Le Grand Ski-Lift. Anton Soliman
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Читать онлайн книгу Le Grand Ski-Lift - Anton Soliman страница 11
â De quoi tâoccupes-tu en Ville ? Si je ne suis pas trop indiscrèteâ¦
Oskar réfléchit avant de répondre. Il nâavait jamais été lucide sur ce sujet. Dâune voix mal assurée, il essaya de lâexpliquer dâune phrase :
â Je crois que je fais un travail inutile.
Il se leva pour prendre la chope de bière posée sur le buffet, retourna à sa place, et ajouta :
â Quelques fois, jâai été jusquâà penser que mon travail nâétait même pas utilisé. Des feuilles de papier quâon pose sur des étagères et quâon brûle quelques mois après.
Oskar remarqua des signes de fatigue sur le visage de la jeune femme, et dit alors :
â Quand je suis arrivé sur lâesplanade du téléphérique je me suis rendu compte que jâavais commis une erreur⦠et je me suis senti perdu. Mais quand je tâai vue ici, à lâhôtel, jâai cru que tu allais pouvoir me sauver.
â Te sauver de quoi ?
â Câest difficile à expliquer. Peut-être que jâai pensé que tu avais la solution à portée de mainâ¦
â Câest étrange, jâai pensé la même chose ! sâexclama Clara.
La connexion
Oskar était sur lâesplanade du téléphérique, avec un sac à dos de montagne et ses skis. Un léger vent froid, qui soufflait du nord, avait balayé les nuages pendant la nuit.
Le directeur avait accueilli sa demande avec satisfaction ; après lui avoir remis une carte pluriannuelle du Grand Ski-lift, il nâavait demandé que quelques heures pour effectuer les derniers contrôles sur lâinstallation. Oskar monterait sur les plateaux avec un guide qui lâaccompagnerait en altitude, jusquâen bordure des pistes : câétait un homme de la vallée, jeune, trapu, qui avait lui aussi un sac à dos sur les épaules, et un bonnet de laine.
â Bonjour, Monsieur lâingénieur, je mâappelle Mario. Le directeur mâa chargé de vous accompagner jusquâaux plateaux.
â Bien. Quand penses-tu que nous pourrons partir ?
â Le machiniste a téléphoné au bureau pour dire que tout était prêt. On peut déjà entrer dans la cabine.
Dâune petite fenêtre de la baraque du départ, un homme fit un signe de la main. On entendit les moteurs électriques se mettre en marche. Lâinstallation ressemblait à un manège qui sâétirait vers le haut, à perte de vue. Les deux hommes montèrent dans une cabine ovale et sâassirent lâun en face de lâautre, sur deux strapontins de plastique. Le guide ferma la porte dâune secousse, et la cabine commença son ascension.
â Si jâai bien compris, cette installation arrive jusquâaux plateaux, fit Oskar, pour dire quelque chose.
â Oui, Monsieur.
â Et le circuit du Grand Ski-lift est encore loin, après ?
â Il faut traverser le plateau jusquâà un col, puis on descend dans une cuvette : une des pistes périphériques du Grand Ski-lift passe de lâautre côté. Disons quâil faudra partir demain à lâaube pour arriver en bordure du Circuit après midi.
Oskar regardait vers le haut, vers le dernier pylône visible qui brillait dâune lumière particulière. Au fur et à mesure que la cabine montait, le panorama du fond de la vallée se dévoilait dans son immensité. De cette hauteur, le village nâétait déjà plus quâune tache de maisons marron dâoù montaient des rubans de fumée. Une fumée qui, en altitude, semblait se fondre dans une auréole évanescente qui flottait sur la vallée tout entière. Lentement, une forêt de conifères émergea, sâétendant à perte de vue, envahissant presque tout le champ de vision ; le village était maintenant de la dimension dâun petit rectangle irrégulier. Un cadre dâune beauté remarquable, qui devait avoir frappé son ami, redescendant dans la vallée après avoir laissé le Grand Ski-lift derrière lui.
La cabine arriva au dernier pylône visible, et la nuée disparut, révélant un monde vierge aux couleurs vives. Oskar était entré dans un univers à haute résolution, incroyablement lumineux. On apercevait, encore plus haut, le ruban blanc des glaces éternelles.
En bas, Valle Chiara était condensée en une tache rougeâtre entourée dâune énorme forêt à la parure dâhiver ; de lâautre côté, alors que la cabine montait toujours, les grands massifs de la Sierra apparaissaient lentement sur la ligne de lâhorizon. Une étendue de neige de plus en plus uniforme courait sous la cabine, alors que les conifères se clairsemaient avec lâaltitude, jusquâà ce que la végétation ne disparaisse complètement pour céder la place à un manteau blanc. Un manteau blanc absolu.
Oskar vit enfin les plateaux. Il sâagissait probablement dâalpages de haute montagne qui sâélevaient doucement jusquâaux pieds de deux cimes pointues, entre lesquelles on apercevait un autre pylône, peut-être le dernier. Il montra à son guide le point sur lâhorizon :
â Câest lâarrivée ?
â Pas encore. Nous traversons le premier plateau, qui finit sous ces sommets. Puis le deuxième plateau commence après ce pylône, et la baraque dâarrivée est au bout de celui-là , répondit le guide.
Oskar était curieux de voir le type de paysage qui allait apparaître derrière le col, dont ils sâapprochaient rapidement. Ils quittèrent le premier plateau dans une secousse, puis la cabine passa au-dessus dâune espèce de cuvette ensevelie sous la neige ; le ciel était dâun bleu extrême, irréel. Il sentit une distance impossible à combler entre lui et la Ville, les lieux de la peine, les visages souffreteux de ses relations. Lâimage de Clara sâétait entièrement résorbée dans une immense tache verte qui sâaplatissait contre la ligne dâhorizon.
Du monde de lâhôtel, de la fille de son propriétaire, il ne restait que des figurines imaginaires, qui rejoignaient un paysage enfantin, animé dâune vache qui paissait, dâun cochon, de poules, et de la fumée qui sortait des cheminées des maisons aux balcons fleuris⦠Il ne restait rien dâautre.
Le trajet en téléphérique, interminable, sâacheva enfin ; le froid était pénétrant, lâair léger. Un homme, le machiniste, probablement, vint à leur rencontre.
â Bonjour, Monsieur Zerbi. On mâa averti par téléphone que vous arriveriez avec un guide.
â