Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney

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Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I - Constantin-François Volney

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le quatrième morceau est l'histoire de Samson, dont l'époque n'est point indiquée: seulement, comme il est dit, chapitre 18, verset dernier, que Samson commença d'être saisi de l'esprit de Dieu, lorsqu'il était au camp de la tribu de Dan, entre Estaol et Saraa; ce rapport avec l'anecdote des 600 hommes de la tribu de Dan (second morceau), autorise à placer Samson peu de temps après la mort de Josué; ce qui est très-différent de l'opinion vulgaire. Or, nous le répétons, tout lecteur impartial qui scrutera avec soin ces divers récits, vagues, décousus, et sans date, reconnaîtra que leurs auteurs ont été divers; que très-probablement ils n'ont été ni témoins, ni contemporains des faits, mais qu'ils les ont rédigés après coup sur des traditions populaires; qu'à une époque plus tardive, un compilateur également inconnu recueillit ces morceaux, et en fit l'assemblage confus que l'on nomme Livre des Juges. Une note insérée dans l'histoire du prêtre Michas et des 600 hommes de Dan, indique que ce fut depuis l'établissement des rois.

      «Or, en ce temps-là», est-il dit trois fois (chapitre 17, v. 6, et chap. 18, v. 1er et v. 31), «il n'y avait pas de roi en Israël.»

      Donc, faut-il conclure, il y avait un roi lorsque l'auteur écrivait; donc la compilation n'a point précédé Saül, mais a pu se différer long-temps après lui. Une autre note insérée dans le morceau premier (l'historique propre des Juges), indique qu'elle aurait été faite même après le règne de Salomon; car il est dit, chap. 1er, v. 6:

      «Les enfants de Benjamin ne tuèrent point les Jébuséens qui habitaient Jérusalem, et les Jébuséens ont demeuré à Jérusalem avec Benjamin jusqu'à ce jour

      Or, il est fait mention des Jébuséens comme habitant encore Jérusalem au temps de David, qui sur la fin de son règne acheta l'aire du Jébuséen Arana23, située non loin de son palais; et sous Salomon, on les cite encore comme payant le tribut. (Reg., lib. 1, chap. 9, v. 20.)

      A la suite de cette note et dans le chapitre 2, verset 16, les résumés généraux que l'écrivain fait de l'état de la nation pendant toute la période des juges, sont une autre preuve qu'il a écrit tard, par conséquent plus de 400 ans après Josué, et 100 ans au moins après les événements confus qui précédèrent la judicature d'Héli.

      Maintenant nous demandons sur quels documents, d'après quels monuments a-t-il pu écrire? quelles archives, quelles annales a-t-il pu avoir? s'il en a eu, pourquoi tout est-il si vague, si confus? Pour répondre à ces questions, il faut considérer que tout l'espace de temps appelé période des Juges, se passe dans une anarchie orageuse, violente, pendant laquelle les Hébreux, féroces et superstitieux comme des Ouahabis, ne cessèrent d'être agités de guerres civiles ou étrangères; il faut considérer que ce petit peuple, divisé en tribus indépendantes et jalouses, subdivisées en familles aussi indépendantes, était une démocratie turbulente de paysans armés, mus plutôt que gouvernés par des bramines avides et par des inspirés fanatiques.....; que dans ce temps de guerres perpétuelles et de l'ignorance qui en est la suite, l'art d'écrire, sans encouragement, sans estime, était difficile et rare, et que le peu d'instruction existante était concentré dans les familles lévitiques. A raison de ce genre de vie orageuse et précaire, personne n'avait le loisir ou l'intérêt de s'occuper ni du passé ni de l'avenir; par conséquent il ne dut se composer aucuns livres historiques: faute de gouvernement central, il ne dut pas même exister d'autres archives publiques que la succession des pontifes. Ce ne fut que sous le règne de David que commença de s'organiser un état de choses plus régulier, plus calme, plus propre à la culture des esprits: alors il y eut une chancellerie, des archives, et l'on put s'occuper d'histoire: alors, et mieux encore sous Salomon, purent être faites quelques recherches sur le passé; et puisqu'à cette époque l'on ne trouva ou l'on ne produisit rien de mieux que ce que nous avons dans les deux ouvrages intitulés Josué et les Juges, nous avons le droit de conclure, 1° qu'aucune archive authentique et régulière n'avait été composée; 2° que les Livres de Josué et des Juges sont uniquement des productions littéraires d'écrivains inconnus, sans autorité publique; telles que les chroniques de nos moines aux 8e, 9e et 10e siècles, où, parmi plusieurs faits historiques, se sont glissés des récits entièrement fabuleux.

