La Sorcière. Jules Michelet

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La Sorcière - Jules Michelet

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nuit suivante, il ne vient pas. Au matin (c'est le dimanche), l'homme est monté au château. Il en descend tout défait. Le seigneur a dit: «Un ruisseau qui va goutte à goutte ne fait pas tourner le moulin... Tu m'apportes sou à sou, ce qui ne me sert à rien... Je vais partir dans quinze jours. Le roi marche vers la Flandre, et je n'ai pas seulement un destrier de bataille. Le mien boite depuis le tournoi. Arrange-toi. Il me faut cent livres...—Mais, monseigneur, où les trouver?—Mets tout le village à sac, si tu veux. Je vais te donner assez d'hommes... Dis à tes rustres qu'ils sont perdus si l'argent n'arrive pas, et toi le premier, tu es mort... J'ai assez de toi. Tu as le cœur d'une femme; tu es un lâche, un paresseux. Tu périras, tu la payeras ta mollesse, ta lâcheté. Tiens, il ne tient presque à rien que tu ne descendes pas, que je ne te garde ici... C'est dimanche; on rirait bien si on te voyait d'en bas gambiller à mes créneaux.»

      Le malheureux redit cela à sa femme, n'espère rien, se prépare à la mort, recommande son âme à Dieu. Elle, non moins effrayée, ne peut se coucher ni dormir. Que faire? Elle a bien regret d'avoir renvoyé l'Esprit. S'il revenait!... Le matin, lorsque son mari se lève, elle tombe épuisée sur le lit. A peine elle y est qu'elle sent un poids lourd sur sa poitrine; elle halète, croit étouffer. Ce poids descend, pèse au ventre, et en même temps à ses bras elle sent comme deux mains d'acier. «Tu m'as désiré... Me voici... Eh bien, indocile, enfin, enfin, je l'ai donc ton âme?—Mais, messire, est-elle à moi? Mon pauvre mari! Vous l'aimiez... Vous l'avez dit... Vous promettiez...—Ton mari! as-tu oublié?... es-tu sûre de lui avoir toujours gardé ta volonté?... Ton âme! je te la demande par bonté, mais je l'ai déjà...

      «—Non, messire, dit-elle encore par un retour de fierté, quoiqu'en nécessité si grande. Non, messire, cette âme est à moi, à mon mari, au sacrement...

      «—Ah! petite, petite sotte! incorrigible! Ce jour même, sous l'aiguillon, tu luttes encore!... Je l'ai vue, je la sais, ton âme, à chaque heure, et bien mieux que toi. Jour par jour, j'ai vu tes premières résistances, tes douleurs et tes désespoirs. J'ai vu tes découragements quand tu as dit à demi voix: «Nul n'est tenu à l'impossible.» Puis j'ai vu tes résignations. Tu as été battue un peu, et tu as crié pas bien fort... Moi, si j'ai demandé ton âme, c'est que déjà tu l'as perdue...

      «Maintenant ton mari périt... Que faut-il faire? J'ai pitié de vous... Je t'ai... mais je veux davantage, et il me faut que tu cèdes, et d'aveu, et de volonté. Autrement il périra.»

      Elle répondit bien bas, en dormant: «Hélas! mon corps et ma misérable chair, pour sauver mon pauvre mari, prenez-les... Mais mon cœur, non. Personne ne l'a eu jamais, et je ne peux pas le donner.»

      Là, elle attendit, résignée... Et il lui jeta deux mots: «Retiens-les. C'est ton salut.»—Au moment, elle frissonna, se sentit avec horreur empalée d'un trait de feu, inondée d'un flot de glace... Elle poussa un grand cri. Elle se trouva dans les bras de son mari étonné, et qu'elle inonda de larmes.

      Elle s'arracha violemment, se leva, craignant d'oublier les deux mots si nécessaires. Son mari était effrayé. Car elle ne le voyait pas même, mais elle lançait aux murailles le regard aigu de Médée. Jamais elle ne fut plus belle. Dans l'œil noir et le blanc jaune flamboyait une lueur qu'on n'osait envisager, un jet sulfureux de volcan.

       Elle marcha droit à la ville. Le premier mot était vert. Elle vit pendre à la porte d'un marchand une robe verte (couleur du Prince du monde). Robe vieille, qui, mise sur elle se trouva jeune, éblouit. Elle marcha, sans s'informer, droit à la porte d'un juif, et elle y frappa un grand coup. On ouvre avec précaution. Ce pauvre juif, assis par terre, s'était englouti de cendre. «Mon cher, il me faut cent livres!—Ah! madame, comment le pourrais-je? Le prince-évêque de la ville, pour me faire dire où est mon or, m'a fait arracher les dents[25]... Voyez ma bouche sanglante...—Je sais, je sais. Mais je viens chercher justement chez toi de quoi détruire ton évêque. Quand on soufflète le pape, l'évêque ne tiendra guère. Qui dit cela? C'est Tolède[26].»

