Son Excellence Eugène Rougon. Emile Zola
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Il déclarait qu'il ferait volontiers le sacrifice de sa vie, aux pieds de cette noble femme. Mais, autour de lui, personne ne protestait. Le brouhaha de la foule était au loin comme l'écho de ses éloges, s'élargissant en une clameur continue. Et les cloches de Notre-Dame, à toute volée, roulaient par-dessus les maisons l'écroulement de leur joie énorme.
«Il serait peut-être temps d'aller nous placer», dit timidement M. Charbonnel, qui s'ennuyait d'être assis.
Mme Charbonnel s'était levée, ramenant son châle jaune sur son cou.
«Sans doute, murmura-t-elle. Vous vouliez arriver des premiers, et nous restons là, à laisser passer tout le monde devant nous.» Mais Gilquin se fâcha. Il jura, en tapant de son poing la petite table de zinc. Est-ce qu'il ne connaissait pas son Paris? Et, pendant que Mme Charbonnel, intimidée, retombait sur sa chaise, il cria au garçon de café:
«Jules, une absinthe et des cigares!» Puis, quand il eut trempé ses grosses moustaches dans son absinthe, il le rappela furieusement.
«Est-ce que tu te fiches de moi? Veux-tu bien m'emporter cette drogue et me servir l'autre bouteille, celle de vendredi!.. J'ai voyagé pour les liqueurs, mon vieux. On ne met pas dedans Théodore.» Il se calma, lorsque le garçon, qui semblait avoir peur de lui, lui eut apporté la bouteille. Alors, il donna des tapes amicales sur les épaules des Charbonnel, il les appela papa et maman.
«Quoi donc! maman, les petons vous démangent?
Allez, vous avez le temps de les user, d'ici à ce soir!..
«Voyons, que diable! mon gros père, est-ce que nous ne sommes pas bien, devant ce café? Nous sommes assis, nous regardons passer le monde… Je vous dis que nous avons le temps. Faites-vous servir quelque chose.
– Merci, nous avons notre suffisance», déclara M. Charbonnel. Gilquin venait d'allumer un cigare. Il se renversait, les pouces aux entournures de son gilet, bombant sa poitrine, se dandinant sur sa chaise. Une béatitude noyait ses yeux. Tout d'un coup, il eut une idée.
«Vous ne savez pas? cria-t-il, eh bien, demain matin, à sept heures, je suis chez vous et je vous emmène, je vous fais voir toute la fête. Hein! voilà qui est gentil.» Les Charbonnel se regardaient, très inquiets. Mais, lui, expliquait le programme tout au long. Il avait une voix de montreur d'ours faisant un boniment. Le matin, déjeuner au Palais-Royal et promenade dans la ville.
L'après-midi, à l'esplanade des Invalides, représentations militaires, mâts de cocagne, trois cents ballons perdus emportant des cornets de bonbons, grand ballon avec pluie de dragées. Le soir, dîner chez un marchand de vin du quai Debilly qu'il connaissait, feu d'artifice dont la pièce principale devait représenter un baptistère, flânerie au milieu des illuminations. Et il leur parla de la croix de feu qu'on hissait sur l'hôtel de la Légion d'honneur, du palais féerique de la place de la Concorde qui nécessitait l'emploi de neuf cent cinquante mille verres de couleur, de la tour Saint-Jacques dont la statue, en l'air, semblait une torche allumée.
Comme les Charbonnel hésitaient toujours, il se pencha, il baissa la voix.
«Puis, en rentrant, nous nous arrêterons dans une crémerie de la rue de Seine, où l'on mange de la soupe au fromage épatante.» Alors, les Charbonnel n'osèrent plus refuser. Leurs yeux arrondis exprimaient à la fois une curiosité et une épouvante d'enfant. Ils se sentaient devenir la chose de ce terrible homme. Mme Charbonnel se contenta de murmurer:
«Ah! ce Paris, ce Paris!.. Enfin, puisque nous y sommes, il faut bien tout voir. Mais si vous saviez, monsieur Gilquin, comme nous étions tranquilles à Plassans! J'ai là-bas des conserves qui se perdent, des confitures, des cerises à l'eau-de-vie, des cornichons.
