Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet. Divers Auteurs

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Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet - Divers Auteurs

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des pertes cruelles. A la place Saint-Antoine aboutissaient trois rues principales, celles du Faubourg[T.I pag.116] Saint-Antoine, de Charonne et de Charenton. Chacune d'elles était coupée par des barricades que se disputèrent les deux armées. Sur les flancs de la place s'élevaient la porte Saint-Antoine et les hautes tours de la Bastille, garnies de canons qui pouvaient foudroyer tout le quartier. La porte Saint-Antoine était gardée par des bourgeois, qui étaient dévoués à la cour et avaient promis de ne pas recevoir l'armée des princes. Turenne, qui avait déjà si maltraité les troupes de Condé dans leur retraite précipitée de la porte Saint-Martin à la porte Saint-Antoine[186], espérait les écraser dans ce dernier combat, et il est probable qu'il y eût réussi, si les bourgeois eussent exécuté leurs promesses. Le roi s'était avancé sur les hauteurs de Charonne pour assister au triomphe de son armée, et pressait Turenne d'engager la bataille. Ce général aurait voulu attendre l'arrivée de son artillerie et d'un renfort de trois mille hommes, que devait lui amener le maréchal de la Ferté; mais l'impatience du jeune Louis XIV ne lui permit pas de différer l'attaque[187]. Turenne enleva successivement les trois barricades de la rue de Charonne, de la rue du Faubourg-Saint-Antoine et de la rue de Charenton; mais le prince de Condé, qui se multipliait dans le danger et se portait sur tous les points menacés, fit payer cher cet avantage à l'armée royale: Saint-Mégrin, Nantouillet, le jeune Mancini, neveu de Mazarin, et un[T.I pag.117] grand nombre d'autres officiers furent tués ou blessés dangereusement. Du côté des princes, les ducs de Nemours et de la Rochefoucauld furent obligés de quitter le champ de bataille. Le prince de Condé lui-même, rejeté au pied de la porte Saint-Antoine, était dans un état pitoyable. «Il avait, dit Mademoiselle[188] qui le vit en ce moment, deux doigts de poussière sur le visage, ses cheveux tout mêlés; son collet et sa chemise étaient pleins de sang, quoiqu'il n'eût pas été blessé; sa cuirasse était toute pleine de coups, et il portait son épée à la main, ayant perdu le fourreau.»

      La situation des princes devenait de plus en plus critique: Turenne avait enfin été rejoint par son artillerie et par les troupes du maréchal de la Ferté. Il se préparait à envoyer deux détachements pour attaquer Condé en flanc, en même temps qu'il marcherait droit sur lui et l'écraserait au pied des murailles de Paris. A ce moment, la porte Saint-Antoine s'ouvrit et le canon de la Bastille tira sur l'armée royale. Le prince de Condé et ses troupes trouvèrent un asile dans Paris, et Turenne fut obligé de battre en retraite devant une artillerie qui foudroyait son armée. Ce changement fut l'œuvre de mademoiselle de Montpensier, fille de Gaston d'Orléans. Vivement émue du danger des princes, elle avait arraché à Gaston une lettre qui enjoignait au gouverneur de Paris et au prévôt des marchands de lui obéir. Elle se rendit aussitôt à l'Hôtel de Ville, et, à force d'instances et de menaces, elle contraignit le maréchal de l'Hôpital[T.I pag.118] et le conseil de ville à lui donner un plein pouvoir pour faire ouvrir les portes de Paris à l'armée des princes. Mademoiselle de Montpensier alla immédiatement à la porte Saint-Antoine, et força la garde bourgeoise à laisser passer les bagages et les blessés de Condé. De là elle courut à la Bastille, dont le gouverneur la Louvière, fils du frondeur Pierre Broussel, avait aussi reçu un ordre du duc d'Orléans qui lui enjoignait d'obéir à sa fille. La princesse, montant sur les tours de la Bastille, fit pointer les canons contre l'armée royale. Ce fut alors qu'elle remarqua le mouvement que faisaient les troupes de Turenne pour envelopper Condé, deux détachements se dirigeant, l'un par Popincourt et l'autre du côté de Reuilly, tandis que le maréchal, avec le gros de son armée, marchait vers la porte Saint-Antoine. Mademoiselle de Montpensier se hâta d'avertir le prince[189], et Condé ordonna à ses troupes de rentrer dans Paris, pendant que le canon de la Bastille protégeait sa retraite. L'armée des princes traversa Paris, et alla par le pont Neuf prendre ses quartiers au delà des faubourgs Saint-Jacques et Saint-Victor. Les bourgeois témoins de cette retraite virent avec étonnement le drapeau rouge d'Espagne flotter dans l'armée des princes, mêlé aux écharpes bleues des frondeurs[190].