      Il avait la tête basse. Elle dit, et elle souffla... Elle avait une âme entière, et le Diable par-dessus. Une chaleur extraordinaire remplit la chambre. Lui-même sentit une fontaine de feu. «Madame, dit-il, madame, en la regardant en dessous, pauvre, ruiné comme je suis, j'avais quelques sous en réserve pour nourrir mes pauvres enfants.—Tu ne t'en repentiras pas, juif... Je vais te faire le grand serment dont on meurt... Ce que tu vas me donner, tu le recevras dans huit jours et de bonne heure, et le matin... Je t'en jure et ton grand serment, et le mien plus grand: Tolède

      Un an s'était écoulé. Elle s'était arrondie. Elle se faisait toute d'or. On était étonné de voir sa fascination. Tous admiraient, obéissaient. Par un miracle du Diable, le juif, devenu généreux, au moindre signe prêtait. Elle seule soutenait le château et de son crédit à la ville, et de la terreur du village, de ses rudes extorsions. La victorieuse robe verte allait, venait de plus en plus neuve et belle. Elle-même prenait une colossale beauté de triomphe et d'insolence. Une chose naturelle effrayait. Chacun disait: «A son âge, elle grandit!»

      Cependant, voici la nouvelle: le seigneur revient. La Dame, qui dès longtemps n'osait descendre pour ne pas rencontrer la face de celle d'en bas, a monté son cheval blanc. Elle va à la rencontre, entourée de tout son monde, arrête et salue son époux.

      Avant toute chose elle dit: «Que je vous ai donc attendu! Comment laissez-vous la fidèle épouse si longtemps veuve et languissante?... Eh bien, pourtant, je ne peux pas vous donner place ce soir, si vous ne m'octroyez un don.—Demandez, demandez, ô belle! dit le chevalier en riant. Mais faites vite... Car j'ai hâte de vous embrasser, ma Dame... Que je vous trouve embellie!»

      Elle lui parla à l'oreille, et l'on ne sait ce qu'elle dit. Avant de monter au château, le bon seigneur mit pied à terre devant l'église du village, entra. Sous le porche, en tête des notables, il voit une dame qu'il ne reconnaît pas, mais salue profondément. D'une fierté incomparable, elle portait bien plus haut que toutes les têtes des hommes le sublime hennin de l'époque, le triomphant bonnet du Diable. On l'appelait souvent ainsi, à cause de la double corne dont il était décoré. La vraie dame rougit éclipsée, et passa toute petite. Puis, indignée, à demi voix: La voilà pourtant, votre serve! C'est fini. Tout est renversé. Les ânes insultent les chevaux.»

      A la sortie, le hardi page, le favori, de sa ceinture tire un poignard affilé, et lestement, d'un seul tour, coupe la belle robe verte aux reins[27]. Elle faillit s'évanouir... La foule était interdite. Mais on comprit quand on vit toute la maison du seigneur qui se mit à lui faire la chasse... Rapides et impitoyables sifflaient, tombaient les coups de fouet... Elle fuit, mais pas bien fort; elle est déjà un peu pesante. A peine elle a fait vingt pas, qu'elle heurte. Sa meilleure amie lui a mis sur le chemin une pierre pour la faire chopper... On rit. Elle hurle, à quatre pattes... Mais les pages impitoyables la relèvent à coups de fouet. Les nobles et jolis lévriers aident et mordent au plus sensible. Elle arrive enfin, éperdue, dans ce terrible cortège, à la porte de sa maison.—Fermée!—Là, des pieds et des mains, elle frappe, elle crie: «Mon ami, oh! vite! vite! ouvrez-moi!» Elle était étalée là, comme la misérable chouette qu'on cloue aux portes d'une ferme... Et les coups, en plein, lui pleuvaient...—Au dedans, tout était sourd. Le mari y était-il? ou bien, riche et effrayé, avait-il peur de la foule, du pillage de la maison?

      Elle eut là tant de misères, de coups, de soufflets sonores, qu'elle s'affaissa, défaillit. Sur la froide pierre du seuil, elle se trouva assise, à nu, demi-morte, ne couvrant guère sa chair sanglante que des flots de ses longs cheveux. Quelqu'un du château dit: «Assez... On n'exige pas qu'elle meure.»

      On la laisse. Elle se cache. Mais elle voit en esprit le grand gala du château. Le seigneur, un peu étourdi, disait pourtant: «J'y ai regret.» Le chapelain dit doucement: «Si cette

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