Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney
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La durée de ce règne, telle que l'énonce le texte hébreu, est absolument inadmissible.
«Saül [dit ce texte5] était âgé d'un an lorsqu'il régna, et il régna deux ans.» D'abord nous observons que le texte mot à mot ne dit pas d'un an, mais de..... an, laissant le nombre en lacune; et il n'est pas permis de traduire un sans le mot ahad, qui l'exprime. La première de ces données est si choquante, que personne n'a osé la défendre, au sens littéral: quelques interprètes ont recouru à des sens mystiques et allégoriques, qui ne signifient rien. La seconde est si contraire à tout l'historique du règne de Saül, qu'il est incontestable qu'une altération, ou plutôt une lacune existe ici dans le texte. Or, telle est l'antiquité de cette lacune, que la version grecque d'Alexandrie n'osant admettre deux données si absurdes, a préféré de supprimer le verset entier. Aucun manuscrit grec connu n'y supplée, et ceci fait peu d'honneur à l'exactitude des prétendus 70 docteurs: pour remplir l'omission et surtout pour corriger l'erreur seconde, les chronologistes ont invoqué deux écrivains juifs; l'un est l'historien Fl. Josèphe, qui dans ses Antiquités judaïques, dit6: que Saül régna 18 ans du vivant de Samuël, et 22 ans après la mort de ce prophète.... Par conséquent Saül aurait régné 40 ans; mais plusieurs graves objections s'élèvent contre cette donnée: tous les critiques sont d'accord que les manuscrits de Josèphe ont subi des altérations considérables dans leurs chiffres, de la part des copistes qui y ont porté des motifs de piété. Or, dans le cas présent, outre que les manuscrits dans l'idiome grec sont trop peu nombreux pour faire autorité, nous avons la version latine que le prêtre Rufin, ami de saint Jérôme, fit du texte grec de Josèphe, vers le temps du concile de Nikée; et cette version, qui sert de contrôle à nos manuscrits actuels, les dément ici...., car elle porte: «Saül régna 18 ans du vivant de Samuël et 2 ans (seulement) après la mort de ce prophète;» ce qui ne fait en tout que 20 ans.
De plus, Josèphe dans un autre passage7 des mêmes manuscrits grecs, corrige l'erreur des 22 ans, lorsque, récapitulant la durée des rois de Jérusalem, il dit: «Et ces rois régnèrent pendant «un espace de 514 ans, 6 mois, 10 jours, sur lesquels Saül, premier roi, mais qui ne fut point du sang de David, régna 20 ans.» La version de Rufin porte les mêmes nombres de 514 et 20: par conséquent les 22 du premier passage sont évidemment une erreur, ou plutôt une altération du copiste, qui a eu un motif que nous allons bientôt voir.
On peut demander où Josèphe a puisé cette instruction: nous ne dirons pas, dans les écrits des Juifs de son temps, qui furent très-ignorants; mais nous pensons qu'ici et dans plusieurs autres cas, il a emprunté d'un historien grec qui paraît avoir été bien instruit de ce qui concerne les Juifs. Cet historien est Eupolème, qu'il cite avec éloge dans son livre contre Appion8, et dont Eusèbe, parmi plusieurs fragments9, cite celui-ci: «Eupolème dit que Saül mourut vers la 21e année de son règne, que David régna 40 ans, etc.....» Eupolème nous est désigné comme la source où Alexandre Polyhistor puisa la plupart de ses récits sur les Assyriens et sur les Juifs; et Alexandre Polyhistor ayant vécu du temps de Sylla, il s'ensuit qu'Eupolème a pu vivre un siècle avant lui; et comme il paraît avoir beaucoup voyagé, il aura visité Alexandrie, y aura conversé avec des docteurs juifs qui, dans ce foyer de la traduction grecque, exécutée peut-être un siècle avant eux, ont pu avoir recueilli de bonnes traditions ou des notes marginales tirées de manuscrits anciens. Toujours est-il vrai que les fragments d'Eupolème portent un cachet particulier d'instruction sur les Juifs. Quant à la durée totale des rois de cette nation, que nous évaluons à 473 ans, non compris Saül, et à 493 en y ajoutant ce prince, cette somme ne diffère de celle du texte hébreu, qu'en ce qu'il ôte au roi Amon 10 ans que nous verrons lui appartenir dans l'article des Assyriens, et qu'il double les 10 ans premiers de Joathan que nous simplifions; cette identité autorise à croire que notre calcul est l'ancien et véritable; et il semble avoir été celui de l'historien Josèphe, en écartant les altérations et les contradictions de ses principaux passages. Par exemple, sa liste détaillée que nous présentons dans le tableau ci-joint, donne, selon la traduction latine de Rufin, un total de 492 ans; et si l'on compte pour 40 ans Joas qu'il ne compte que pour 39, l'on a juste 493 ans.
