Le Grand Ski-Lift. Anton Soliman

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Le Grand Ski-Lift - Anton Soliman

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fil qu’il laissa s’élever une vingtaine de mètres en l’air.

      â€” Nous pouvons y aller ! Le satellite aura déjà localisé le signal, ils enverront un hélicoptère les prendre dans quelques heures.

      â€” Mais s’il n’arrive pas avant la nuit ces pauvres gens vont mourir de froid !

      â€” En général, il arrive tout de suite, en deux ou trois heures, disons. Mais même s’il n’arrivait pas, ils s’en sortiront très bien avec leurs sacs. Qu’est-ce que vous croyez, Monsieur, que quand la nuit tombe ils vont dormir à l’hôtel ?

      Ils chaussèrent tous deux leurs skis et entreprirent de traverser le dernier plateau.

      â€” Ça doit être des gens très forts, avec un système nerveux de fer, dit Oskar.

      â€” En effet, ils n’ont besoin de manger qu’une fois par jour.

      Enfant, il devait lui aussi avoir été aussi fort que les illegales. Il en était sûr.

      Ils arrivèrent au bout du plateau vers midi, exactement comme l’avait prévu Mario. Pendant tout le trajet, gagné par l’enthousiasme, Oskar n’avait jamais demandé de pause ; mais il se sentait maintenant fatigué.

      â€” Monsieur Zerbi, je proposerais qu’on mange quelque chose. Après, je vous montrerai la piste damée du Circuit.

      â€” Où est-elle ?

      Le guide lui indiqua un relief en bordure de la cuvette : le terrain se relevait exactement comme le bord d’une bassine. Ils s’abritèrent derrière un repli de terrain et Mario prépara du café sur un réchaud à alcool. Le soleil était violent, les yeux d’Oskar avaient rougi malgré les verres foncés de ses lunettes. Ils mangèrent ce que Mario avait emporté, puis celui-ci sortit de son sac deux jambières de fourrure qu’il attacha au bas de son pantalon avec des lacets de cuir.

      â€” Tu rentres au village ?

      L’homme secoua la tête en s’écriant :

      â€” Il n’y a rien à faire au village à cette saison ! Je vais chasser vers le nord-est en longeant le Grand Ski-lift.

      â€” Tu vas prendre des illegales ?

      â€” Oui, aussi.

      â€” Tu chasses des animaux à fourrure ? Ils se sont sûrement multipliés au-delà du raisonnable dans la Sierra.

      â€” Bien sûr ! Je chasse aux pièges tout l’hiver, mais ça ne rapporte pas grand-chose.

      â€” Tu as essayé de travailler dans des villes ?

      â€” Je n’aime pas les villes.

       Ils se levèrent et contournèrent l’arête à pied. Plus bas, les conifères réapparaissaient, et encore plus bas, au beau milieu de la forêt, une langue blanche de neige courait comme un fleuve gelé. C’était une piste du Grand Ski-lift. Oskar était ému. Le guide lui passa ses jumelles : il vit glisser de nombreux points colorés sur la langue de neige. C’étaient sûrement des skieurs, dans leurs tenues de couleurs vives.

      â€” Eh bien, je suis arrivé ! s’exclama Oskar.

      â€” Monsieur Zerbi, souvenez-vous que vous ne devez pas vous arrêter trop longtemps au même endroit, comme ça… en règle générale.

      Oskar avait chaussé ses skis avec grand soin, il allait bientôt être un touriste quelconque dans le circuit du Grand Ski-lift. C’est du moins ce qu’il croyait.

      â€” Gardez toujours votre carte bien en évidence, et quand vous arriverez sur la piste, suivez-la jusqu’à la vallée, puis cherchez un endroit où vous loger. Je vous conseille d’aller au « Petit Cerf » ; d’autres chasseurs m’ont dit que c’était un endroit tranquille.

      Oskar retira un de ses gants et tendit la main à son guide, puis lui demanda, l’air sérieux :

      â€” Mario, une dernière chose, et je te laisse à ton travail. Tu as aussi accompagné le dernier maire jusqu’ici ? Celui qui a fait construire l’installation…

      Mario fit un signe de tête affirmatif.

      â€” Quel genre d’homme c’était ?

      â€” Je ne peux pas vous dire grand-chose, le maire était un gars qui ne parlait pas beaucoup, mais quoi qu’il en soit, il m’a semblé qu’il connaissait bien cette partie de la Sierra.

       Oskar descendit entre les arbres et tomba souvent. N’étant plus allé à la montagne depuis des années, il avait perdu toute habitude du ski. Il décida donc de poursuivre à pied, il aurait rechaussé sur la piste, où la neige était damée. C’était pénible de marcher dans la forêt sur l’épaisse couche de neige, il progressait lentement, mais il était sûr de retrouver le tracé tôt ou tard. Tout serait plus facile ensuite.

      Il avait marché une heure quand il entendit la rumeur produite par les touristes : le crissement des carres des skis qui mordaient la neige, les voix des personnes qui passaient, quelques cris… Il arriva, épuisé, aux abords de la piste. Il était couvert de neige. Il devait avant tout se reposer sans attirer l’attention ; il craignait en effet que des surveillants ne puissent le remarquer en ce moment critique, l’instant de la transition : l’entrée dans le Grand Ski-lift. Il décida alors d’aller jusqu’au bord de la piste pour donner l’impression de reprendre son souffle après une chute… Il attendit un moment de calme, puis parcourut en courant la distance qui le séparait encore de l’orée de la forêt pour rejoindre le bord de la piste. Dès qu’il atteignit la neige damée, il jeta ses skis, simulant une chute. Quelques skieurs passèrent : ils n’étaient pas nombreux, des groupes de quatre, cinq personnes au maximum. Plus rarement quelques couples. Mais aucun skieur isolé.

      Il était donc arrivé sur le circuit du Grand Ski-lift ! Une remarquable preuve de caractère, peut-être le début d’un changement qui était son véritable objectif.

      En réalité, il n’avait pas de tableau précis de la situation, et encore moins de stratégie sur le comportement à adopter. Dans l’état actuel des choses, il ne se demandait pas combien de temps ces vacances pouvaient durer, il savait simplement qu’il avait encore de nombreux jours devant lui, il réfléchirait au reste en cours de route. Le froid se fit sentir ; il se leva, rechaussa ses skis pour descendre dans la vallée. Ensuite, il chercherait l’hôtel. La piste était formée par un ravin qui serpentait dans la forêt. De part et d’autre trônaient les montagnes derrière lesquelles le soleil avait depuis peu disparu. La lumière était uniforme, une luminescence diffuse dans laquelle on devinait cependant l’approche de l’obscurité : il en éprouvait de l’inquiétude et de la mélancolie. Il

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