tous les garçons qui tombaient soldats devenaient bêtes à crever. En effet, Zéphyrin, ahuri par son existence nouvelle, avait les yeux ronds et le dandinement d'une oie. Il gardait sa lourdeur de paysan sous ses épaulettes, la caserne ne lui enseignait point encore le beau langage ni les manières victorieuses du tourlourou parisien. Ah! madame pouvait être tranquille! ce n'était pas lui qui songeait à batifoler.

      Aussi Rosalie se montrait-elle maternelle. Elle sermonnait Zéphyrin tout en mettant la broche, lui prodiguait de bons conseils sur les précipices qu'il devait éviter; et il obéissait, en appuyant chaque conseil d'un vigoureux mouvement de tête. Tous les dimanches, il devait lui jurer qu'il était allé à la messe et qu'il avait dit religieusement ses prières matin et soir. Elle l'exhortait encore à la propreté, lui donnait un coup de brosse quand il partait, consolidait un bouton de sa tunique, le visitait de la tête aux pieds, regardant si rien ne clochait. Elle s'inquiétait aussi de sa santé et lui indiquait des recettes contre toutes sortes de maladies. Zéphyrin, pour reconnaître ses complaisances, lui offrait de remplir sa fontaine. Longtemps elle refusa, par crainte qu'il né renversât de l'eau. Mais, un jour, il monta les deux seaux sans laisser tomber une goutte dans l'escalier, et, dès lors, ce fut lui qui, le dimanche, remplit la fontaine. Il lui rendait d'autres services, faisait toutes les grosses besognes, allait très-bien acheter du beurre chez la fruitière, si elle avait oublié d'en prendre. Même il finit par se mettre à la cuisine. D'abord, il éplucha les légumes. Plus tard, elle lui permit de hacher. Au bout de six semaines, il ne touchait point aux sauces, mais il les surveillait, la cuiller de bois à la main. Rosalie en avait fait son aide, et elle éclatait de rire parfois, quand elle le voyait, avec son pantalon rouge et son collet jaune, actionné devant le fourneau, un torchon sur le bras, comme un marmiton.

      Un dimanche, Hélène se rendit à la cuisine. Ses pantoufles Assourdissaient le bruit de ses pas, elle resta sur le seuil, sans que la bonne ni le soldat l'eussent entendue. Dans son coin, Zéphyrin était attablé devant une tasse de bouillon fumant. Rosalie, qui tournait le dos à la porte, lui coupait de longues mouillettes de pain.

      – Va, mange, mon petit! disait-elle. Tu marches trop, c'est ça qui te creuse… Tiens! en as-tu assez? en veux-tu encore?

      Et elle le couvait d'un regard tendre et inquiet. Lui, tout rond, se carrait au-dessus de la tasse, avalait une mouillette à chaque bouchée. Sa face, jaune de son, rougissait dans la vapeur qui la baignait. Il murmurait:

      – Sapristi! quel jus! Qu'est-ce que tu mets donc là dedans?

      – Attends, reprit-elle, si tu aimes les poireaux…

      Mais, en se tournant, elle aperçut madame. Elle poussa un léger cri. Tous deux restèrent pétrifiés. Puis, Rosalie s'excusa avec un flot Brusque de paroles.

      – C'est ma part, madame, oh! bien vrai… Je n'aurais pas repris du bouillon… Tenez, sur ce que j'ai de plus sacré! Je lui ai dit: Si tu veux ma part de bouillon, je vais te la donner… Allons, parle donc, toi; tu sais bien que ça s'est passé comme ça…

      Et, inquiète du silence que gardait sa maîtresse, elle la crut fâchée, elle continua d'une voix qui se brisait:

      – Il mourait de faim, madame; il m'avait volé une carotte crue… On les nourrit si mal! Puis, imaginez-vous qu'il est allé au diable, le long de la rivière, je ne sais où… Vous-même, madame, vous m'auriez dit: Rosalie, donnez-lui donc un bouillon…

      Alors, Hélène, devant le petit soldat, qui restait la bouche pleine, sans oser avaler, ne put rester sévère. Elle répondit doucement:

      – Eh bien! ma fille, quand ce garçon aura faim, il faudra l'inviter à dîner, voilà tout… Je vous le permets.

      Elle venait d'éprouver, en face d'eux, cet attendrissement qui, déjà une fois, lui avait fait oublier son rigorisme. Ils étaient si heureux, dans cette cuisine! Le rideau de cotonnade, à demi tiré, laissait entrer le soleil couchant. Les cuivres incendiaient le mur du fond, éclairant d'un reflet rose le demi-jour de la pièce. Et là, dans cette ombre dorée, ils mettaient tous les deux leurs petites faces rondes, tranquilles et claires comme des lunes. Leurs amours avaient

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