Voyage au bout de la nuit / Путешествие на край ночи. Книга для чтения на французском языке. Луи-Фердинанд Селин
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Je parvenais mal à me décider, mais j’avais bien envie des cent francs qui me paraissaient exceptionnellement faciles à obtenir et comme providentiels.
« Bon, que je me décidai à la fin… Mais alors faut que j’invente rien, hein je te préviens! Tu me promets? Je dirai comme toi, c’est tout… Comment qu’il est mort d’abord le gars?
– Il a pris un obus en pleine poire, mon vieux, et puis pas un petit, à Garance que ça s’appelait… dans la Meuse sur le bord d’une rivière… On en a pas retrouvé “ça” du gars, mon vieux! C’était plus qu’un souvenir, quoi… Et pourtant, tu sais, il était grand, et bien balancé, le gars, et fort, et sportif, mais contre un obus hein? Pas de résistance!
– C’est vrai!
– Nettoyé, je te dis qu’il a été… Sa mère, elle a encore du mal à croire ça au jour d’aujourd’hui! J’ai beau y dire et y redire… Elle veut qu’il soye seulement disparu… C’est idiot une idée comme ça… Disparu!.. C’est pas de sa faute, elle en a jamais vu, elle, d’obus, elle peut pas comprendre qu’on foute le camp dans l’air comme ça, comme un pet, et puis que ça soye fini, surtout que c’est son fils…
– Évidemment!
– D’abord, je n’y ai pas été depuis quinze jours, chez eux… Mais tu vas voir quand j’y arrive, elle me reçoit tout de suite sa mère, dans le salon, et puis tu sais, c’est beau chez eux, on dirait un théâtre, tellement qu’y en a des rideaux, des tapis, des glaces partout… Cent francs, tu comprends, ça doit pas les gêner beaucoup… C’est comme moi cent sous, qui dirait-on à peu près… Aujourd’hui elle est même bonne pour deux cents… Depuis quinze jours qu’elle m’a pas vu… Tu verras les domestiques avec les boutons en doré, mon ami… »
À l’avenue Henri-Martin, on tournait sur la gauche et puis on avançait encore un peu, enfin, on arrivait devant une grille au milieu des arbres d’une petite allée privée.
« Tu vois! que remarqua Voireuse, quand on fut bien devant, c’est comme une espèce de château… Je te l’avais bien dit… Le père est un grand manitou dans les chemins de fer, qu’on m’a raconté… C’est une huile…
– Il est pas chef de gare? que je fais moi pour plaisanter.
– Rigole pas… Le voilà là-bas qui descend. Il vient sur nous… »
Mais l’homme âgé qu’il me désignait ne vint pas tout de suite, il marchait voûté autour de la pelouse, en parlant avec un soldat. Nous approchâmes. Je reconnus le soldat, c’était le même réserviste que j’avais rencontré la nuit à Noirceur-sur-la-Lys, où j’étais en reconnaissance. Je me souvins même à l’instant du nom qu’il m’avait dit: Robinson.
« Tu le connais toi ce biffin‐là? qu’il me demanda Voireuse.
– Oui, je le connais.
– C’est peut-être un ami à eux… Ils doivent se parler de la mère; je voudrais pas qu’ils nous empêchent d’aller la voir… Parce que c’est elle plutôt qui donne le pognon… »
Le vieux monsieur se rapprocha de nous. Il chevrotait.
« Mon cher ami, dit-il à Voireuse, j’ai la grande douleur de vous apprendre que depuis votre dernière visite, ma pauvre femme a succombé à notre immense chagrin… Jeudi nous l’avions laissée seule un moment, elle nous l’avait demandé… Elle pleurait… »
Il ne sut finir sa phrase. Il se détourna brusquement et nous quitta.
« J’ te reconnais bien, fis‐je alors à Robinson, dès que le vieux monsieur se fut suffisamment éloigné de nous.
– Moi aussi, que je te reconnais…
– Qu’est-ce qui lui est arrivé à la vieille? que je lui ai alors demandé.
– Eh bien, elle s’est pendue avant-hier, voilà tout! qu’il a répondu. Tu parles alors d’une noix, dis donc! qu’il a même ajouté à ce propos… Moi qui l’avais comme marraine!.. C’est bien ma veine hein! Tu parles d’un lot! Pour la première fois que je venais en permission!.. Et y a six mois que je l’attendais ce jour-là!.. »
On a pas pu s’empêcher de rigoler, Voireuse et moi, de ce malheur-là qui lui arrivait à lui Robinson. En fait de sale surprise, c’en était une, seulement ça nous rendait pas nos deux cents balles à nous non plus qu’elle soye morte, nous qu’on allait monter un nouveau bobard pour la circonstance. Du coup nous n’étions pas contents, ni les uns ni les autres.
« Tu l’avais ta gueule enfarinée, hein, grand saligaud? qu’on l’asticotait nous Robinson, histoire de le faire grimper et de le mettre en boîte. Tu croyais que t’allais te l’envoyer hein? le gueuleton pépère avec les vieux? Tu croyais peut-être aussi que t’allais l’enfiler la marraine?.. T’es servi dis donc!.. »
Comme on pouvait pas rester là tout de même à regarder la pelouse en se bidonnant, on est partis tous les trois ensemble du côté de Grenelle. On a compté notre argent à tous les trois, ça faisait pas beaucoup. Comme il fallait rentrer le soir même dans nos hôpitaux et dépôts respectifs, y avait juste assez pour un dîner au bistrot à trois, et puis il restait peut-être encore un petit quelque chose, mais pas assez pour « monter » au bobinard. Cependant, on y a été quand même au claque mais pour prendre un verre seulement et en bas.
« Toi, je suis content de te revoir, qu’il m’a annoncé, Robinson, mais tu parles d’un colis quand même la mère du gars!.. Tout de même quand j’y repense, et qui va se pendre le jour même où j’arrive dis donc!.. J’la retiens celle-là!.. Est-ce que je me pends moi dis?.. Du chagrin?.. J’ passerais mon temps à me pendre moi alors!.. Et toi?
– Les gens riches, fit Voireuse, c’est plus sensible que les autres… »
Il avait bon cœur Voireuse. Il ajouta encore: « Si j’avais six francs j’ monterais avec la petite brune que tu vois là-bas, près de la machine à sous…
– Vas-y, qu’on lui a dit nous alors, tu nous raconteras si elle suce bien… »
Seulement, on a eu beau chercher, on n’avait pas assez avec le pourboire pour qu’il puisse se l’envoyer. On avait juste assez pour encore un café chacun et deux cassis. Une fois lichés, on est repartis se promener!
Place Vendôme, qu’on a fini par se quitter. Chacun partait de son côté. On ne se voyait plus en se quittant et on parlait bas, tellement il y avait des échos. Pas de lumière, c’était défendu.
Lui, Jean Voireuse, je l’ai jamais revu. Robinson, je l’ai retrouvé souvent par la suite. Jean Voireuse, c’est les gaz qui l’ont possédé, dans la Somme. Il est allé finir au bord de la mer, en Bretagne, deux ans plus tard, dans un sanatorium marin. Il m’a écrit deux fois dans les débuts puis plus du tout. Il n’y avait jamais été à la mer. « T’as pas idée comme c’est beau, qu’il m’écrivait, je prends un peu des bains, c’est bon pour mes pieds, mais ma voix je crois qu’elle est bien foutue. » Ça le gênait parce que son ambition, au fond, à lui, c’était de pouvoir un jour rentrer dans