– N'aie donc pas peur, maman! dit Gilquin qui s'égayait jusqu'à la tutoyer. Tu gagnes ton procès et tu m'invites, hein! Nous allons tous là-bas rafler les conserves.» Il se versa un nouveau verre d'absinthe. Il était complètement gris. Pendant un moment, il couva les Charbonnel d'un regard attendri. Lui, voulait qu'on eût le cœur sur la main. Brusquement, il se mit debout, il agita ses longs bras, poussant des psit! des hé! là-bas!
C'était Mme Mélanie Correur, en robe de soie gorge-de-pigeon, qui passait sur le trottoir, en face. Elle tourna la tête, elle parut très ennuyée d'apercevoir Gilquin.
Cependant, elle traversa la chaussée, en balançant ses hanches d'un air de princesse. Et quand elle fut debout devant la table, elle se fit longtemps prier pour accepter quelque chose.
«Voyons, un petit verre de cassis, dit Gilquin. Vous l'aimez… vous vous souvenez, rue Vaneau? Était-ce assez farce, dans ce temps-là! Ah! cette grosse bête de Correur!».
Elle finissait par s'asseoir, lorsqu'une immense acclamation courut dans la foule. Les promeneurs, comme soulevés par un coup de vent, s'emportaient, avec un piétinement de troupeau débandé. Les Charbonnel, instinctivement, s'étaient levés pour prendre leur course.
Mais la lourde main de Gilquin les recolla sur leur chaise. Il était pourpre.
«Ne bougez donc pas, sacrebleu! Attendez le commandement… vous voyez bien que tous ces imbéciles ont le nez cassé. Il n'est que cinq heures, n'est-ce pas? C'est le cardinal-légat qui arrive. Nous nous en moquons, hein! du cardinal-légat. Moi, je trouve blessant que le pape ne soit pas venu en personne. On est parrain ou on ne l'est pas, il me semble!.. Je vous jure que le mioche ne passera pas avant une demi-heure.» Peu à peu, l'ivresse lui ôtait de son respect. Il avait retourné sa chaise, il fumait dans le nez de tout le monde, envoyant des clignements d'yeux aux femmes, regardant les hommes d'un air provocant. Au pont Notre-Dame, à quelques pas, il se produisit des embarras de voitures; les chevaux piaffaient d'impatience, des uniformes de hauts fonctionnaires et d'officiers supérieurs, brodés d'or, constellés de décorations, se montraient aux portières.
«En voilà de la quincaillerie!» murmura Gilquin, avec un sourire d'homme supérieur.
Mais, comme un coupé arrivait sur le quai de la Mégisserie, il faillit d'un saut renverser la table, il s'écria:
«Tiens! Rougon!» Et, debout, de sa main gantée, il saluait. Puis, craignant de ne pas être vu, il prit son chapeau de paille, il l'agita. Rougon, dont le costume de sénateur était très regardé, se renfonça vite dans un coin du coupé. Alors, Gilquin l'appela, en se faisant un porte-voix de son poing à demi-fermé. En face, sur le trottoir, la foule s'attroupait, se retournait, pour voir à qui en avait ce grand diable, habillé de coutil jaune. Enfin, le cocher put fouetter son cheval, le coupé s'engagea sur le pont Notre-Dame.
«Taisez-vous donc!» dit à voix étouffée Mme Correur, en saisissant l'un des bras de Gilquin.
Il ne voulut pas s'asseoir tout de suite. Il se haussait, pour suivre le coupé, au milieu des autres voitures. Et il lança une dernière phrase, derrière les roues qui fuyaient.
«Ah! le lâcheur, c'est parce qu'il a de l'or sur son paletot, maintenant! Ça n'empêche pas, mon gros, que tu aies emprunté plus d'une fois les bottes de Théodore!» Autour de lui, aux sept ou huit tables du petit café, des bourgeois