Son Excellence Eugène Rougon. Emile Zola

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Son Excellence Eugène Rougon - Emile Zola страница 18

Son Excellence Eugène Rougon - Emile Zola

Скачать книгу

n'oublie rien, je crois… Non, il n'a pas d'enfant…

      – Comment! il est marié!» s'écria Clorinde.

      Elle eut un geste pour dire que M. Kahn ne l'intéressait plus. C'était un sournois; jamais il n'avait montré sa femme. Alors, Rougon lui expliqua que Mme Kahn vivait à Paris, très retirée. Puis, sans attendre une interrogation, il reprit:

      «Voulez-vous la biographie de Béjuin, maintenant?

      – Non, non», dit la jeune fille.

      Mais il continua quand même:

      «Il sort de l'École polytechnique. Il a écrit des brochures que personne n'a lues. Il dirige la cristallerie de Saint-Florent, à trois lieues de Bourges… C'est le préfet du Cher qui l'a inventé…

      – Taisez-vous donc! cria-t-elle.

      – Un digne homme, votant bien, ne parlant jamais, très patient, attendant qu'on songe à lui, toujours là à vous regarder pour qu'on ne l'oublie pas… Je l'ai fait nommer chevalier…» Elle dut lui mettre la main sur la bouche, se fâchant, disant:

      «Eh! il est marié, aussi, celui-là! il n'est pas drôle!..

      J'ai vu sa femme chez vous, un paquet! Elle m'a invitée à aller visiter leur cristallerie, à Bourges.» D'une bouchée, elle acheva sa première tartine. Puis, elle but une grande gorgée d'eau. Ses jambes pendaient, au bord de la table; et, un peu tassée sur les reins, le cou plié en arrière, elle les balançait, d'un mouvement machinal dont Rougon suivait le rythme. A chaque va-et-vient, les mollets se renflaient, sous la gaze.

      «Et M. Du Poizat? demanda-t-elle, après un silence.

      – Du Poizat a été sous-préfet», répondit-il simplement.

      Elle le regarda, surprise de la brièveté de l'histoire.

      «Je le sais bien, dit-elle. Ensuite?

      – Ensuite, il sera préfet plus tard, et alors on le décorera.» Elle comprit qu'il ne voulait pas en dire davantage.

      D'ailleurs, elle avait jeté le nom de Du Poizat négligemment. Maintenant, elle cherchait ces messieurs sur ses doigts; elle partait du pouce, elle murmurait:

      «M. d'Escorailles: il n'est pas sérieux, il aime toutes les femmes… M. La Rouquette: inutile, je le connais trop bien… M. de Combelot: encore un qui est marié…» Et, comme elle s'arrêtait à l'annulaire, ne trouvant plus personne, Rougon lui dit, en la regardant fixement:

      «Vous oubliez Delestang.

      – Vous avez raison! cria-t-elle. Parlez-moi donc de celui-là!

      – C'est un bel homme, reprit-il sans la quitter des yeux. Il est fort riche. Je lui ai toujours prédit un grand avenir.» Il continua sur ce ton, outrant les éloges, doublant les chiffres. La ferme-modèle de la Chamade valait deux millions. Delestang serait certainement ministre un jour. Mais elle gardait aux lèvres une moue dédaigneuse.

      «Il est bien bête, finit-elle par murmurer.

      – Dame!» dit Rougon avec un fin sourire.

      Il paraissait ravi du mot qu'elle venait de laisser échapper. Alors, par un de ces sauts brusques qui lui étaient familiers, elle posa une nouvelle question, en le regardant à son tour fixement.

      «Vous devez joliment connaître M. de Marsy?

      – Oui, oui, nous nous connaissons», dit-il sans broncher comme amusé davantage par ce qu'elle lui demandait là.

      Mais il redevint sérieux. Il fut très digne, très juste.

      «C'est un homme d'une intelligence extraordinaire, expliqua-t-il. Je m'honore de l'avoir pour ennemi… Il a touché à tout. A vingt-huit ans, il était colonel. Plus tard, on le trouve à la tête d'une grande usine. Puis, il s'est occupé successivement d'agriculture, de finance, de commerce. On assure même qu'il a peint des portraits et écrit des romans.» Clorinde, oubliant de manger, restait rêveuse.

