Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке. Луи-Фердинанд Селин

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Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке - Луи-Фердинанд Селин Littérature contemporaine

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ceux qui ne vendent tien à personne.

      Les soucis étriqués du commerce la possédaient donc tout entière Mme Puta, tout comme Mme Herote, mais dans un autre genre et comme Dieu possède ses religieuses, corps et âme.

      De temps en temps, cependant, elle éprouvait, notre patronne, comme un petit souci de circonstance. Ainsi lui arrivait-il de se laisser aller à penser aux parents de la guerre. « Quel malheur cette guerre tout de même pour les gens qui ont de grands enfants!

      – Réfléchis donc avant de parler! la reprenait aussitôt son mari, que ces sensibleries trouvaient, lui, prêt et résolu. Ne faut-il pas que la France soit défendue? »

      Ainsi bons cœurs. mais bons patriotes par-dessus tout, stoïques en somme, ils s’endormaient chaque soir de la guerre au-dessus des millions de leur boutique, fortune française.

      Dans les bordels qu’il fréquentait de temps en temps, M. Puta se montrait exigeant et désireux de n’être point pris pour un prodigue. « Je ne suis pas un Anglais moi, mignonne, prévenait-il dès l’abord. Je connais le travail! Je suis un petit soldat français pas pressé! » Telle était sa déclaration préambulaire. Les femmes l’estimaient beaucoup pour cette façon sage de prendre son plaisir. Jouisseur mais pas dupe, un homme. Il profitait de ce qu’il connaissait son monde pour effectuer quelques transactions de bijoux avec la sous-maîtresse, qui elle ne croyait pas aux placements en Bourse. M. Puta progressait de façon surprenante au point de vue militaire, de réformes temporaires en sursis définitifs. Bientôt il fut tout à fait libéré après on ne sait combien de visites médicales opportunes. Il comptait pour l’une des plus hautes joies de son existence la contemplation et si possible la palpation de beaux mollets. C’était au moins un plaisir par lequel il dépassait sa femme, elle uniquement vouée au commerce. À qualités égales, on trouve toujours, semble-t-il, un peu plus d’inquiétude chez l’homme que chez la femme, si borné, si croupissant qu’il puisse être. C’était un petit début d’artiste en somme ce Puta. Beaucoup d’hommes, en fait d’art, s’en tiennent toujours comme lui à la manie des beaux mollets. Mme Puta était bien heureuse de ne pas avoir d’enfants. Elle manifestait si souvent sa satisfaction d’être stérile que son mari à son tour, finit par communiquer leur contentement à la sous‐maîtresse. « Il faut cependant bien que les enfants de quelqu’un y aillent, répondait celle-ci à son tour, puisque c’est un devoir! » C’est vrai que la guerre comportait des devoirs.

      Le Ministre que servait Puta en automobile n’avait pas non plus d’enfants, les Ministres n’ont pas d’enfants.

      Un autre employé accessoire travaillait en même temps que moi aux petites besognes du magasin vers 1913: c’était Jean Voireuse, un peu « figurant » pendant la soirée dans les petits théâtres et l’après‐midi livreur chez Puta. Il se contentait lui aussi de très minimes appointements. Mais il se débrouillait grâce au métro. Il allait presque aussi vite à pied qu’en métro, pour faire ses courses. Alors il mettait le prix du billet dans sa poche. Tout rabiot. Il sentait un peu des pieds, c’est vrai, et même beaucoup, mais il le savait et me demandait de l’avertir quand il n’y avait pas de clients au magasin pour qu’il puisse y pénétrer sans dommage et faire ses comptes en douce avec Mme Puta. Une fois l’argent encaissé, on le renvoyait instantanément me rejoindre dans l’arrière-boutique. Ses pieds lui servirent encore beaucoup pendant la guerre. Il passait pour l’agent de liaison le plus rapide de son régiment. En convalescence il vint me voir au fort de Bicêtre et c’est même à l’occasion de cette visite que nous décidâmes d’aller ensemble taper notre ancien patron. Qui fut dit, fut fait. Au moment où nous arrivions boulevard de la Madeleine, on finissait l’étalage…

