Le Grand Ski-Lift. Anton Soliman
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âNon, pas du tout ! Je suppose que votre ami a utilisé lâinstallation de façon correcte, après une randonnée en altitude. Peut-être se sera-t-il trouvé dans une situation de nécessité. Je faisais référence à un autre type de personnes, voyez-vous. Je parle des illegales qui sâintroduisent sur notre territoire de façon subreptice.
Il but son café, puis poursuivit à voix basse, dâun air circonspect.
â Monsieur Zerbi, jâai appris que pendant les tests, lâinstallation était remise en fonction la nuit, toujours en cachette⦠et câest ainsi que les clandestins ont commencé à descendre dans la vallée ; ils disparaissaient dans le bois dès quâils descendaient des cabines, sur lâesplanade. Je crois quâils avaient corrompu les machinistes dâune manière ou dâune autre ; lâhistoire circulait parmi les gens du village qui avaient remarqué des visages asiatiques dans la vallée.
Les traits du directeur étaient maintenant altérés. Après un moment dâhésitation, il poursuivit lâexposé de sa version des faits.
â Bien, les nuits suivant cette découverte, nous nous sommes mis en embuscade au départ, et nous avons surpris quelques illegales sur lâesplanade. Câétaient deux Asiatiques, Mongols, peut-être, qui ne parlaient pas un traître mot de notre langue, et il nâa donc pas été possible de découvrir la raison de ce trafic à Valle Chiara.
â Quâavez-vous fait ?
â Rien. Je les ai laissés partir. Du reste, quâaurais-je dû faire ? Appeler la police ?
Il se leva, visiblement embarrassé.
â Monsieur Zerbi⦠En somme, vous avez parlé avec Ignazio, le patron de lâhôtel, au sujet de la naissance de cette initiative ?
â Oui. Il a fait allusion à un inspirateur venu de Californie.
â Câest cela, exactement, un Californien. Une personne de génie, qui, selon moi, ne voulait pas seulement rendre service à son village dâorigine, mais aussi mettre en Åuvre une expérience complexe de développement du territoire.
â Une expérience ?
â Précisément ! Selon moi, cette personne avait étudié dans le détail un problème relatif aux réseaux. Vous connaissez ces sciences avancées qui étudient analytiquement les systèmes réticulaires ?
â Oui, un peu. Je devrais même être plus au courant, vu que jâai un diplôme dâingénieur. Mais ce sont des choses que lâon apprend à lâuniversité et que lâon oublie par la suite.
âDonc vous êtes ingénieur. Félicitations ! Moi, je ne suis quâun expert-technicien, mais je me suis un temps intéressé aux réseaux, juste par curiosité, sans avoir la possibilité dâapprofondir. Eh bien, je crois que le promoteur de cette initiative, le précédent maire du village, poursuivait un projet scientifique. Je suis même sûr quâil le suit encore, de lâextérieur. Comme on vous lâa peut-être dit, après lâinauguration de la « connexion », comme il lâappelait, il a donné sa démission et a quitté Valle Chiara pour toujours.
Le directeur resta un instant pensif, puis ajouta :
â Je me souviens bien du jour de lâinauguration, le maire avait hâte de sâen aller, comme sâil avait eu dâautres choses à faire. Le chantier sâétait peut-être prolongé au-delà des délais convenus.
Ils restèrent tous deux silencieux, lâhomme sâétait approché de la fenêtre dâoù filtrait la mélancolique luminescence hivernale. Dehors, il bruinait.
â Monsieur lâingénieur, nous nous sommes éloignés de notre sujet. Je vous parlais des illegales quâil aurait fallu dénoncer. Vous aurez maintenant compris que cette installation nâest pas tout à fait en règle. Le projet a un nom vague, il a été officiellement homologué comme « téléphérique à usage professionnel pour le transport de matériaux ».
â Je nâen comprends pas la raison, il sâagit dâun projet de la commune de Valle Chiara pour développer le tourisme ! Pourquoi tous ces mystères ?
â Je crois que nous touchons au point critique de toute lâaffaire. Ãcoutez-moi bien, Monsieur. La vallée est trop bas, elle est à lâécart des grandes chaînes de montagnes. Une installation touristique pour le ski au sens strict ne serait pas faisable.
â Enfin ! Il me semble que câest là le nÅud de lâaffaire.
â Le circuit du Grand Ski-lift est trop loin de la vallée. Sur la Sierra, il y a des milliers de villages qui, au fil du temps, se sont tous dotés dâune belle petite installation pour accueillir le tourisme hivernal. Avec le temps, les villages ont construit des liaisons transversales et ont créé les circuits de vallées ; les circuits de vallées se sont à leur tour rassemblés et ont donné naissance aux consortiums de la Sierra. On en est déjà à parler de amas. Vous êtes au courant de ces initiatives, Monsieur ?
â Jâai lu des choses dans les publicités des journaux. Il me semble quâà certains endroits, on offre de longues traversées dâune vallée à lâautre en utilisant une sorte de super-forfait.
â Exactement ! Ce sont des circuits de montagne avec des remontées interconnectées. Quand le Professeur est arrivé au village pour assumer la charge de maire, il mâa embauché comme directeur des installations de Valle Chiara. Il mâa précisément parlé de ce Grand Réseau et de la façon dont il allait se développer. Dâaprès ses informations, les consortiums évoluaient toujours, et franchissaient les frontières nationales en intégrant dâautres chaînes de montagnes, dans toutes les directions. En substance, il semble quâen ce moment précis, personne nâa connaissance de lâextension réelle du réseau. Une immense toile dâaraignée, avec des sous-réseaux périphériques, des lignes abandonnées, des connexions sans issue, et ainsi de suiteâ¦
â Excusez-moi, Monsieur le directeur, mais pourquoi le maire, ou le professeur, comme vous dites, tenait tellement à relier le village à ce grand circuit ?
âEh bien, je vous donne la version officielle qui a permis à lâinitiative de voir le jour, avec lâaccord des gens du village. La connexion au Grand Ski-lift allait être une source de revenus pour cette vallée isolée. L'idée était donc de construire un téléphérique jusquâaux plateaux⦠bien que les plateaux soient encore loin du Grand Ski-lift. Mais pour le maire, ce dernier point était sans importance dans le succès de lâentreprise. Dâaprès ses calculs, un flux de trafic jusquâau Grand Circuit se créerait spontanément autour du terminal. Il serait une sorte « dâattracteur