      Le combat de la porte Saint-Antoine, qui aurait pu être décisif, ne servit qu'à irriter les deux partis. L'armée royale, qui avait laissé jusqu'alors les vivres entrer[T.I pag.119] dans Paris, commença à intercepter les communications avec la campagne et à affamer les habitants de la capitale. De leur côté, les princes étaient décidés à entraîner la bourgeoisie ou à la livrer à la fureur de la populace. Dès le 4 juillet, les Parisiens furent forcés de porter à leurs chapeaux un signe distinctif, s'ils ne voulaient pas être poursuivis comme Mazarins. C'était un bouquet de paille[191]. On convoqua pour le même jour une assemblée générale des bourgeois à l'Hôtel de Ville. Elle se composait du gouverneur de Paris, du prévôt des marchands, des conseillers de la ville, et d'un grand nombre de notables élus dans chaque quartier[192]. On devait y proposer l'union de la ville avec les princes et tenter d'entraîner Paris dans la guerre contre l'autorité royale. Rien ne fut négligé pour effrayer la bonne bourgeoisie, qui répugnait à prendre un parti aussi violent. Dès le matin, la place de Grève était remplie d'une populace excitée par les factieux, qui lui distribuaient de l'argent. Plus de huit cents soldats travestis s'étaient mêlés à la multitude et contribuaient à entretenir et à augmenter son exaltation[193].

      Lorsque tous les députés furent réunis, et que le duc[T.I pag.120] d'Orléans et le prince de Condé furent arrivés, on donna lecture d'une lettre du roi qui se plaignait que les bourgeois eussent ouvert les portes de Paris à l'armée des princes. A cette occasion, le procureur du roi en l'Hôtel de Ville prit la parole, et dit qu'il fallait envoyer une députation au roi pour le supplier de revenir en sa bonne ville de Paris. Les partisans des princes tentèrent d'étouffer par leurs clameurs les paroles du procureur de la ville; mais une notable partie de l'assemblée parut disposée à se ranger à son avis. Alors le duc d'Orléans et le prince de Condé sortirent de la salle du conseil, et arrivés sur la place de Grève: «Ces gens-là, dirent-ils[194], ne veulent rien faire pour nous; ce sont tous Mazarins.» La populace n'attendait que ce signal pour se porter aux derniers excès.

      Il était six heures du soir lorsque les factieux commencèrent à tirer dans les fenêtres de l'Hôtel de Ville; et, comme les coups, dirigés de bas en haut, ne blessaient personne et se perdaient dans les plafonds, les soldats déguisés qui s'étaient joints au peuple occupèrent les maisons de la place de Grève, où l'on avait d'avance percé des meurtrières, et de là ils tirèrent dans la salle des délibérations[195]. D'autres séditieux entassèrent aux portes de l'Hôtel de Ville des matières enflammables, et y mirent le feu. En peu de temps la fumée et la flamme enveloppèrent les bâtiments. Dans cette extrémité, quelques députés jetèrent par les fenêtres des bulletins qui annonçaient que l'union avec les princes était conclue.[T.I pag.121] D'autres, connus pour frondeurs, sortirent de l'Hôtel de Ville et tentèrent de haranguer le peuple; mais ils s'adressaient à une foule ivre de vin[196] et de fureur, qui ne distinguait plus amis ni ennemis. Miron, maître de la chambre des comptes, fut une des premières victimes. A peine eut-il franchi les degrés de l'Hôtel de Ville qu'il fut assailli à coups de baïonnette et de poignard. Il tenta vainement de se faire connaître pour un des chefs du parti des princes; il fut tué sur place[197]. Le conseiller Ferrand de Janvry eut le même sort. Le président Charton, un de ceux qui s'étaient le plus signalés dans la première Fronde, fut accablé de coups. On peut juger, par le sort des frondeurs, du traitement qu'essuyèrent les conseillers de ville qui étaient connus pour adversaires des princes. Le maître des requêtes Legras et plusieurs autres furent assassinés au moment où ils cherchaient à s'échapper sous un déguisement.

      Cependant les gardes du maréchal de l'Hôpital et les archers de la ville, ayant élevé des barricades intérieures, réussirent pendant longtemps à empêcher les séditieux de pénétrer dans l'Hôtel de Ville. Ils en tuèrent même un certain nombre, mais le manque de munitions ne leur permit pas de prolonger cette résistance. Le maréchal de l'Hôpital, qui était une des victimes désignées à la vengeance du peuple, réussit à s'enfuir[T.I pag.122] déguisé. Le prévôt des marchands et les conseillers se cachèrent dans des réduits obscurs, et à la faveur de la nuit trouvèrent moyen de se dérober à la fureur de la populace. Les voleurs, qui s'étaient mêlés à la foule, étaient plus occupés à piller qu'à tuer. Il y en eut même qui consentirent,

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