Recherches nouvelles sur l'histoire ancienne, tome I. Constantin-François Volney
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Un fait positif vient aussi prouver qu'elle n'en eut point sous les juges, qui furent un véritable temps d'anarchie; car lorsque Josué entre en Palestine, on le voit admettre les Gabaonites à vivre au milieu d'Israël à titre d'esclaves et d'ilotes, malgré la loi de Moïse qui ordonnait l'extermination; et ces mêmes Gabaonites sont cités au temps de David, comme subsistants dans le même état42, ce qui n'aurait pu être si la loi des jubilés eût été exécutée. De plus, il est dit dans le Livre des Juges,43 qu'après le partage des terres, chaque tribu accorda aux Chananéens de son arrondissement, la faculté d'habiter avec le peuple de Dieu, en payant un tribut qu'ils payaient encore au temps de Salomon. On est en droit de conclure de ce double fait, que la loi des Jubilés sabbatiques, cette loi étrange d'oisiveté, de stérilité, de famine organisée pour chaque huitième année, fut abrogée dès le début de la conquête par les Hébreux, qui, après tant de peines et de dangers, trouvèrent sans doute trop dur de relâcher des esclaves et des biens achetés au prix de leur sang: dans ce premier état anarchique ou démocratique, personne n'eut intérêt à réclamer contre l'inobservance; personne n'eût eu le pouvoir de faire exécuter; dans le second état, c'est-à-dire, sous le règne monarchique, lorsque les rois investis d'un pouvoir arbitraire eurent cette faculté, leur prudence dut trouver trop dangereux de rétablir une loi qui eût tout bouleversé.
Ainsi il est constant que depuis Josué jusqu'au temps du roi Sédéqiah, les Juifs n'observèrent point la loi sabbatique, et cela est fâcheux pour la science chronologique, qui eût trouvé dans ce cycle, une mesure précise du temps.
En résumé de toute notre discussion sur le temps des juges, le lecteur voit qu'au delà du grand-prêtre Héli, le système des Juifs est brisé et dissous; que tout y est vague, incertain, confus, que leurs annales ne remontent réellement d'un fil continu, que jusqu'à l'an 1131; enfin, qu'il est impossible d'assigner, à 20 ou 30 ans près, le temps où Moïse a vécu, et qu'il est seulement permis, par un calcul raisonnable de probabilité, de le placer entre les années 1420 et 1450.
CHAPITRE V.
Des temps antérieurs à Moïse et des livres attribués à ce législateur
MAINTENANT si les Juifs n'ont pu conserver de notions exactes du temps écoulé entre le grand-prêtre Héli et Moïse, ni du temps que dura le séjour de leurs pères en Égypte (car rien n'est clair à cet égard), comment peuvent-ils prétendre avoir mieux connu les temps antérieurs où n'existait pas encore la nation, et qui plus est, les temps où n'existait aucune nation, c'est-à-dire, l'époque de l'origine du monde, à laquelle aucun témoin n'assista, et dont leur Genèse nous fait cependant le récit, comme si l'écrivain en eût eu sous les yeux un procès verbal? Les Juifs nous disent que c'est une révélation faite par Dieu à leur prophète: nous répondons que beaucoup d'autres peuples ont tenu le même langage. Les Égyptiens, les Phéniciens, les Chaldéens, les Perses, ont eu, comme le peuple juif, leurs histoires de la création, également révélées à leurs prophètes Hermès, Zoroastre, etc. De nos jours les Indous ont présenté à nos missionnaires les Vedas et les Pouranas, avec des prétentions d'une antiquité plus reculée que la Genèse même, et que les autres livres attribués à Moïse. Il est vrai que nos savants biblistes rejettent, ou du moins contestent l'authenticité de ces livres; mais quand notre zèle convertisseur présente aux Indous la Bible, qu'aurons-nous à répondre, si les brahmes nous rétorquent nos propres arguments européens? Si, par exemple, ils nous disent:
«Vous niez l'authenticité et l'antiquité de certains Pouranas et Chastras, par la raison qu'ils mentionnent des faits postérieurs aux dates présumées de leur composition: eh bien! nous nions à notre tour l'authenticité des cinq livres que vous attribuez à Moïse, par cette même raison que nous y trouvons un grand nombre de passages et de citations qui ne peuvent convenir à ce législateur.»
