Le Manoir De Mondello. Salvatore Savasta
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Après son diplôme, lorsqu’il avait épousé Agata, une amie commune, il avait changé du tout au tout et était devenu ambitieux. Il cachait sa personnalité originelle comme si elle n’avait jamais existé. Je ne l’avais pas supporté et mon amitié, avec Agata et avec Angelo ensuite, s’était peu à peu éteinte.
Ce qu’il s’était passé avec Angelo était arrivé avec Marianna également, ma femme, bien que beaucoup d’autres problèmes se soient créés avec elle. La principale raison de mon divorce était le manque de passion sous les draps. Nous pouvions rester plus de six mois sans faire l’amour, ni en ressentir le besoin. Sans se sentir attirés l’un par l’autre. Et cela nous amena à la décision de divorcer.
Je ne sais si ce fut le motif de la rupture entre Angelo et Agata, mais ce fut le seul qui naquit dans mon esprit. L’unique chose dont j’étais sûr était la douleur que j’éprouvais face au changement si radical que je voyais dans le bureau de celui que j’avais considéré comme mon meilleur ami pour la vie.
L’unique fois où je l’avais récemment rencontré était dans un restaurant où je m’étais rendu en compagnie d’une jeune femme. Angelo était entré quelques minutes plus tard, alors que nous étions déjà assis. Il était avec une jeune femme très tape-à-l’œil, blonde et grande, et il me suffit d’un regard pour constater qu’elle était l’exact opposé d’Agata. Le hasard voulut que nous soyons assis à des tables proches. Nous nous étions salués d’un Salut aussi poli que froid. Nous avions, selon le rituel, présenté nos partenaires respectives avant de glisser dans un silence extrêmement long et embarrassant lorsque nous avions réalisé que la proximité était excessive et ne permettait aucune intimité.
J’en étais à mon second rendez-vous avec ma compagne et je fus très embarrassé quand j’entendis Angelo commencer à parler. J’en restai inconsolable. Contrait d’écouter Angelo, le nouveau et méconnaissable Angelo, qui cherchait à faire bonne impression sur sa nouvelle petite amie en citant toutes les qualités qu’il avait acquises : une fervente ambition, la connaissance de tout ce qui fascine les gens et les femmes en particulier, et un amour aussi incroyable que hors de propos pour les joies de la vie de célibataire. Ses mots sonnaient faux. Je compris que c’était son premier rendez-vous et qu’il essayait de faire mouche de façon positive, mais sa façon de faire était déprimante. Il passait pour le type classique, désespéré et ivre, que l’on s’attendrait à trouver dans un bar, en train d’offrir à boire à une femme pour la mettre dans son lit.
Là, dans le bureau où je me trouvais, j’espérai de tout mon être faire face à l’ancien et cher Angelo, et nous serions au moins tous les deux à l’aise.
Je me levai et m’approchai de la grande fenêtre derrière le bureau. La vue qu’elle offrait était magnifique, on y voyait l’entièreté du golfe et la marina de la Cala, limpide, bleu, infini et lumineux.
Lorsque la porte s’ouvrit dans mon dos, je me retournai. Angelo apparut sur le seuil, bronzé, athlétique et sportif jusque dans son complet gris clair. Le scintillement de ses yeux marron foncé était celui de toujours ; ses cheveux châtains brillants n’avaient pas changé depuis que j’étais à peine plus qu’un adolescent. Il souriait de son habituel et merveilleux sourire cordial et totalement sincère. Je crus un instant être revenu à l’époque du lycée, comme si les années n’étaient jamais passées.
« Johnny, dit-il doucement en venant vers moi pour m’étreindre et m’embrasser sur les joues. Nous nous éloignâmes un moment pour nous regarder.
— Tu es splendide.
— Toi aussi » répondis-je.
Nous réalisâmes que nous étions encore enlacés, ses mains sur ma taille. Nous nous regardâmes encore un moment dans les yeux, puis nous lâchâmes peu à peu. Il rit, ses yeux noisette brillaient :
« C’est tellement bon de te revoir. J’ai beaucoup pensé à toi ces derniers temps. Par rapport au testament de Giovanni et tout le reste. Je suis désolé que nous nous soyons perdus de vue.
— Oui, mais tu sais comment c’est. Beaucoup de choses ont changé depuis le lycée » je répondis. Je ne pus ajouter après que nous nous soyons mariés, parce que le sens aurait pu être mal compris.
Nous avions été bons amis. Notre amitié était profonde, presque exclusive. Bien entendu, nous sortions souvent en compagnie d’autres personnes, mais nous avions passé les plus beaux moments seuls : à se promener en bord de mer et discuter de tout, de la politique aux problèmes privés avec les filles ; à étudier ensemble toute la nuit, jusqu’à quatre heures du matin, fatigués et affamés, et nous rendre dans le quartier du tribunal sur nos Piaggio 50 cc pour dévorer des croissants à peine sortis du four. Il y avait également eu des moments tristes, lorsque mes parents étaient morts dans un accident de bateau. Je n’allai pas chez ma petite amie, mais chez Angelo, la seule personne au monde que j’avais envie de voir dans ces circonstances. Il m’avait serré dans ses bras, et évacuer mes larmes avait été facile. Il m’avait accompagné en ville discuter devant un café et était resté à mes côtés aussi longtemps que j’en avais eu besoin. Il avait rendu mon deuil un peu moins douloureux. Il m’avait appris que les problèmes doivent être divisés par deux et les joies multipliées par deux : c’était cela notre amitié, une façon de me soulager quand j’avais des soucis et de profiter de joies qui n’étaient pas les miennes. Il y eut des occasions où il aurait été naturel d’approfondir notre relation, si nous n’avions pas été deux hommes. Nous en avions parlé, convaincus de nous être un jour aimés. Nous étions ivres et étions parvenus à prononcer ces étranges mots : Je t’aime. Mais nous en avions ri nerveusement, ne sachant trop quoi penser. Nous ne voulions pas gâcher notre relation alors. J’avais besoin de lui, exactement comme il était. C’était une amitié pure, solide et merveilleuse. On pouvait parler de tout, sans risquer d’être jugés ou raillés.
Mais aujourd’hui, en le rencontrant après tant d’années, je me demandai comment nous avions fait pour limiter notre relation à la simple amitié lorsque nous étions au lycée. Tout en lui me fascinait. Sa beauté sombre, sa voix gentille, ses yeux qui me regardaient avec une admiration visible. Il me semblait le voir pour la première fois.
« Je suis désolé, Johnny, de te rencontrer à cause du décès de ton grand-père. En le disant, une lueur de tristesse apparut dans son regard. Tu sais que je le connaissais très bien moi aussi.
J’acquiesçai :
— Je me souviens du jour où il t’a vu, chez mes parents. Je ris en me rappelant. Après ton départ, mon grand-père a dit que tu serais son avocat parce qu’il en voulait un avec des idées neuves.
Il sourit également et ajouta :
— Il a été mon premier client, avant d’arriver à tout ceci ». Il indiqua la pièce d’un geste de la main.
Le téléphone sur le bureau sonna et il prit le combiné.