Il est vrai que sa liste grecque diffère beaucoup puisqu'elle compte 533 ans, Saül n'étant porté que pour 20..... Mais il y a erreur manifeste sur Salomon, qu'il porte pour 80, et qui, selon tous les textes, n'a que 40 ans. Supprimez ces 40 de 533, il vous reste 493, nombre vrai.
Nous avons vu que dans un autre passage Josèphe donne aux rois10 de Jérusalem 514 ans de durée, y compris les 20 de Saül: voilà une contradiction palpable avec les 533 de sa liste grecque, et un excès de 20 ans sur les 493 de sa liste latine. N'est-il pas à croire qu'ici il a compté Salomon pour les 40 ans qui lui appartiennent, mais que les copistes ont ajouté à Saül les 20 ans nécessaires à compléter les 40 qu'ils ont voulu établir? Alors cette altération serait antérieure à Rufin même, et l'on voit quels embarras des copistes infidèles jettent dans les textes des écrivains. Eh! comment cette audace n'aurait-elle pas existé dans des temps de barbarie, et dans le secret des copies écrites à la main, quand de nos jours Havercamp a osé introduire dans son édition imprimée, une altération choquante, un faux matériel, en écrivant 522 dans sa traduction latine, au lieu de 532 que porte le grec imprimé à coté11!
Le second écrivain invoqué par les chronologistes pour soutenir les 40 ans de Saül, est l'auteur des Actes des Apôtres. Cet anonyme fait dire (ch. XIII) à saint Paul, haranguant dans Antioche de Pisidie, que «Dieu ayant livré à nos pères le pays de Kanaan, leur donna des juges pendant environ 450 ans jusqu'à Samuel; puis, lorsqu'ils lui demandèrent un roi, il leur donna Saül pendant 40 ans.»
Ces deux nombres ont causé beaucoup d'embarras aux écrivains ecclésiastiques, parce que le premier est en contradiction formelle avec le Livre des Rois, qui dit que «depuis la sortie d'Égypte jusqu'à la fondation du temple, il ne s'écoula que 480 ans.» Saint Paul en supposerait plus de 570; et parce que le second ne se trouve dans aucun autre livre canonique, l'on ne conçoit pas d'où saint Paul l'a tiré. Cette difficulté, traitée théologiquement, nous paraît réellement insoluble; mais si nous l'examinons selon les principes naturels et généraux de la critique historique, nous demanderons d'abord quel est cet auteur des Actes, inconnu de temps et de lieu; quelles preuves fournit-il de l'authenticité de son livre, de l'époque même où il a paru, de la présence de son auteur au discours de saint Paul, de son exactitude à recueillir et à coter les nombres donnés par l'Apôtre? et parce que l'on ne peut rien répondre de satisfaisant à toutes ces questions, nous disons que ces nombres reposent uniquement sur la garantie personnelle d'un inconnu, sans date ni titre; que ces 450 ans résultent d'une manière d'évaluer le temps des juges que nous exposerons à leur article; et que les 40 ans de Saül semblent venir de la même source talmudique que les 80 ans de Salomon,
5
Samuël, ch. 13.
6
Lib. VI, chap. 18,
7
8
Lib. I, nº 23. Josèphe l'associe à Démétrius de Phalère et à Philon l'ancien, comme étant les trois historiens les mieux informés sur les Juifs. Démétrius fut contemporain et témoin de la version grecque.
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10
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Deux autres contradictions se présentent encore dans Josèphe relativement à la durée des rois juifs: «Le temple, nous dit-il (lib. X, cap. 8), fut brûlé par