La Sorcière. Jules Michelet
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Donc le christianisme entra au chemin solitaire où le monde allait de lui-même, le célibat, combattu en vain par les lois des Empereurs. Il se précipita sur cette pente par le monachisme.
Mais l'homme au désert fut-il seul? Le démon lui tint compagnie, avec toutes les tentations. Il eut beau faire, il lui fallut recréer des sociétés, des cités de solitaires. On sait ces noires villes de moines qui se formèrent en Thébaïde. On sait quel esprit turbulent, sauvage, les anima, leurs descentes meurtrières dans Alexandrie. Ils se disaient troublés, poussés du démon, et ne mentaient pas.
Un vide énorme s'était fait dans le monde. Qui le remplissait? Les chrétiens le disent: le démon, partout le démon: Ubique dæmon[3].
La Grèce, comme tous les peuples, avait eu ses énergumènes, troublés, possédés des esprits. C'est un rapport tout extérieur, une ressemblance apparente qui ne ressemble nullement. Ici ce ne sont pas des esprits quelconques. Ce sont les noirs fils de l'abîme, idéal de perversité. On voit partout dès lors errer ces pauvres mélancoliques qui se haïssent, ont horreur d'eux-mêmes. Jugez, en effet, ce que c'est, de se sentir double, d'avoir foi en cet autre, cet hôte cruel qui va, vient, se promène en vous, vous fait errer où il veut, aux déserts, aux précipices. Maigreur, faiblesse croissantes. Et plus ce corps misérable est faible, plus le démon l'agite. La femme surtout est habitée, gonflée, soufflée de ces tyrans. Ils l'emplissent d'aura infernale, y font l'orage et la tempête, s'en jouent, au gré de leur caprice, la font pécher, la désespèrent.
Ce n'est pas nous seulement, hélas! c'est toute la nature qui devient démoniaque. Si le diable est dans une fleur, combien plus dans la forêt sombre! La lumière qu'on croyait si pure est pleine des enfants de la nuit. Le ciel plein d'enfer! quel blasphème! L'étoile divine du matin, dont la scintillation sublime a plus d'une fois éclairé Socrate, Archimède ou Platon, qu'est-elle devenue? Un diable, le grand diable Lucifer. Le soir, c'est le diable Vénus, qui m'induit en tentation dans ses molles et douces clartés.
Je ne m'étonne pas si cette société devient terrible et furieuse. Indignée de se sentir si faible contre les démons, elle les poursuit partout, dans les temples, les autels de l'ancien culte d'abord, puis dans les martyrs païens. Plus de festins; ils peuvent être des réunions idolâtriques. Suspecte est la famille même; car l'habitude pourrait la réunir autour des lares antiques. Et pourquoi une famille? L'Empire est un empire de moines.
Mais l'individu lui-même, l'homme isolé et muet, regarde le ciel encore, et dans les astres retrouve et honore ses anciens dieux. «C'est ce qui fait les famines, dit l'empereur Théodose, et tous les fléaux de l'Empire.» Parole terrible qui lâche sur le païen inoffensif l'aveugle rage populaire. La loi déchaîne à l'aveugle toutes les fureurs contre la loi.
Dieux anciens, entrez au sépulcre. Dieux de l'amour, de la vie, de la lumière, éteignez-vous! Prenez la capuche du moine. Vierges, soyez religieuses. Épouses, délaissez vos époux; ou, si vous gardez la maison, restez pour eux de froides sœurs.
Mais tout cela, est-ce possible? qui aura le souffle assez fort pour éteindre d'un seul coup la lampe ardente de Dieu? Cette tentative téméraire de piété impie pourra faire des miracles étranges, monstrueux... Coupables, tremblez!
Plusieurs fois, dans le Moyen-âge, reviendra la sombre histoire de la Fiancée de Corinthe. Racontée de si bonne heure par Phlégon, l'affranchi d'Adrien, on la retrouve au douzième siècle, on la retrouve au seizième, comme le reproche profond, l'indomptable réclamation de la Nature.