La question se réduit donc à savoir si cette dernière assertion est fondée en preuve de faits; et c'est une question qui doit se traiter avant toute autre; car le système chronologique antérieur à Moïse, tirant son autorité principale de la supposition que ce prophète en a été le rédacteur, si cette supposition était démontrée fausse, l'autorité du système en serait considérablement affaiblie. De savants critiques ont déjà traité ce sujet44; mais parce qu'ils ne l'ont pas à beaucoup près épuisé, et que surtout ils n'ont pas bien saisi les conséquences qui découlent des preuves, nous allons reprendre la discussion dans ses fondements, et dresser un tableau plus complet qu'aucun autre précédent, de tous les passages du Pentateuque, qui prouvent la posthumité de cet ouvrage relativement à Moïse, et qui indiquent la véritable époque de sa rédaction.
CHAPITRE VI.
Passages du Pentateuque, tendants à indiquer en quel temps et par qui cet ouvrage a été ou n'a pas été composé
1º AU dernier chapitre du Deutéronome on lit un récit détaillé et circonstancié de la mort de Moïse, de son inhumation, et en outre ces phrases singulières: «Personne, jusqu'à ce jour, n'a connu le lieu de sa sépulture, et il ne s'est plus élevé dans Israël de prophète égal à Moïse.»
N'est-ce pas l'indice saillant d'un long temps déjà écoulé? Personne jusqu'à ce jour… il ne s'est plus trouvé de prophète.
On nous dit que ce chapitre a été ajouté après coup, qu'il ne fait point corps avec l'ouvrage. Admettons la réponse, parce qu'elle est naturelle et raisonnable; mais comment expliquera-t-on tous les autres passages qui se trouvent au corps du livre, et qui ne sont pas moins incompatibles avec l'hypothèse reçue? Par exemple, le premier chapitre du Deutéronome débute par ces mots: «Voici les paroles que Moïse adressa à tout Israël au delà du Jourdain45, dans le désert, etc.»
On sait que Moïse ne passa point cette rivière, et qu'il mourut dans le désert qui est à son orient46, par conséquent le mot au delà désigne, relativement à Moïse, la rive occidentale, le côté où est Jérusalem. Par inverse, la rive orientale où Moïse mourut, se trouve au delà du Jourdain, relativement au pays de Jérusalem. Donc cette phrase, Moïse mourut au delà, a été écrite du côté de Jérusalem; donc ce n'est point Moïse qui l'a écrite: l'expression au delà se trouve trois autres fois: 1° Deutéronome (chap. 3, vers. 8), l'on fait dire à Moïse: «En même temps que nous enlevâmes à deux rois amorrhéens leur pays situé au delà du Jourdain, entre le torrent Arnon et le mont Hermon.» Puisque Moïse parlait dans ce pays-là même, il était en deçà et non au delà; et la note qu'il joint immédiatement, ne lui convient pas davantage....
«Or, l'Hermon est appelé Chirin par les Sidoniens, et Chinir par les Amorrhéens.»
Une
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[Chap. 25, v. 11.] «Depuis 23 ans, je vous ai porté la parole de Dieu, vous ne m'avez point écouté; voici ce que dit aujourd'hui le Seigieur: J'amène Nabukodonosor, roi de Babylone; il va dévaster cette terre; elle restera déserte, et tous ses peuples seront en servitude 70 ans, et quand 70 ans seront écoulés, je visiterai Babylone à son tour, et je la détruirai».
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[Chap. 29, v. 5-10]. «Bâtissez des maisons à Babylone; plantez-y, semez-y; mariez-vous-y, etc.; car voici ce que dit le Seigneur: Lorsque 70 ans seront écoulés (pendant votre séjour) à Babylone, je vous visiterai et vous ramenerai ici».
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La différence de 2 ou 3 ans que nous avons citée n'aurait-elle point pour cause l'intercalation de quelques années, faite dans cet espace de près de 500 ans, par des procédés que nous ignorons; car, quoi que l'on en ait dit, nous ne connaissons pas exactement la forme de l'année juive avant la captivité de Babylone?
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Plusieurs traductions latines altèrent ici et ailleurs le vrai sens des mots, et au lieu de dire
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