Son Excellence Eugène Rougon. Emile Zola
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Читать онлайн книгу Son Excellence Eugène Rougon - Emile Zola страница 16
«Voilà les affaires sérieuses terminées», dit-il à demi-voix, en venant se rasseoir devant le piano.
Il tapa à tour de bras une ronde canaille, très populaire cette année-là. Puis, tout d'un coup, ayant regardé l'heure, il courut prendre son chapeau.
«Vous partez?» demanda Clorinde.
Elle l'appela du geste, s'appuya sur son épaule, pour lui parler à l'oreille. Il hochait la tête, en riant. Il murmurait:
«Très fort, très fort… J'écrirai ça là-bas.» Et il sortit, après avoir salué. Luigi, d'un coup d'appui-main, avait fait relever Clorinde, accroupie sur la table. Sans doute le fleuve de voitures coulant le long de l'avenue finissait par ennuyer la comtesse, car elle tira un cordon de sonnette, derrière elle, dès qu'elle eut perdu de vue le coupé du chevalier, noyé au milieu des landaus descendant du Bois. Ce fut le grand diable de domestique, à figure de bandit, qui entra, en laissant la porte ouverte. La comtesse s'abandonna à son bras, traversa lentement la pièce, au milieu de ces messieurs, debout, inclinés devant elle. Elle répondait de la tête, avec son sourire. Puis, sur le seuil, elle se tourna, elle dit à Clorinde:
«J'ai ma migraine, je vais me coucher un peu.
– Flaminio, cria la jeune fille au domestique qui emportait sa mère, mettez-lui un fer chaud aux pieds!» Les trois réfugiés politiques ne se rassirent pas. Ils demeurèrent encore là, un instant, sur une même ligne, achevant de mâchonner leurs cigares, qu'ils jetèrent dans un coin, derrière le tas de terre glaise, du même geste correct et précis. Et ils défilèrent devant Clorinde, ils s'en allèrent, en procession.
«Mon Dieu! disait M. La Rouquette, qui venait d'entamer une conversation sérieuse avec Rougon, je sais bien que cette question des sucres est très importante. Il s'agit de toute une branche de l'industrie française. Le malheur est que personne, à la Chambre, ne me paraît avoir étudié la matière à fond.» Rougon, qu'il ennuyait, ne répondait plus que par des hochements de tête. Le jeune député se rapprocha, continua, en donnant à sa figure poupine une subite gravité.
«Moi, j'ai un oncle dans les sucres. Il a une des plus riches raffineries de Marseille… Eh bien, je suis allé passer trois mois chez lui. J'ai pris des notes, oh! beaucoup de notes. Je causais avec les ouvriers, je me mettais au courant, enfin!.. Vous comprenez, je voulais parler à la Chambre…» Il posait devant Rougon, il se donnait un mal énorme pour entretenir celui-ci des seuls objets qu'il croyait devoir l'intéresser, très désireux d'ailleurs de se montrer à lui sous un jour d'homme politique solide.
«Et vous n'avez pas parlé? interrompit Clorinde, que la présence de M. La Rouquette semblait impatienter.
– Non, je n'ai pas parlé, reprit-il d'une voix ralentie, j'ai cru devoir ne pas parler… Au dernier moment, j'ai eu peur que mes chiffres ne fussent pas bien exacts.» Rougon le regarda entre les deux yeux, en disant gravement: «Savez-vous le nombre de morceaux de sucre que l'on consomme par jour, au café Anglais?»
