Nana. Emile Zola
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Nana - Emile Zola страница 7
– Que fais-tu donc là, Satin?
– Je m'emmerde, répondit Satin tranquillement, sans bouger.
Les quatre hommes, charmés, se mirent à rire.
Mignon assurait qu'on n'avait pas besoin de se presser; il fallait vingt minutes pour poser le décor du troisième acte. Mais les deux cousins, qui avaient bu leur bière, voulurent remonter; le froid les prenait. Alors, Mignon, resté seul avec Steiner, s'accouda, lui parla dans la figure.
– Hein? c'est entendu, nous irons chez elle, je vous présenterai… Vous savez, c'est entre nous, ma femme n'a pas besoin de savoir.
Revenus à leurs places, Fauchery et la Faloise remarquèrent aux secondes loges une jolie femme, mise avec modestie. Elle était en compagnie d'un monsieur d'air sérieux, un chef de bureau au ministère de l'intérieur, que la Faloise connaissait, pour l'avoir rencontré chez les Muffat. Quant à Fauchery, il croyait qu'elle se nommait madame Robert: une femme honnête qui avait un amant, pas plus, et toujours un homme respectable.
Mais ils durent se tourner. Daguenet leur souriait. Maintenant que Nana avait réussi, il ne se cachait plus, il venait de triompher dans les couloirs. A son côté, le jeune échappé de collège n'avait pas quitté son fauteuil, dans la stupeur d'admiration où Nana le plongeait. C'était ça, c'était la femme; et il devenait très rouge, il mettait et retirait machinalement ses gants. Puis, comme son voisin avait causé de Nana, il osa l'interroger.
– Pardon, monsieur, cette dame qui joue, est-ce que vous la connaissez?
– Oui, un peu, murmura Daguenet, surpris et hésitant.
– Alors, vous savez son adresse?
La question tombait si crûment, adressée à lui, qu'il eut envie de répondre par une gifle.
– Non, dit-il d'un ton sec.
Et il tourna le dos. Le blondin comprit qu'il venait de commettre quelque inconvenance; il rougit davantage et resta effaré.
On frappait les trois coups, des ouvreuses s'entêtaient à rendre les vêtements, chargées de pelisses et de paletots, au milieu du monde qui rentrait. La claque applaudit le décor, une grotte du mont Etna, creusée dans une mine d'argent, et dont les flancs avaient l'éclat des écus neufs; au fond, la forge de Vulcain mettait un coucher d'astre. Diane, dès la seconde scène, s'entendait avec le dieu, qui devait feindre un voyage pour laisser la place libre à Vénus et à Mars. Puis, à peine Diane se trouvait-elle seule, que Vénus arrivait. Un frisson remua la salle. Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute-puissance de sa chair. Une simple gaze l'enveloppait; ses épaules rondes, sa gorge d'amazone dont les pointes roses se tenaient levées et rigides comme des lances, ses larges hanches qui roulaient dans un balancement voluptueux, ses cuisses de blonde grasse, tout son corps se devinait, se voyait sous le tissu léger, d'une blancheur d'écume. C'était Vénus naissant des flots, n'ayant pour voile que ses cheveux. Et, lorsque Nana levait les bras, on apercevait, aux feux de la rampe, les poils d'or de ses aisselles. Il n'y eut pas d'applaudissements. Personne ne riait plus, les faces des hommes, sérieuses, se tendaient, avec le nez aminci, la bouche irritée et sans salive. Un vent semblait avoir passé, très doux, chargé d'une sourde menace. Tout d'un coup, dans la bonne enfant, la femme se dressait, inquiétante, apportant le coup de folie de son sexe, ouvrant l'inconnu du désir. Nana souriait toujours, mais d'un sourire aigu de mangeuse d'hommes.
– Fichtre! dit simplement Fauchery à la Faloise.
Mars, cependant, accourait au rendez-vous, avec son plumet, et se trouvait entre les deux déesses. Il y avait là une scène que Prullière joua finement; caressé par Diane qui voulait tenter sur lui un dernier effort avant de le livrer à Vulcain, cajolé par Vénus que la présence de sa rivale stimulait, il s'abandonnait à ces douceurs, d'un air béat de coq en pâte. Puis, un grand trio terminait la scène; et ce fut alors qu'une ouvreuse parut dans la loge de Lucy Stewart, et jeta deux énormes bouquets de lilas blanc. On applaudit, Nana et Rose Mignon saluèrent, pendant que Prullière ramassait les bouquets. Une partie de l'orchestre se tourna en souriant vers la baignoire occupée par Steiner et Mignon. Le banquier, le sang au visage, avait de petits mouvements convulsifs du menton, comme s'il eût éprouvé un embarras dans la gorge.
