Le Grand Ski-Lift. Anton Soliman
Чтение книги онлайн.
Читать онлайн книгу Le Grand Ski-Lift - Anton Soliman страница 9
Il retourna dans sa chambre, lâesprit fatigué, et le cerveau piqué par des milliers dâépingles. Il sâallongea sur le lit, fixant dans la pénombre les objets anciens éparpillés sur les meubles et accrochés aux murs, des objets de mauvais goût que, de toute évidence, les propriétaires avaient acheté dans des foires de campagne. Câétaient des souvenirs qui nâauraient rien dû signifier pour lui, mais que, conditionné par sa mémoire, il sentait pourtant comme familiers, exactement comme la cuisine de lâhôtel. Câétait la part « archaïque » de son Ãtre.
Tout commence dans lâenfance : sans aucune défense, sans avoir la possibilité de choisir les situations favorables, par définition. Le fait que les souvenirs ne soient sélectionnés quâau cours de la « vie » était un fait quâOskar tenait pour un aspect étrange de lâexistence. Cela voulait dire que lâÃtre est enfermé pour toujours dans une espèce dâaquarium. Une banalité à laquelle il nâavait jamais réfléchi sérieusement. Il avait parfois examiné la possibilité de vies prénatales ou de réincarnations, mais il était convaincu quâil sâagissait dâévocations qui nâallaient pas au-delà des explications sur le « déjà vu ».
Il sâendormit et rêva quâil glissait sur une longue vague, parfaitement lisse, sans la moindre strie. Câétait certainement un rêve important, dont il ne voulait pas se détacher, il sâagissait peut-être dâun Archétype incarné dans des signaux purs, comme le mouvement ondulatoire, par exemple.
Quand il ouvrit les yeux, il faisait encore nuit noire, la pièce lui apparut à la seule clarté irrégulière des braises de la cheminée. Il se sentait épuisé. Il regretta dâavoir quitté la Ville, même sâil se rendait compte quâil y vivait mal, noyé dans lâinutilité qui lui avait rongé lââme. Il était malade depuis trop longtemps, du reste, pour pouvoir espérer une résurrection et, pour survivre, il avait abusé des émotions, qui avaient fini par se déformer. Il décida donc quâil rentrerait en Ville le lendemain. Il ne pouvait pas rester dans cet hôtel à mendier la compagnie de la fille des propriétaires, qui sâétaient peut-être entendus entre eux pour ne pas le laisser seul. Clara était charmante, ou du moins elle lui paraissait charmante dans ces circonstances. Il lui semblait quâelle vivait une vie plutôt compacte, de celles où les pensées existent à lâétat solide.
Lâidée dâaccéder au Grand Ski-lift était maintenant devenue un exploit hors de sa portée. Oskar nâétait plus en mesure dâemprunter seul le téléphérique, et encore moins de passer la nuit en altitude dans un chalet dâalpage perdu. Il pensa quâil en serait certainement mort, anéanti par une immensité quâil ne pouvait assimiler.
Malgré sa fragilité, il oubliait parfois son mal-être et rêvait de parcourir le vaste monde, seul, sans destination précise, comme aurait pu le faire nâimporte quel sage capable dâidentifier les infinies nuances de la liberté.
Il était maintenant tout à fait réveillé, et ne se sentait plus fatigué. Ses yeux sâétaient habitués à la pénombre, la chambre commençait à lui procurer une sensation de bien-être, car il était allongé sur une surface sur laquelle glissaient les sentiments de sécurité et de continuité : un lieu lunaire, la Mer de la Tranquillité.
Clara ouvrit lentement la porte, sâapprochant du lit pour vérifier si Oskar dormait : en le voyant les yeux ouverts, elle sourit et lui posa une main sur le front.
â Je suis venue il y a un bon moment pour tâemmener aux sources voir le coucher de soleil. Tu te plaignais dans ton sommeil, tu as dû faire un cauchemar.
â Câest vrai ?
â Tu avais le front brûlant, dit-elle à voix basse.
â Quelle heure est-il ?
â Presque minuit.
Oskar fut surpris, il devait être très fatigué pour avoir dormi autant. Mais il se sentait mieux.
Ils trouvèrent une lampe à pétrole et lâallumèrent, puis sâassirent près de la cheminée, restant lâun à côté de lâautre devant le feu, sans rien dire. Ce fut Oskar qui rompit le silence :
â Quâest-ce que tu faisais, quand tu étais en Ville ?
â Jâétais inscrite à lâAcadémie des Beaux-Arts, et tant que je faisais mes études, je me suis amusée. Jâavais plein dâamis, jâai même joué dans un bar, jâaime la musique.
â Bien ! Bravo, tu ne pouvais pas faire mieux. Et quâest-ce quâil sâest passé, ensuite ?
Clara se fit sérieuse, sâinstalla plus confortablement dans son fauteuil.
â Les problèmes sont apparus quand jâai commencé à travailler. Le travail est quelque chose dâincompréhensible, en Ville. Je crois quâil nây a que très peu de gens qui comprennent comment cela fonctionne.
â Je pense que tu as raison, le travail est une chose vraiment mystérieuseâ¦. Et tu es donc rentrée à Valla Chiara ?
â Bien sûr. Quel sens ça avait de rester en Ville ? Jâaurais fini par avoir une existence plate.
Câétait vrai, pensa Oskar. Par certains aspects, les impressions de Clara nâétaient pas très différentes des siennes.
â Toi, par contre, tu es ingénieur, pas vrai ? Où travailles-tu ?
â à la H.M.C. comme expert des matériaux.
â Ãa doit être intéressant, comme travail.
â Assez. Mais les derniers temps, jâai trop travaillé, câest pour ça que je suis en vacances.
Il y avait une place quâil connaissait bien, en Ville, et câest là quâil avait retrouvé un homme qui ne lui avait pas proposé de partir en vacances, mais⦠de sâinsérer dans le Grand Ski-lift, comme si câétait un travail à accomplir.
Clara se tourna vers lui et lui posa délicatement une main sur le front, et le caressa.
â Je sais tout. Jâai compris que quelque chose nâallait pas dès que je tâai vu dans la salle à manger. Je me suis intéressée à toi parce que jâai pensé que tu avais besoin de quelquâun.
Ils sâembrassèrent longuement, puis sâendormirent