Les trois Don Juan. Guillaume Apollinaire

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Les trois Don Juan - Guillaume Apollinaire

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je n'en dis rien: vous jugerez par vous-même.

      –La lutte sera belle, car Niceto est fort.

      –Il trouvera à qui parler! À propos, vous êtes le parrain de Niceto. Je seconde mon neveu, comme il est juste.»

      Dans la cour, les deux témoins se placèrent en face l'un de l'autre, croisant la ligne occupée par les combattants. Puis ils les mirent en place.

      «Vous pouvez aller! seigneurs», dit Rinalte.

      Contrairement à ce que les deux témoins avaient prévu, il n'y eut pas de lutte. Les deux adversaires fondirent impétueusement l'un sur l'autre, le fer tendu. Il y eut un coup fourré mais avec des résultats bien différents: l'épée de Niceto glissa sur la poitrine de Juan, l'épée de Juan atteignit Niceto en plein ventre.

      Celui-ci, l'arme lâche, tomba en arrière, la figure crispée. Une tache rouge suinta peu à peu à travers son pourpoint blanc…

      Juan s'était arrêté, épouvanté. Mais Jorge respirait plus paisiblement.

      «Vous êtes grièvement blessé? demanda Rinalte à son client.

      –Non, répondit Niceto par fierté. J'aurai ma revanche.

      –Quand vous voudrez, reprit Don Juan», auquel cette nouvelle menace avait rendu son assurance.

      Cependant l'écuyer de Rinalte était accouru et, avec son maître, il transporta Niceto dans son lit.

      «Je suis content de toi, Juanito, dit l'oncle à son neveu. Voilà tes preuves faites et bien faites. Mais une autre fois n'y mets pas tant d'ardeur. C'est dangereux. Tu as failli te faire tuer. Je ne comprends pas que l'épée… Mais voyons donc…»

      Il saisit la médaille qu'il avait donnée à Juan et l'examina attentivement. Elle était profondément sillonnée d'un bord sur l'autre.

      «La médaille t'a sauvé la vie! C'est une médaille de Saint-Jorge, mon patron, que le pape Alexandre VI a bénie lui-même. Elle met à l'abri du fer et du feu. Sans elle, comment me serais-je tiré de tant de mauvaises rencontres! Et maintenant, remontons, ta belle t'attend.

      –Quoi, mon oncle, après ce qui s'est passé?

      –Raison de plus. Tu t'es battu pour elle, elle te doit la récompense!»

      Au moment d'entrer dans la salle à manger, Juan s'arrêta, croyant entendre le bruit d'une altercation.

      C'étaient, en effet, Soledad et Pandora, qui se disputaient.

      «Je t'ai bien vue, disait celle-ci. Pendant le souper tu lui as fait de l'œil en dessous.

      –Le soleil luit pour tout le monde. N'ai-je pas le droit de regarder ce jeune homme?

      –Si tu as le malheur de recommencer, j'avertis Don Rinalte.

      –Je m'en moque. Je ne chômerais pas d'amoureux à Séville. Te crois-tu seule capable de plaire aux hommes? Parce que tu as eu des cardinaux! Moi aussi, j'en aurais des cardinaux, si j'allais en Italie!

      –À savoir. Quoi qu'il en soit, Juan n'est pas pour toi! Tu n'es pas à la hauteur, ma petite. Du reste, je suis Sévillane et porte un poignard à ma jarretière. Comme je n'en ai pas besoin pour défendre ma vertu, je m'en servirai pour défendre mon amour. Oui, mon amour, car je l'aime, entends-tu. Je le veux!»

      Don Juan entra dans la salle, à demi grisé par les propos qu'il venait d'entendre. Il promena son regard sur les deux créatures, dont la chair s'offrait ainsi à lui. Il était le maître. Il pouvait choisir.

      Mais Pandora avait saisi son bras.

      «Viens, mon bien-aimé, dit-elle. Viens que je te serre dans mes bras. Tu t'es vaillamment battu. Je t'ai vu. J'étais là, à la fenêtre, penchée sur le jardin, et je regardais. Ah! si ce Niceto t'avait tué, je l'aurais poignardé!»

      Elle le baisa longuement sur les lèvres.

      «Prenons nos manteaux, mesdames, dit Don Jorge. Rinalte passera la nuit auprès de Niceto et vous souhaite le bonsoir.

      –Madame Soledad n'a personne pour l'accompagner, dit la Pandora d'un ton ironique. Mais nous irons la reconduire…»

      Soledad était vaincue. On la reconduisit, en effet, à son logis, sans qu'elle osât plus rien tenter contre son audacieuse rivale.

      De là, on se rendit à la maison de Pandora. Elle frappa d'une main impatiente, et sa camériste vint lui ouvrir. Alors, Juan quitta son bras et la salua respectueusement.

      «Madame, dit-il, j'ai l'honneur de vous souhaiter une bonne nuit.

      –Ah çà, reprit-elle en le regardant d'un air moqueur, comptes-tu m'épouser dans six mois?»

      Jorge partit d'un éclat de rire.

      La Magdalena poussa Juan dans l'allée et lui souhaita à son tour une bonne nuit.

      Le lendemain, Don Jorge se rendit de bonne heure chez Don Rinalte pour prendre des nouvelles du blessé.

      «Ah! ce fut un fameux coup d'épée, dit celui-ci. Les médecins n'ont pu arrêter le sang. Niceto est mort cette nuit. Venir à bout dans la même soirée du plus fameux duelliste et de la plus froide courtisane de Séville! À dix-sept ans! Votre neveu ira loin!»

      CHAPITRE III

      DON JUAN À LA COUR DE NAPLES

      En exil.—Une duchesse violée.—L'arrivée du Roi.—Intervention de Don Jorge.—L'oncle et le neveu.—La fuite.—La duchesse au secret.—Les conseils d'un valet de chambre.—Stupéfaction et fuite du duc Octavio.

      Dans les bras experts de la Pandora, Juan avait appris la volupté et tous ses raffinements. Ces leçons ne furent pas perdues. Il comprit de suite que l'amour se devait conquérir par tous les moyens, bons ou mauvais. Il était beau, il était jeune, il était fort. Les femmes seraient à lui.

      Cependant, les circonstances de la mort de Don Niceto avaient été connues peu à peu; d'autres duels, d'autres enlèvements rendirent bientôt la situation de Juan intenable à Séville, et sa famille décida de l'envoyer dans le royaume de Naples, où son oncle Jorge avait été depuis peu nommé chef de la mission militaire espagnole chargée d'inculquer aux paresseux Napolitains les secrets de l'art de la guerre.

      Juan, dans cette cour facile, reprit le cours de ses amoureux exploits. L'aventure qui lui fit quitter le royaume mérite d'être contée.

      La duchesse Isabelle, jeune veuve d'une ravissante beauté, devait épouser le duc Octavio, mais Juan en était éperdument amoureux. Dans ses pires tromperies, il y avait en ce temps une part de sincérité.

      Il n'avait abouti à rien. Il avait de plus acquis la conviction que le duc faisait à Isabelle la cour la moins platonique, désirant sans doute s'assurer de quelques gages d'amour palpable, avant que l'heure officielle de l'hyménée n'eût sonné.

      À la suite d'une fête donnée au palais royal, la duchesse s'était assoupie dans un petit boudoir retiré. Juan, qui la guettait, se glissa dans la salle mi-obscure. Il éteignit la dernière chandelle et s'assit près de la belle qui sommeillait d'un léger sommeil, agrémenté sans doute de rêves d'amour.

      «C'est

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