La Sorcière. Jules Michelet
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Dans une telle indistinction, la femme était bien peu gardée. Sa place n'était guère haute. Si la Vierge, la femme idéale, s'éleva de siècle en siècle, la femme réelle comptait bien peu dans ces masses rustiques, ce mélange d'hommes et de troupeaux. Misérable fatalité d'un état qui ne changea que par la séparation des habitations, lorsqu'on prit assez de courage pour vivre à part, en hameau, ou pour cultiver au loin des terres fertiles et créer des huttes dans les clairières des forêts. Le foyer isolé fit la vraie famille. Le nid fit l'oiseau. Dès lors, ce n'étaient plus des choses, mais des âmes... La femme était née.
Moment fort attendrissant. La voilà chez elle. Elle peut donc être pure et sainte, enfin, la pauvre créature. Elle peut couver une pensée, et, seule, en filant, rêver, pendant qu'il est à la forêt. Cette misérable cabane, humide, mal close, où siffle le vent d'hiver, en revanche, est silencieuse. Elle a certains coins obscurs où la femme va loger ses rêves.
Maintenant, elle possède. Elle a quelque chose à elle.—La quenouille, le lit, le coffre, c'est tout, dit la vieille chanson[15].—La table s'y ajoutera, le banc, ou deux escabeaux... Pauvre maison bien dénuée! mais elle est meublée d'une âme. Le feu l'égaye; le buis bénit protège le lit, et l'on y ajoute parfois un joli bouquet de verveine. La dame de ce palais file, assise sur sa porte, en surveillant quelques brebis. On n'est pas encore assez riche pour avoir une vache, mais cela viendra à la longue, si Dieu bénit la maison. La forêt, un peu de pâture, des abeilles sur la lande, voilà la vie. On cultive peu de blé encore, n'ayant nulle sécurité pour une récolte éloignée. Cette vie, très indigente, est moins dure pourtant pour la femme; elle n'est pas brisée, enlaidie, comme elle le sera aux temps de la grande agriculture. Elle a plus de loisir aussi. Ne la jugez pas du tout par la littérature grossière des Noëls et des fabliaux, le sot rire et la licence des contes graveleux qu'on fera plus tard.—Elle est seule. Point de voisine. La mauvaise et malsaine vie des noires petites villes fermées, l'espionnage mutuel, le commérage misérable, dangereux, n'a pas commencé. Point de vieille qui vienne le soir, quand l'étroite rue devient sombre, tenter la jeune, lui dire qu'on se meurt d'amour pour elle. Celle-ci n'a d'ami que ses songes, ne cause qu'avec ses bêtes ou l'arbre de la forêt.
Ils lui parlent; nous savons de quoi. Ils réveillent en elle les choses que lui disait sa mère, sa grand'mère, choses antiques, qui, pendant des siècles, ont passé de femme en femme. C'est l'innocent souvenir des vieux esprits de la contrée, touchante religion de famille, qui, dans l'habitation commune et son bruyant pêle-mêle, eut peu de force sans doute, mais qui revient et qui hante la cabane solitaire.
Monde singulier, délicat, des fées, des lutins, fait pour une âme de femme. Dès que la grande création de la Légende des saints s'arrête et tarit, cette légende plus ancienne et bien autrement poétique vient partager avec eux, règne secrètement, doucement. Elle est le trésor de la femme, qui la choie et la caresse. La fée est une femme aussi, le fantastique miroir où elle se regarde embellie.
Que furent les fées? Ce qu'on en dit, c'est que, jadis, reines des Gaules, fières et fantasques, à l'arrivée du Christ et de ses apôtres, elles se montrèrent impertinentes, tournèrent le dos. En Bretagne, elles dansaient à ce moment, et ne cessèrent pas de danser. De là leur cruelle sentence. Elles sont condamnées à vivre jusqu'au jour du jugement[16].—Plusieurs sont réduites à la taille du lapin, de la souris. Exemple, les Kowrig-gwans (les fées naines), qui, la nuit, autour des vieilles pierres druidiques, vous enlacent de leurs danses. Exemple, la jolie reine Mab, qui s'est fait un char royal dans une coquille de noix.—Elles sont un peu capricieuses, et parfois de mauvaise humeur. Mais comment s'en étonner, dans cette triste destinée?—Toutes petites et bizarres qu'elles puissent être, elles ont un cœur, elles ont besoin d'être aimées. Elles sont bonnes, elles sont mauvaises et pleines de fantaisies. A la naissance d'un enfant, elles descendent par la cheminée, le douent et font son destin. Elles aiment les bonnes fileuses, filent elles-mêmes divinement. On dit: Filer comme une fée.