«Un jeune homme d'Athènes va à Corinthe chez celui qui lui promit sa fille. Il est resté païen, et ne sait pas que la famille où il croyait entrer vient de se faire chrétienne. Il arrive fort tard. Tout est couché, hors la mère, qui lui sert le repas de l'hospitalité, et le laisse dormir. Il tombe de fatigue. A peine il sommeillait, une figure entre dans la chambre: c'est une fille, vêtue, voilée de blanc; elle a au front un bandeau noir et or. Elle le voit. Surprise, levant sa blanche main: «Suis-je donc déjà si étrangère dans la maison?... Hélas! pauvre recluse... Mais, j'ai honte, et je sors. Repose.—Demeure, belle jeune fille, voici Cérès, Bacchus, et, avec toi, l'Amour! N'aie pas peur, ne sois pas si pâle!—Ah! loin de moi, jeune homme! Je n'appartiens plus à la joie. Par un vœu de ma mère malade, la jeunesse et la vie sont liées pour toujours. Les dieux ont fui. Et les seuls sacrifices sont des victimes humaines.—Eh quoi! ce serait toi? toi, ma chère fiancée, qui me fus donnée dès l'enfance? Le serment de nos pères nous lia pour toujours sous la bénédiction du ciel. O vierge! sois à moi!—Non, ami, non, pas moi. Tu auras ma jeune sœur. Si je gémis dans ma froide prison, toi, dans ses bras, pense à moi, à moi qui me consume et ne pense qu'à toi, et que la terre va recouvrir.—Non, j'en atteste cette flamme; c'est le flambeau d'hymen. Tu viendras avec moi chez mon père. Reste, ma bien-aimée.» Pour don de noces, il offre une coupe d'or. Elle lui donne sa chaîne, mais préfère à la coupe une boucle de ses cheveux.
«C'est l'heure des esprits; elle boit, de sa lèvre pâle, le sombre vin couleur de sang. Il boit avidement après elle. Il invoque l'Amour. Elle, son pauvre cœur s'en mourait, et elle résistait pourtant. Mais il se désespère, et tombe en pleurant sur le lit.—Alors, se jetant près de lui: «Ah! que ta douleur me fait mal! Mais, si tu me touchais, quel effroi! Blanche comme la neige, froide comme la glace, hélas! telle est ta fiancée.—Je te réchaufferai; viens à moi! quand tu sortirais du tombeau...» Soupirs, baisers, s'échangent. «Ne sens-tu pas comme je brûle?»—L'Amour les étreint et les lie. Les larmes se mêlent au plaisir. Elle boit, altérée, le feu de sa bouche; le sang figé s'embrase de la rage amoureuse, mais le cœur ne bat pas au sein.
«Cependant la mère était là, écoutait. Doux serments, cris de plainte et de volupté.—«Chut! c'est le chant du coq! A demain, dans la nuit!» Puis, adieu, baisers sur baisers!
«La mère entre indignée. Que voit-elle? Sa fille. Il la cachait, l'enveloppait. Mais elle se dégage, et grandit du lit à la voûte: «O mère! mère! vous m'enviez donc ma belle nuit, vous me chassez de ce lieu tiède. N'était-ce pas assez de m'avoir roulée dans le linceul, et sitôt portée au tombeau? Mais une force a levé la pierre. Vos prêtres eurent beau bourdonner sur la fosse. Que font le sel et l'eau, où brûle la jeunesse? La terre ne glace pas l'amour!... Vous promîtes; je viens redemander mon bien...
«Las! ami, il faut que tu meures. Tu languirais, tu sécherais ici. J'ai tes cheveux; ils seront blancs demain[4]... Mère, une dernière prière! Ouvrez mon noir cachot, élevez un bûcher, et que l'amante ait le repos des flammes. Jaillisse l'étincelle et rougisse la cendre! Nous irons à nos anciens dieux.»
II
POURQUOI LE MOYEN-AGE DÉSESPÉRA
«Soyez des enfants nouveau-nés (quasi modo geniti infantes); soyez tout petits, tout jeunes par l'innocence du cœur, par la paix, l'oubli des disputes, sereins, sous la main de Jésus.»
C'est l'aimable conseil que donne l'Église à ce monde si orageux, le lendemain de la grande chute. Autrement dit: «Volcans, débris, cendres, lave, verdissez. Champs brûlés, couvrez-vous de fleurs.»
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