Le Leurre Zéro. Джек Марс
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Elle avait seulement besoin d’un peu de temps. C’est ce qu’elle avait dit à son père et sa sœur. Un peu plus de temps en leur compagnie et pour elle-même. Ensuite, elle y retournerait. Mais elle savait pertinemment que chaque jour qui s’écoulait sans qu’elle passe cet appel et promette de revenir au semestre suivant était un jour de plus durant lequel elle envisageait de ne jamais y retourner.
La porte d’entrée de l’appartement s’ouvrit et Maya se figea pendant un bref moment, une réaction naturelle considérant le nombre de fois où quelqu’un avait pénétré dans leur appartement par effraction avec l’intention de tuer ou kidnapper sa famille, mais elle s’était habituée à reconnaître les pas de son père et son soupir agacé lorsque la porte dilatée par le froid coinçait légèrement. Elle laissa échapper un soupir de soulagement.
« Chérie, je suis rentré ! dit-il d’une voix forte.
– Et qui est “chérie” ? lui répondit Maya avec un sourire.
– Quiconque répond à “chérie”, je suppose.
– Il n’y a que moi ici. »
Il apparut dans l’encadrement de la porte, un sourire malicieux aux lèvres. « Dans ce cas, bonsoir, chérie. Où est ta sœur ?
– À son cours d’art au centre social.
– Oui, c’est vrai. J’avais oublié qu’elle faisait ça, mais je suis content qu’elle y soit. Est-ce qu’elle a besoin qu’on aille la chercher ?
– Elle est à vélo.
Son père cligna des yeux. « En février ?
– Elle a dit qu’elle aimait bien le froid, que ça lui permettait de garder les idées claires.
– Mmm. Et elle me trouve bizarre. »
Maya glissa du lit et le suivit dans la cuisine, où il fouilla dans le frigo pour en sortir une bière légère. Après l’avoir décapsulée, il passa une main dans ses cheveux et soupira avant d’en prendre une gorgée.
« Tu es agacé, observa Maya.
– Nan, ça va. Je suis heureux comme un poisson dans l’eau. Il essaya de tourner cela en dérision avec un sourire, mais elle voyait clair dans son jeu. Tu sais que cette expression, dans sa forme actuelle, date de la fin du XVIIe siècle ? Avant on disait sain comme un poisson… »
Il s’interrompit lorsqu’elle croisa les bras et haussa un sourcil. « Tu es agacé ou contrarié par quelque chose. Peut-être même les deux. Tu n’as pas enlevé tes chaussures quand tu es rentré, tu es allé directement chercher une bière et tu as fait ton truc de « je passe-ma-main-dans-les-cheveux-en-soupirant »…
– Ce n’est pas un “truc”, argumenta-t-il.
– Et à présent tu changes de sujet, finit-elle. Je te parie ce que tu veux que, dans moins d’une minute, tu vas suggérer que l’on commande une pizza ce soir. » La pizza était son repas de prédilection quand il avait trop de soucis en tête.
« Oui, bon, d’accord, tu as raison, ajouta-t-il dans un murmure, parfois j’aurais aimé avoir des enfants un peu plus stupides ou un peu moins observateurs.
– Tu ne voudrais pas me dire comment s’est passé ton “rendez-vous médical” ? demanda Maya. »
Il y réfléchit un instant, puis lui dit : « Enfile une veste ».
Elle récupéra son manteau et le suivit sur leur petit balcon, à peine assez large pour deux chaises et une petite table en verre de chaque côté, mais ils ne s’assirent pas ; son père referma la porte vitrée derrière eux et s’appuya à la balustrade.
Maya boutonna sa veste jusqu’au cou pour se protéger de l’air froid hivernal et croisa les bras sur la poitrine. « Vas-y, je t’écoute.
– Je recherche quelqu’un, lui dit-il d’une voix si basse qu’elle eut du mal à l’entendre. Un agent ou quelqu’un qui l’était jusqu’à il y a environ cinq ans. Appelé Connor.
– Prénom ou nom ? » demanda Maya.
Il haussa les épaules. « Aucune idée. Il pourrait très bien être mort et, si ce n’est pas le cas, il est drôlement bien caché. »
Elle fronça les sourcils en se demandant pourquoi son père était à la recherche d’un agent possiblement décédé. « Pourquoi es-tu à sa recherche ? »
Son père prit une gorgée de bière péniblement longue puis marmonna quelque chose dans sa barbe. Maya n’avait pas bien entendu, mais il lui semblait qu’il avait prononcé le mot « paperasse ».
« Quoi ?
– Rien, répondit-il. Je ne peux pas vraiment t’en parler. C’est lié… à mon travail.
– Je comprends. » Cependant, étant donné son comportement et le fait qu’il n’était pas parti pour une chasse à l’homme avec toutes les ressources que la CIA allouait lors de ces missions de grande ampleur, elle supposa que cela n’avait rien à voir avec son travail. « Et tu me dis tout ça dehors sur le balcon, dans le froid glacial, parce que…? »
Il ne répondit rien mais lui lança un regard dénué de toute émotion. Il lui fallut un moment pour l’interpréter mais, quand elle y arriva, son estomac se noua.
« Oh mon Dieu, tu ne penses tout de même pas…? » Elle s’arrêta avant de le dire tout haut. Il pensait que leur appartement pouvait, d’une manière ou d’une autre, être sur écoute.
« Je ne suis pas complètement sûr. Alan a fait quelques ratissages, mais ces gens-là ont tendance à se montrer créatifs. »
Maya secoua la tête de dégoût à l’idée que tout ce qu’elle avait dit, et probablement ce qu’elle avait fait – ainsi que sa petite sœur – avait été enregistré quelque part dans une des bases de données de la CIA. On lui avait une fois implanté sous la peau une puce de traçage numérique et l’idée que ses moindres déplacements soient connus en permanence avait été suffisamment dérangeante.
Cependant, de là à être observée… cela lui rappelait l’incident à West Point, avec les trois jeunes hommes qui s’étaient cachés dans les vestiaires, attendant qu’elle sorte de la douche afin de l’attaquer. Combien de temps avaient-ils pu passer là et qu’avaient-ils vu…?
Elle s’obligea à ne pas y penser. Son père ne connaissait que le strict minimum de ce qu’il s’était passé et elle n’avait pour le moment pas l’intention de lui en dire plus. C’était à elle de gérer le problème, tout comme lui devait gérer le sien.
« Que vas-tu faire, alors ? » lui demanda-t-elle.
Il agita la main en signe d’impuissance. « Il y a un docteur, ou il pourrait y en avoir un, qui le connaît. Ou le connaissait.