Le Manoir De Mondello. Salvatore Savasta
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Je tentai d’influencer les sentiments d’Alex encore une fois : « Tu le veux vraiment ? Tu ne désires vraiment pas avoir un souvenir de notre famille ?
Alex s’assombrit :
— Tu ne me comprends pas, comme d’habitude. Ça me plairait, mais on ne peut pas garder en vie des souvenirs… aussi coûteux !
— Mais on ne peut pas non plus les effacer d’un coup d’éponge ! Je criai. Alex, je ne dis pas qu’il faut le garder. Mais donnons-nous le temps d’y penser. Jetons-y un œil et on décidera ensuite quoi en faire.
Angelo haussa les épaules.
— Ça me semble une bonne idée.
— Bien, lâcha enfin Alex, appelle-moi après avoir vu le Manoir de Mondello. Il n’y aura rien à discuter, mais appelle-moi. »
Il se leva de sa chaise, salua Angelo d’un signe de tête et referma la porte derrière lui.
Alex sorti, Angelo fit le tour du bureau et s’y appuya, face à moi.
« Désolé, ça ne s’est pas très bien passé. Je suis aussi désolé d’avoir suggéré de vendre, Johnny, mais il m’avait semblé…
— Oh, pas de souci. Ce n’est pas ta faute. Je suis sûr qu’un autre à ta place aurait dit la même chose. »
Le silence tomba subitement alors que nous nous regardions. Chacun de nous voyait quelque chose de différent dans les yeux de l’autre. Il n’était plus le jeune garçon que je connaissais quand nous étions amis, il était désormais un homme attirant. Le silence me parut soudain embarrassant et je dis :
« C’est tellement étrange de se voir après tout ce temps. Tant de choses se sont passées entretemps.
Angelo me regarda et je crus lire de la nostalgie dans son regard :
— Je suis vraiment content de t’avoir revu. Tu es superbe. »
Le téléphone sonna et Angelo, contrarié, s’empressa de répondre. J’en profitai pour me lever. Je savais que je me sentirais plus détendu en m’éloignant de lui, parce que sa proximité rendait son charme difficile à supporter.
Je me dirigeai vers la fenêtre, certain de me sentir plus à l’aise en profitant du panorama de la ville, plutôt que de continuer à le fixer, lui. Son sourire captivant, ses mouvements athlétiques alors qu’il tournait autour du bureau et s’asseyait pour prendre des notes. Toutes ces choses devenaient dangereuses.
La lumière dans ses yeux était celle qui brillait à l’époque du lycée. Elle m’était familière et m’apparaissait pourtant totalement différente à la fois. C’était quelqu’un que je connaissais à moitié, quelqu’un qui me troublait subitement.
La silhouette vague et impersonnelle de la ville, avec sa mer et son horizon, était beaucoup plus simple à regarder, et je préférai me focaliser dessus. Mais lorsque j’entendis Angelo saluer et raccrocher le téléphone, je me retournai instinctivement.
Nos regards se croisèrent en un impact violent que je ne pus ignorer. J’eus la sensation que je ce que je sentais n’était pas bien, que nous ne devions pas nous regarder de cette façon. Mais cela me semblait également délicieux et juste.
Les yeux d’Angelo renfermaient une lumière chaude, comme des langues de feu qui paraissaient me crier Je te veux.
« Viens ici. » Sans cesser de me regarder, Angelo s’approcha de moi et, lorsqu’il m’attira à lui d’un bras, je vis son désir reflété dans mon regard. Avec force, il m’enlaça de son autre bras, de la surprise dans les yeux, et me passa un doigt sur la nuque.
Lorsque nos lèvres s’unirent, toutes les hésitations, les étranges incertitudes, tombèrent. Le baiser fut doux, du bout des lèvres. Mais ce léger contact suffit à allumer mon désir. Je passai les bras autour de son cou et le serrai contre moi. Angelo se détacha et me regarda un instant, étonné et effrayé. Ses yeux étaient emplis d’une excitation ardente. Il ferma les yeux et posa de nouveau ses lèvres sur les miennes. Je ne me demandai pas la raison de ce qu’il se passait. Ce contact m’apportait plus de plaisir, plus d’excitation, plus de force que tout autre baiser ne m’en avait jamais donné. Et il se fit plus profond, nos langues plus audacieuses, et notre désir s’accrut, accélérant notre souffle. Angelo s’éloigna ce qu’il fallait pour me regarder dans les yeux avec l’expression de celui qui émerge d’un très beau rêve. Il respira à fond et sourit. Sa joie semblait incertaine.
« Mon Dieu ! Je ne l’aurais jamais imaginé ! En fait, je n’aurais jamais imaginé que ce serait ainsi. Je voulais seulement te prendre dans mes bras mais… » Il sourit et secoua la tête.
Je le fixais, le plaisir de ce baiser encore dans le regard.
« Je ne savais vraiment pas que ce serait ainsi » répéta-t-il.
Je me rendis subitement compte que c’était incongru. Il y avait quelque chose d’étrange dans ce qu’il s’était passé.
« Que se passe-t-il ? me demanda-t-il quand il remarqua que mon expression avait changé.
— Je ne sais pas, Angelo, mais c’est bizarre. Après autant de temps, ça m’a semblé… normal.
— Écoute, il me tenait toujours par la taille, ça m’a semblé bizarre à moi aussi. Nous avons été amis si longtemps que ça paraît absurde. »
Je ris et m’éloignai de ses bras.
« Je veux te revoir. Je ne veux pas que tu te sentes obligé, mais je voudrais, dit-il dans un filet de voix en me fixant dans les yeux.
— Je ne sais pas si c’est une bonne chose, Angelo.
— Tu dois aller au Manoir de Mondello. Je t’accompagnerai. En bons amis et c’est tout !
— D’accord » répondis-je en me demandant en silence comment il était possible d’être heureux et de se sentir coupable à la fois.
Chapitre II
Quand on vit dans un lieu pour longtemps,
on devient aveugle parce qu’on n’observe rien
Cit. Josef Koudelka
Les jours qui suivirent furent intenses professionnellement, je me sentais terriblement fatigué et j’étais impatient de faire une pause. Mon responsable venait d’engager deux jeunes à former. Mais ils avaient provoqué le chaos. On découvrit un peu plus tard qu’ils étaient des parents du responsable, ses petits-enfants pour être précis. Ils se comportaient maladroitement en cuisine, cassaient des assiettes, décongelaient de la nourriture pour avoir oublié de refermer les chambres froides, faisaient tomber des aliments déjà prêts par terre, se trompaient dans les commandes et nettoyaient très mal la salle. Mon responsable semblait passer outre leurs dégâts et la confusion qu’ils créaient, chose qui rendait furieux tous les autres employés, moi y compris. Mais je pourrais tout laisser