      « Tiens! Ah! vous voilà vous autres! s’étonna un peu de nous voir M. Puta. Je suis bien content quand même! Entrez! Vous, Voireuse, vous avez bonne mine! Ça va bien! Mais vous, Bardamu, vous avez l’air malade, mon garçon! Enfin! vous êtes jeune! Ça reviendra! Vous en avez de la veine, malgré tout, vous autres! on peut dire ce que l’on voudra, vous vivez des heures magnifiques, hein? là‐haut? Et à l’air! C’est de l’Histoire ça mes amis, ou je m’y connais pas! Et quelle Histoire! »

      On ne répondait rien à M. Puta, on le laissait dire tout ce qu’il voulait avant de le taper… Alors, il continuait:

      « Ah! c’est dur, j’en conviens, les tranchées!.. C’est vrai! Mais c’est joliment dur ici aussi, vous savez!.. Vous avez été blessés, hein vous autres? Moi, je suis éreinté! J’en ai fait du service de nuit en ville depuis deux ans! Vous vous rendez compte? Pensez donc! Absolument éreinté! Crevé! Ah! les rues de Paris pendant la nuit! Sans lumière, mes petits amis… Y conduire une auto et souvent avec le Ministre dedans! Et en vitesse encore! Vous pouvez pas vous imaginer!.. C’est à se tuer dix fois par nuit!..

      – Oui, ponctua Mme Puta, et quelquefois il conduit la femme du Ministre aussi…

      – Ah oui! et c’est pas fini…

      – C’est terrible! reprîmes-nous ensemble.

      – Et les chiens? demanda Voireuse pour être poli. Qu’en a-t-on fait? Va-t-on encore les promener aux Tuileries?

      – Je les ai fait abattre! Ils me faisaient du tort! Ça ne faisait pas bien au magasin!.. Des bergers allemands!

      – C’est malheureux! regretta sa femme. Mais les nouveaux chiens qu’on a maintenant sont bien gentils, c’est des écossais… Ils sentent un peu… Tandis que nos bergers allemands, vous vous souvenez Voireuse?.. Ils ne sentaient jamais pour ainsi dire. On pouvait les garder dans le magasin enfermés, même après la pluie…

      – Ah oui! ajouta M. Puta. C’est pas comme ce sacré Voireuse, avec ses pieds! Est-ce qu’ils sentent toujours, vos pieds, Jean? Sacré Voireuse va!

      – Je crois encore un peu », qu’il a répondu Voireuse.

      À ce moment des clients entrèrent.

      « Je ne vous retiens plus, mes amis, nous fit M. Puta soucieux d’éliminer Jean au plus tôt du magasin. Et bonne santé surtout! Je ne vous demande pas d’où vous venez! Eh non! Défense Nationale avant tout, c’est mon avis! »

      À ces mots de Défense Nationale, il se fit tout à fait sérieux, Puta, comme lorsqu’il rendait la monnaie… Ainsi on nous congédiait.

      Mme Puta nous remit vingt francs à chacun en partant. Le magasin astiqué et luisant comme un yacht, on n’osait plus le retraverser à cause de nos chaussures qui sur le fin tapis paraissaient monstrueuses.

      « Ah! regarde-les donc, Roger, tous les deux! Comme ils sont drôles!.. Ils n’ont plus l’habitude! On dirait qu’ils ont marché dans quelque chose! s’exclamait Mme Puta.

      – Ça leur reviendra! » fit M. Puta, cordial et bonhomme, et bien content d’être débarrassé aussi promptement à si peu de frais.

      Une fois dans la rue, nous réfléchîmes qu’on irait pas très loin avec nos vingt francs chacun, mais Voireuse lui, avait une idée supplémentaire.

      « Viens, qu’il me dit, chez la mère d’un copain qui est mort pendant qu’on était dans la Meuse, j’y vais moi tous les huit jours, chez ses parents, pour leur raconter comment qu’il est mort leur fieu… C’est des gens riches… Elle me donne dans les cent francs à chaque fois, sa mère… Ça leur fait plaisir qu’ils disent… Alors tu comprends…

      – Qu’est-ce que j’irai y faire moi, chez eux? Qu’est-ce que je dirai moi à la mère?

      – Eh

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