Le Grand Ski-Lift. Anton Soliman

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Le Grand Ski-Lift - Anton Soliman

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qui est de boire et de manger, je n’ai pas à me plaindre. Mais je suis mieux au village, avec ma famille.

      â€” Mais alors, excusez-moi, pourquoi avez-vous accepté ce poste ? demanda Oskar.

      â€” J’avais besoin de travailler. Et puis je ne pensais pas que la vie serait si dure, ici, sur la Sierra.

      Le guide ne disait rien, il s’était installé devant le feu et fumait sa pipe.

      â€” Vous n’aimez pas être seul, alors ?

      â€” Ah non, vraiment pas. Quand les nuits sont tranquilles, ça va, bien sûr, mais vous devriez voir ce que c’est quand ça tourne à la tempête. On dirait que toutes les âmes du purgatoire frappent à votre porte.

      L’homme continua une bonne heure encore à parler de ses problèmes ; sa crainte véritable était d’avoir un malaise pendant une tempête, de nuit, et de mourir seul. Oskar pensa que pour lui, le meilleur endroit devait être le bar du village, où il pouvait jouer aux cartes avec ses amis.

      Il se rendit compte qu’il éprouvait un sentiment de répulsion à l’égard du machiniste, à cause de son indigence sournoise ; quelque chose qui remontait à très loin. Il devait cependant surmonter cet état d’esprit négatif par la « compassion ». Mais c’était impossible à ce moment, le machiniste transmettait des émotions d’un type traditionnel : un mur qu’Oskar essayait d’abattre. Il resta donc silencieux, écoutant les plaintes de l’homme qui avait juste besoin de parler, sans écouter de réponses. Pendant ce temps, le guide s’était endormi devant le feu.

      Allongé sur sa couchette, Oskar passa une mauvaise nuit, à cause du froid. On frappa à sa porte aux premières lueurs de l’aube.

      â€” Monsieur Zerbi, courage, habillez-vous ! Nous devons y aller, dit le guide gentiment, mais d’une voix résolue et autoritaire.

      Il se leva péniblement, et s’habilla en toute hâte. Il était ému, il se rendait compte qu’il ne s’agissait pas d’une banale randonnée en montagne. Il y avait quelque chose de plus essentiel, qui ne transparaissait pas encore du projet général du promoteur de l’installation. Ils burent tous les deux un café noir, alors qu’on devinait par la fenêtre la lueur enchantée de la lumière de l’aube. Le machiniste leur dit que pendant la nuit, la température était tombée bien en-dessous de zéro ; puis il les accompagna jusqu’à la lourde porte qu’il lui fallut presque ouvrir à coups d’épaule, à cause du gel.

      Mario s’était mis une coiffe de fourrure et, pour la première fois, Oskar remarqua qu’il avait les cheveux rassemblés en une queue de cheval. Il semblait différent de l’homme de la vallée que le directeur lui avait envoyé la veille au matin, il ressemblait maintenant à un animal sauvage qui aurait enfin retrouvé sa liberté.

      Le guide se mit en chemin d’un pas décidé :

      â€” Ça va, comme allure, Monsieur ?

      Puisque l’homme lui avait adressé la parole, Oskar lui demanda :

      â€” Qu’est-ce que tu penses de ce type ?

      â€” Qui, Franz, l’employé de l’installation ? C’est le râleur de service, comme beaucoup au village. Il se plaint tout le temps. J’étais là, le jour où il s’est quasiment mis à genoux devant le maire pour avoir ce boulot. Il avait même dit que plus les endroits où on le mettrait seraient isolés, mieux il s’en trouverait, vu que sa femme est vieille et qu’elle sent mauvais.

      â€” C’est ce que j’imaginais, fit Oskar.

      Il pensa que la compassion était tout de même nécessaire à son équilibre spirituel. Une autre forme subtile d’égoïsme ? Évidemment. C’était la patine de protection qu’adoptent les saints et les professionnels du Bien : une espèce de crème solaire.

      Dès qu’ils arrivèrent au col, le vent devint violent. Ils franchirent une arête de glace prise entre d’énormes blocs d’une roche blanchâtre. Une fois qu’ils l’eurent franchie, ils descendirent à moindre altitude et le vent ne fut à nouveau plus qu’une brise légère. Le dernier plateau s’étendait devant eux, après quoi ils verraient les tracés des pistes du Grand Ski-lift.

      â€” Mettez vos lunettes, Monsieur, le soleil est très fort, ici. On va suivre le sentier jusqu’à ce rocher sombre, et puis on chaussera les skis pour traverser le replat.

      Le rocher qu’il lui avait indiqué était assez loin, mais ils marchaient d’un bon pas. Au début, Oskar sentit sa fatigue, puis il prit un bon rythme, et entra enfin dans un état de bien-être profond dans lequel il aurait pu aller n’importe où. Ses vacances se mettaient peut-être sur une bonne voie. Les choses lui apparaissaient sous un jour étrange, c’était comme s’il s’était échappé d’un jeu de tarot où un sortilège l’aurait retenu prisonnier. Contrairement à ce qui lui était arrivé pendant les années passées en Ville, il se sentait détaché des circonstances : il se trouvait avec un guide en haute montagne, aux confins indéfinis de la Sierra, sans points de repères, sans même une date de retour…

      Quand ils arrivèrent au rocher sombre, Mario s’arrêta tout net et fit signe à Oskar de s’accroupir, puis il tira des jumelles de son sac à dos pour mieux voir quelque chose qui bougeait sur la neige.

      â€” Juste un peu de patience, Monsieur.

      Il sortit une carabine de précision d’un étui de toile, prit une grosse cartouche verte qu’il enfila dans le canon, et dit, tout en manipulant son fusil :

      â€” Les fédéraux me donnent une récompense pour chaque clandestin que je capture.

      Il ajusta son tir à travers la lunette montée sur la carabine et tira un coup près d’un tas de neige blanche, à deux cents yards environ. La neige se teinta d’un vert fluorescent et trois Asiatiques se levèrent, les mains en l’air. Tout à coup, l’un d’entre eux se mit à courir, alors Mario, calmement, tira un autre coup. Le clandestin continua quelques mètres encore, à pas incroyablement lents, avant de tomber dans la neige.

      â€” Il est mort ? demanda Oskar.

      â€” Non, pardieu, je l’ai juste endormi.

      Ils arrivèrent près des deux Asiatiques assis dans la neige, les mains sur la tête : ils n’avaient aucune expression hostile, ils souriaient même. Mario les menotta l’un à l’autre et fit déplacer le petit groupe près de l’homme endormi. Les illegales avaient des visages très ronds, presque sphériques, comme des ballons. Leurs yeux, ceux d’une jeune fille en particulier, étaient deux fentes minces au travers des paupières.

      Mario tira de son sac à dos une tablette de chocolat qu’il tendit à ceux qui étaient réveillés, qui

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