M. La Rouquette resta un moment ahuri, les yeux écarquillés. Puis, il partit d'un éclat de rire:
«Ah! très joli! très joli! cria-t-il. Je comprends, vous plaisantez… Mais c'est la question du sucre, cela; moi, je parlais de la question des sucres… Très joli! Vous me permettez de répéter le mot, n'est-ce pas?» Il avait de légers bonds de jouissance, au fond de son fauteuil. Il reprit sa figure rose, mis à l'aise, cherchant des mots légers. Mais Clorinde l'attaqua sur les femmes. Elle l'avait encore vu l'avant-veille, aux Variétés, avec une petite blonde, très laide, ébouriffée comme un caniche. D'abord, il nia. Vexé ensuite de la façon cruelle dont elle traitait «le petit caniche», il s'oublia, il défendit cette dame, une personne très comme il faut, qui n'était pas si mal que cela; et il lui parla de ses cheveux, de sa taille, de sa jambe. Clorinde devint terrible. M. La Rouquette finit par crier:
«Elle m'attend, et j'y vais.» Alors, quand il eut refermé la porte, la jeune fille battit des mains, triomphante, répétant:
«Le voilà parti, bon voyage!» Et elle sauta vivement de la table, elle courut à Rougon, auquel elle donna ses deux mains. Elle se faisait très douce, elle était bien contrariée qu'il ne l'eût pas trouvée seule. Comme elle avait eu de la peine à renvoyer tout ce monde! Les gens ne comprenaient pas, vraiment! Ce La Rouquette, avec ses sucres, était-il assez ridicule! Mais maintenant, peut-être, on n'allait plus les déranger, ils pourraient causer: Elle devait avoir tant de choses à lui dire! Tout en parlant, elle le conduisait vers un canapé. Il s'était assis, sans lui lâcher les mains, lorsque Luigi donna des coups secs d'appui-main, en répétant sur un ton fâché:
«Clorinda! Clorinda!
– Tiens! c'est vrai, le portrait!» dit-elle en riant.
Elle échappa à Rougon, alla se pencher derrière le peintre, d'un air souple de caresse. Oh! que c'était joli, ce qu'il avait fait! Cela venait très bien. Mais, réellement, elle était un peu fatiguée; et elle demandait un quart d'heure de repos. D'ailleurs, il pouvait faire le costume; elle n'avait pas besoin de poser pour le costume.
Luigi jetait des regards luisants sur Rougon, continuait à murmurer des paroles maussades. Alors, très vite, elle lui parla en italien, les sourcils froncés, sans cesser de sourire. Et il se tut, il promena de nouveau son pinceau, maigrement.
«Je ne mens pas, reprit-elle en revenant s'asseoir près de Rougon, j'ai la jambe gauche tout engourdie.» Elle se donna des tapes sur la jambe gauche, pour faire circuler le sang, disait-elle sous la gaze, on voyait la tache rose des genoux. Cependant, elle avait oublié qu'elle était nue. Elle se penchait vers lui, sérieuse, s'éraflant la peau de l'épaule contre le gros drap de son paletot. Mais, tout d'un coup, un bouton qu'elle rencontra, lui fit passer un grand frisson sur la gorge. Elle se regarda, devint très rouge. Et, vivement, elle alla prendre un lambeau de dentelle noire, dans lequel elle s'enveloppa.
«J'ai un peu froid», dit-elle, après avoir roulé devant Rougon un fauteuil, dans lequel elle s'assit.
Elle ne montrait plus sous la dentelle que les bouts de ses poignets nus. Elle s'était noué le lambeau au cou, de façon à s'en faire une énorme cravate, au fond de laquelle elle enfonçait le menton. Là-dedans, le buste entièrement noyé, elle restait toute noire, avec son visage redevenu pâle et grave.
«Enfin, que vous est-il arrivé? demanda-t-elle.
Racontez-moi tout.» Et elle le questionna sur sa disgrâce, avec une franchise de curiosité filiale. Elle était étrangère, elle se faisait répéter jusqu'à trois reprises des détails qu'elle disait ne pas comprendre. Elle l'interrompait par des exclamations en langue italienne; tandis que, dans ses yeux noirs, il pouvait suivre toute l'émotion de son récit. Pourquoi s'était-il fâché avec l'empereur? comment avait-il pu renoncer à une situation si haute? quels étaient donc ses ennemis, pour qu'il se fût laissé battre ainsi? Et quand il hésitait, quand elle l'acculait à quelque aveu qu'il ne voulait pas faire, elle le regardait avec une candeur si affectueuse, qu'il s'abandonnait, lui racontant les histoires jusqu'au bout. Bientôt, elle sut sans doute tout ce qu'elle désirait savoir. Elle lança encore quelques questions, très éloignées du sujet, et dont la singularité surprit Rougon. Puis, les mains jointes, elle se tut. Elle avait fermé les yeux. Elle réfléchissait profondément.
«Eh bien? demanda-t-il en souriant.
– Rien, murmura-t-elle; ça m'a fait de la peine.» Il fut touché. Il chercha à lui reprendre les mains; mais elle les enfouit dans la dentelle, et le silence continua. Au bout de deux grandes minutes, elle rouvrit les paupières, en disant:
«Alors,