Le Grand Ski-Lift. Anton Soliman

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Le Grand Ski-Lift - Anton Soliman

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Oui, c’est ça. C’est quelqu’un de particulier, qui n’aime pas les endroits à la mode, une personne qui est toujours à la recherche de mondes non fréquentés. Moi, je suis sceptique sur le fait qu’on puisse encore trouver aujourd’hui des lieux préservés -il respira profondément et ajouta- cette fois-ci je l’ai écouté, mais je crois que c’est une erreur, vu ce que j’ai trouvé sur l’esplanade du téléphérique.

      â€” A quoi t’attendais-tu ?

      â€” J’imaginais que j’allais arriver dans un endroit plus haut en couleurs. Je ne voudrais pas dénigrer ton village, mais tu dois reconnaître que ce n’est pas un endroit adapté au grand ski alpin ! J’imaginais trouver des chalets de bois, une place illuminée et ensevelie sous la neige, une atmosphère de fête, en somme, et puis, à l’horizon, des chaînes de montagnes enneigées.

      â€” Ce que tu dis est vrai, à première vue. Même si je suis née ici, j’admets très bien qu’il n’y a rien d’attrayant à Valle Chiara. Ce n’est d’ailleurs pas un village alpin. Je pensais comme toi, jusqu’à ce que je rencontre le maire. Lui, il avait étudié la question à fond, et il pensait que le véritable paysage de cet endroit était caché par une espèce de « Muraille ». C’est pour ça qu’il voulait construire le téléphérique, pour aller au-delà d’une zone sans intérêt et arriver jusqu’aux plateaux. Mais ne me demande pas où se trouvent précisément ces plateaux, parce que je ne suis jamais montée en altitude.

      â€” Tu veux dire que tu ne connais pas le territoire où tu es née ?

      â€” Je connais le village, et quelques circuits de promenades jusqu’à la première clairière dans le bois. Et ce n’est pas qu’une question de paresse personnelle, parce que les gens d’ici ont tous plus ou moins la même connaissance limitée que moi.

      â€” Tu veux dire que les habitants de la vallée ne bougent pas ? Excuse-moi, mais un tel manque d’intérêt est incroyable.

      â€” C’est tout à fait ça ! Il n’y a que quelques habitants qui savent tout du territoire alentour. Des gens qui s’éloignent du village pour leur travail, les bergers ou les bûcherons, par exemple. Mais leur expérience est sans valeur pour ce qui t’intéresse. Toi, tu es un citadin à la recherche de visions enchantées, qui ont d’une certaine manière quelque chose à voir avec les histoires qu’on t’a racontées quand tu étais petit. Les citadins imaginent toujours des paysages fantastiques qu’un berger de métier ne peut pas voir.

      Oskar se versa un peu de la bière que Clara avait laissée sur la table.

      â€” J’ai compris. C’est la question de la « Reconnaissance », un gros problème, j’en ai entendu parler. Tu sais, je suis ingénieur, et à une certaine période, je me suis intéressé aux modèles et aux programmes de calcul. J’ai même lu plusieurs ouvrages sur l’intelligence artificielle -il respira profondément- mais je crois que la discussion deviendrait trop difficile, d’autant plus que je ne peux vraiment pas dire que je sois expert en la matière.

      Il se passa nerveusement une main dans les cheveux, comme s’il avait été troublé par un mauvais souvenir. Pourquoi avoir évoqué l’intelligence artificielle ? Il lui sembla que c’était une expression inappropriée, mieux valait changer de sujet tout de suite.

      â€” Excuse mes divagations, et revenons-en au téléphérique. Il a été construit pour passer au-delà d’une muraille, alors. C’est une image bien mystérieuse, je trouve.

      â€” On m’a dit que l’installation passe au-dessus de la Tour en arrivant à un pâturage d’altitude. Je ne sais rien d’autre -elle semblait irritée- je te l’ai déjà dit, je ne suis jamais arrivée jusqu’aux plateaux !

      â€” Et la neige commencerait à ces pâturages ? Un skieur pourrait donc monter jusque là-haut, puis redescendre à l’esplanade du téléphérique en suivant une piste quelconque. Alors c’est que ce n’est pas la bonne saison… À moins que la neige ne soit en retard, cette année ?

      â€” Non, on est en plein hiver, et il fait même froid, pour nous. En réalité, il ne neige que rarement dans la vallée, il n’y a souvent qu’une boue un peu claire. En hiver, le ciel est presque toujours couvert, en général on a du grésil. Si, quelquefois, il neige la nuit, mais ça ne tient pas, la neige fond en deux ou trois jours.

      â€” Alors il faudrait utiliser ce téléphérique en été, pour monter faire des randonnées dans les pâturages ! s’exclama-t-il en riant.

      â€” Non, tu te trompes. Le maire l’avait vraiment fait construire pour se connecter au Grand Ski-lift, mais c’est le directeur de l’exploitation qui connaît tous les détails. Je te le présenterai demain matin.

      Ils changèrent de sujet et discutèrent encore quelques instants, puis elle accompagna Oskar dans une chambre qui devait faire partie de la construction ancienne, où il pourrait dormir au chaud.

      C’était une vieille chambre qu’on utilisait également comme grenier : il y avait des meubles et des objets de famille. Clara lui dit que c’était la pièce des souvenirs. Elle était sûre qu’il n’y aurait pas froid. Un peu comme dans la cuisine.

      Ã€ Valle Chiara

      Oskar se réveilla en sursaut. Il avait du mal à se souvenir des événements de la veille. Comment avait-il échoué dans cette chambre inconnue ? Par la fenêtre, une faible luminescence blanchâtre révélait une lumière hivernale. Il regarda sa montre et découvrit, surpris, qu’il était dix heures du matin. Il allait se lever d’un bond, mais se recoucha de nouveau : il n’avait rien à faire. Il était en vacances. Il se trouvait dans une pièce pleine d’objets anciens ; quand ses yeux se furent habitués à la pénombre, il observa tranquillement les objets du passé, l’un après l’autre.

      Aimait-il donc tant le passé ? Le passé est une obsession, les indices que livre le présent remontent toujours à l’enfance. C’est désormais l’hypothèse classique à laquelle presque tout le monde a recours. Il fallait donc repartir en arrière et retrouver le fil coupé… et ensuite ? Ensuite, émerger à nouveau dans le présent, changé. Mais en cet instant, cette éventualité lui sembla irréalisable.

      Il avait parfois réfléchi à la façon dont, enfant, il percevait le monde. Il s’agissait d’un monde agréable, alors qu’il attendait l’âge adulte avec impatience. Peut-être que les événements désagréables, qui existaient déjà, ne le touchaient pas de près. À cette époque, il était détaché du Mal. Il avait atteint l’Harmonie sans s’en rendre compte, puis tout s’était désagrégé, à cause des désirs. Personne n’a jamais pu expliquer de quelle façon commence la

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