Ce qui suivit acheva d'empoigner la salle. Diane s'en était allée, furieuse. Tout de suite, assise sur un banc de mousse, Vénus appela Mars auprès d'elle. Jamais encore on n'avait osé une scène de séduction plus chaude. Nana, les bras au cou de Prullière, l'attirait, lorsque Fontan, se livrant à une mimique de fureur cocasse, exagérant le masque d'un époux outragé qui surprend sa femme en flagrant délit, parut dans le fond de la grotte. Il tenait le fameux filet aux mailles de fer. Un instant, il le balança, pareil à un pêcheur qui va jeter un coup d'épervier; et, par un truc ingénieux, Vénus et Mars furent pris au piège, le filet les enveloppa, les immobilisa dans leur posture d'amants heureux.
Un murmure grandit, comme un soupir qui se gonflait. Quelques mains battirent, toutes les jumelles étaient fixées sur Vénus. Peu à peu, Nana avait pris possession du public, et maintenant chaque homme la subissait. Le rut qui montait d'elle, ainsi que d'une bête en folie, s'était épandu toujours davantage, emplissant la salle. A cette heure, ses moindres mouvements soufflaient le désir, elle retournait la chair d'un geste de son petit doigt. Des dos s'arrondissaient, vibrant comme si des archets invisibles se fussent promenés sur les muscles; des nuques montraient des poils follets qui s'envolaient, sous des haleines tièdes et errantes, venues on ne savait de quelle bouche de femme. Fauchery voyait devant lui l'échappé de collège que la passion soulevait de son fauteuil. Il eut la curiosité de regarder le comte de Vandeuvres, très pâle, les lèvres pincées, le gros Steiner, dont la face apoplectique crevait, Labordette lorgnant d'un air étonné de maquignon qui admire une jument parfaite, Daguenet dont les oreilles saignaient et remuaient de jouissance. Puis, un instinct lui fit jeter un coup d'oeil en arrière, et il resta étonné de ce qu'il aperçut dans la loge des Muffat: derrière la comtesse, blanche et sérieuse, le comte se haussait, béant, la face marbrée de taches rouges; tandis que, près de lui, dans l'ombre, les yeux troubles du marquis de Chouard étaient devenus deux yeux de chat, phosphorescents, pailletés d'or. On suffoquait, les chevelures s'alourdissaient sur les têtes en sueur. Depuis trois heures qu'on était là, les haleines avaient chauffé l'air d'une odeur humaine. Dans le flamboiement du gaz, les poussières en suspension s'épaississaient, immobiles au-dessous du lustre. La salle entière vacillait, glissait à un vertige, lasse et excitée, prise de ces désirs ensommeillés de minuit qui balbutient au fond des alcôves. Et Nana, en face de ce public pâmé, de ces quinze cents personnes entassées, noyées dans l'affaissement et le détraquement nerveux d'une fin de spectacle, restait victorieuse avec sa chair de marbre, son sexe assez fort pour détruire tout ce monde et n'en être pas entamé.
La pièce s'acheva. Aux appels triomphants de Vulcain, tout l'Olympe défilait devant les amoureux, avec des oh! et des ah! de stupéfaction et de gaillardise. Jupiter disait: «Mon fils, je vous trouve léger de nous appeler pour voir ça.» Puis, un revirement avait lieu en faveur de Vénus. Le choeur des cocus, introduit de nouveau par Iris, suppliait le maître des dieux de ne pas donner suite à sa requête; depuis que les femmes demeuraient au logis, la vie y devenait impossible pour les hommes; ils aimaient mieux être trompés et contents, ce qui était la morale de la comédie. Alors, on délivrait Vénus. Vulcain obtenait une séparation de corps. Mars se remettait avec Diane. Jupiter, pour avoir la paix dans son ménage, envoyait sa petite blanchisseuse dans une constellation. Et l'on tirait enfin l'Amour de son cachot, où il avait fait des cocottes, au lieu de conjuguer le verbe aimer. La toile tomba sur une apothéose, le choeur des cocus agenouillé, chantant un hymne de reconnaissance à Vénus, souriante et grandie dans sa souveraine nudité.
Les spectateurs,