      «J'ai causé avec lui l'autre soir, dit-elle à demi-voix. Il est tout à fait bien… Un fils de reine.

      – Pour moi, poursuivit Rougon, l'esprit le gâte. J'ai une autre idée de la force. Je l'ai entendu faire des calembours dans une circonstance bien grave. Enfin, il a réussi, il règne autant que l'empereur. Tous ces bâtards ont de la chance!.. Ce qu'il a de plus personnel, c'est la poigne, une main de fer, hardie, résolue, très fine et très déliée pourtant.» Malgré elle, la jeune fille avait baissé les yeux sur les grosses mains de Rougon. Il s'en aperçut, il reprit en souriant:

      «Oh! moi, j'ai des pattes, n'est-ce pas? C'est pour cela que nous ne nous sommes jamais entendus avec Marsy. Lui, sabre galamment le monde, sans tacher ses gants blancs. Moi, j'assomme.» Il avait fermé les poings, des poings gras, velus aux phalanges, et il les balançait, heureux de les voir énormes. Clorinde prit la seconde tartine, dans laquelle elle enfonça les dents, toujours songeuse. Enfin, elle leva les yeux sur Rougon.

      «Alors, vous? demanda-t-elle.

      – C'est mon histoire que vous voulez? dit-il. Rien de plus facile à conter. Mon grand-père vendait des légumes. Moi, jusqu'à trente-huit ans, j'ai traîné mes savates de petit avocat au fond de ma province. J'étais un inconnu hier. Je n'ai pas comme notre ami Kahn usé mes épaules à soutenir les gouvernements. Je ne sors pas comme Béjuin de l'École polytechnique. Je ne porte ni le beau nom du petit Escorailles ni la belle figure de ce pauvre Combelot. Je ne suis pas aussi bien apparenté que La Rouquette qui doit son siège de député à sa sœur, la veuve du général de Llorentz, aujourd'hui dame du palais. Mon père ne m'a pas laissé comme à Delestang cinq millions de fortune, gagnés dans les vins. Je ne suis pas né sur les marches d'un trône, ainsi que le comte de Marsy, et je n'ai pas grandi pendu à la jupe d'une femme savante, sous les caresses de Talleyrand. Non, je suis un homme nouveau, je n'ai que mes poings…» Et il tapait ses poings l'un contre l'autre, riant très haut, tournant la chose plaisamment. Mais il s'était redressé, il semblait casser des pierres entre ses doigts fermés. Clorinde l'admirait.

      «Je n'étais rien, je serai maintenant ce qu'il me plaira, continua-t-il, s'oubliant, causant pour lui. Je suis une force. Et ils me font hausser les épaules, les autres, quand ils protestent de leur dévouement à l'empire!

      Est-ce qu'ils l'aiment? est-ce qu'ils le sentent? est-ce qu'ils ne s'accommoderaient pas de tous les gouvernements? Moi, j'ai poussé avec l'empire; je l'ai fait et il m'a fait… J'ai été nommé chevalier après le 10 décembre, officier en janvier 52, commandeur le 15 août 54, grand officier il y a trois mois. Sous la présidence, j'ai eu un instant le portefeuille des travaux publics; plus tard, l'empereur m'a chargé d'une mission en Angleterre; puis, je suis entré au Conseil d'État et au Sénat…

      – Et demain, où entrez-vous?» demanda Clorinde, avec un rire, sous lequel elle tâchait de cacher l'ardeur de sa curiosité.

      Il la regarda, s'arrêta net.

      «Vous êtes bien curieuse, mademoiselle Machiavel», dit-il.

      Alors, elle balança ses jambes d'un mouvement plus vif. Il y eut un silence. Rougon, à la voir de nouveau perdue dans une grosse rêverie, crut le moment favorable pour la confesser.

      «Les femmes…», commença-t-il.

      Mais

Скачать книгу