Les Contes des fées, dégagés des ornements ridicules dont les derniers rédacteurs les ont affublés, sont le cœur du peuple même. Ils marquent une époque poétique entre le communisme grossier de la villa primitive, et la licence du temps où une bourgeoisie naissante fit nos cyniques fabliaux.
Ces contes ont une partie historique, rappellent les grandes famines (dans les ogres, etc.). Mais généralement ils planent bien plus haut que toute histoire, sur l'aile de l'Oiseau bleu, dans une éternelle poésie, disent nos vœux, toujours les mêmes, l'immuable histoire du cœur.
Le désir du pauvre serf de respirer, de reposer, de trouver un trésor qui finira ses misères, y revient souvent. Plus souvent, par une noble aspiration, ce trésor est aussi une âme, un trésor d'amour qui sommeille (dans la Belle au bois dormant); mais souvent la charmante personne se trouve cachée sous un masque par un fatal enchantement. De là la trilogie touchante, le crescendo admirable de Riquet à la Houppe, de Peau-d'Ane, et de la Belle et la Bête. L'amour ne se rebute pas. Sous ces laideurs, il poursuit, il atteint la beauté cachée. Dans le dernier de ces contes, cela va jusqu'au sublime, et je crois que jamais personne n'a pu le lire sans pleurer.
Une passion très réelle, très sincère, est là-dessous, l'amour malheureux, sans espoir, que souvent la nature cruelle mit entre les pauvres âmes de condition trop différente, la douleur de la paysanne de ne pouvoir se faire belle pour être aimée du chevalier, les soupirs étouffés du serf quand, le long de son sillon, il voit, sur un cheval blanc, passer un trop charmant éclair, la belle, l'adorée châtelaine. C'est, comme dans l'Orient, l'idylle mélancolique des impossibles amours de la Rose et du Rossignol. Toutefois, grande différence: l'oiseau et la fleur sont beaux, même égaux dans la beauté. Mais ici l'être inférieur, si bas placé, se fait l'aveu: «Je suis laid, je suis un monstre!» Que de pleurs!... En même temps, plus puissamment qu'en Orient, d'une volonté héroïque, et par la grandeur du désir, il perce les vaines enveloppes. Il aime tant, qu'il est aimé, ce monstre, et il en devient beau.
Une tendresse infinie est dans tout cela.—Cette âme enchantée ne pense pas à elle seule. Elle s'occupe aussi à sauver toute la nature et toute la société. Toutes les victimes d'alors, l'enfant battu par sa marâtre, la cadette méprisée, maltraitée de ses aînées, sont ses favorites. Elle étend sa compassion sur la dame même du château, la plaint d'être dans les mains de ce féroce baron (Barbe-Bleue). Elle s'attendrit sur les bêtes, les console d'être encore sous des figures d'animaux. Cela passera, qu'elles patientent. Leurs âmes captives un jour reprendront des ailes, seront libres, aimables, aimées.—C'est l'autre face de Peau-d'Ane et autres contes semblables. Là surtout on est bien sûr qu'il y a un cœur de femme. Le rude travailleur des champs est assez dur pour ses bêtes. Mais la femme n'y voit point de bêtes. Elle en juge comme l'enfant. Tout est humain, tout est esprit. Le monde entier est ennobli. Oh! l'aimable enchantement! Si humble, et se croyant laide, elle a donné sa beauté, son charme à toute la nature.
Est-ce qu'elle est donc si laide, cette petite femme de serf, dont l'imagination rêveuse se nourrit de tout cela? Je l'ai dit, elle fait le ménage, elle file en gardant ses bêtes, elle va à la forêt, et ramasse un peu de bois. Elle n'a pas encore les rudes travaux, elle n'est point la laide paysanne que fera plus tard la grande culture du blé. Elle n'est pas la grasse bourgeoise, lourde et oisive, des villes, sur laquelle nos aïeux ont fait tant de contes gras. Celle-ci n'a nulle sécurité, elle est timide, elle est douce, elle se sent sous la main de Dieu. Elle voit sur la montagne