      Ce dernier caractère se montre avec évidence dans les aventures bizarres de Samson; plusieurs critiques, qui ont déjà fait cette remarque, se sont accordés24 à voir dans ce personnage l'Hercule de la mythologie. Hercule est l'emblème du Soleil, le nom de Samson signifie Soleil: Hercule était représenté nu25, portant sur ses épaules deux colonnes appelées portes de Cadix; Samson est dit avoir enlevé et porté sur ses épaules les portes de Gaza. Hercule est fait prisonnier par les Égyptiens, qui veulent le sacrifier; mais tandis qu'ils se préparent à l'immoler, il se délie et les tue tous26: Samson, garrotté de cordes neuves par des gens armés de Juda, est livré aux Philistins, qui veulent le tuer; il délie les cordes et tue 1000 Philistins avec la mâchoire d'âne. «Hercule (soleil), se rendant aux Indes (ou plutôt en Éthiopie), et conduisant son armée par les déserts de la Libye27, éprouve une soif ardente et conjure Ihou, son père, de le secourir dans ce danger; à l'instant paraît le Bélier (céleste); Hercule le suit et arrive à un lieu où le Bélier gratte du pied, et il en sort une source d'eau (celle des Hyades ou de l'Éridan):» Samson, après avoir tué 1000 Philistins avec la mâchoire d'âne, éprouve une soif violente; il supplie le Dieu Ihou d'avoir pitié de lui; Dieu fait sortir une source d'eau de la mâchoire d'âne.

      Les habitants de Carseoles, ancienne ville du Latium, chaque année, dans une fête religieuse, brûlaient une quantité de renards avec des torches liées à la queue; ils donnaient pour raison de cette bizarre cérémonie, qu'autrefois leurs blés avaient été brûlés par un renard auquel un jeune homme avait lié sur la queue une botte de paille allumée28. C'est bien là le conte de Samson avec les Philistins, mais c'est un conte phénicien. Car-Seol est un mot composé de cet idiome, signifiant ville des Renards; les Philistins, originaires d'Égypte, n'ont point eu de colonies connues: les Phéniciens en ont eu beaucoup; et l'on ne peut guère admettre qu'ils aient emprunté ce conte des Hébreux, aussi obscurs que les Druses de nos jours, ni qu'une simple aventure ait donné lieu à un usage religieux: on voit que ce ne peut être qu'un récit mythologique et allégorique, tel que nous l'indiquons dans la note ci-dessus.

      Ceux qui, comme les savants du 16e siècle, veulent que les païens aient calqué les Hébreux, peuvent dire que Samson a servi de modèle à tous ces contes; mais aujourd'hui que nos idées se sont étendues et rectifiées sur l'antiquité, et qu'Hercule nous est bien connu pour être le dieu Soleil29, dont l'histoire allégorisée fut répandue chez tous les peuples long-temps avant qu'il fût question des Hébreux, nous avons droit de croire et de dire que quelque Juif, lévite ou autre, a composé l'anecdote de Samson, en défigurant les traditions populaires des Phéniciens, soit pour s'en moquer, soit pour attribuer ce héros à sa propre nation.

      CHAPITRE III.

      Secours fournis par Flavius Josephus

      CES remarques ne résolvent pas notre problème de la durée des Juges. Quelques chronologistes ont eu recours, pour cet effet, à l'historien Josèphe; il est bien vrai que Josèphe, à raison du temps où il vécut, de sa qualité de prêtre, de son éducation plus soignée, plus libérale que celles des autres Juifs, de sa vie publique, de ses liaisons, de ses lectures à Rome, où il finit ses jours; il est bien vrai que Josèphe

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<p>23</p>

Sam., lib. II, cap. 2.

<p>24</p>

Voyez Fabricius, notes sur l'Hérésie de Philastre.

<p>25</p>

Montfaucon, Antiquité expliquée, tome 1, page 127.

<p>26</p>

Hérodote, lib. II, § XLV.

<p>27</p>

Servins, notes sur l'Énéide, lib. IV, v. 196. Notez que chez les anciens l'Éthiopie est souvent appelée Inde.

<p>28</p>

Ovide, Fastes, liv. IV, v. 681 à 712. Cette même fête avait lieu à Rome vers le 20 avril, au coucher des pluvieuses Hyades. Bochart remarque qu'à cette époque on coupe les blés en Palestine et dans la basse-Égypte (Hierozoicon, tome II, page 857). Or, peu de jours après le coucher des Hyades se levait le Renard, à la suite ou queue duquel venaient les feux ou torches de la canicule, signalés, chez les Égyptiens, par des marques rouges peintes sur le dos de leurs animaux.

<p>29</p>

En arabe Shams-on, Soleil.