La Sorcière. Jules Michelet

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La Sorcière - Jules Michelet

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n'entend plus.

      Dès lors un immense brouillard, un pesant brouillard gris de plomb, a enveloppé ce monde. Pour combien de temps, s'il vous plaît? Dans une effroyable durée de mille ans! Pendant dix siècles entiers, une langueur inconnue à tous les âges antérieurs a tenu le Moyen-âge, même en partie les derniers temps, dans un état mitoyen entre la veille et le sommeil, sous l'empire d'un phénomène désolant, intolérable, la convulsion d'ennui qu'on appelle: le bâillement.

      Que l'infatigable cloche sonne aux heures accoutumées, l'on bâille; qu'un chant nasillard continue dans le vieux latin, l'on bâille. Tout est prévu; on n'espère rien de ce monde. Les choses reviendront les mêmes. L'ennui certain de demain fait bâiller dès aujourd'hui, et la perspective des jours, des années d'ennui qui suivront, pèse d'avance, dégoûte de vivre. Du cerveau à l'estomac, de l'estomac à la bouche, l'automatique et fatale convulsion va distendant les mâchoires sans fin ni remède. Véritable maladie que la dévote Bretagne avoue, l'imputant, il est vrai, à la malice du Diable. Il se tient tapi dans les bois, disent les paysans bretons; à celui qui passe et garde les bêtes il chante vêpres et tous les offices, et le fait bâiller à mort[9].

      Être vieux, c'est être faible. Quand les Sarrasins, les Northmans, nous menacent, que deviendrons-nous si le peuple reste vieux? Charlemagne pleure, l'Église pleure. Elle avoue que les reliques, contre ces démons barbares ne protègent plus l'autel[10]. Ne faudrait-il pas appeler le bras de l'enfant indocile qu'on allait lier, le bras du jeune géant qu'on voulait paralyser? Mouvement contradictoire qui remplit le neuvième siècle. On retient le peuple, on le lance. On le craint et on l'appelle. Avec lui, par lui, à la hâte, on fait des barrières, des abris qui arrêteront les barbares, couvriront les prêtres et les saints, échappés de leurs églises.

      Malgré le Chauve empereur, qui défend que l'on bâtisse, sur la montagne s'élève une tour. Le fugitif y arrive. «Recevez-moi au nom de Dieu, au moins ma femme et mes enfants. Je camperai avec mes bêtes dans votre enceinte extérieure.» La tour lui rend confiance et il sent qu'il est un homme. Elle l'ombrage. Il la défend, protège son protecteur.

      Les petits jadis, par famine, se donnaient aux grands comme serfs. Mais ici, grande différence. Il se donne comme vassal, qui veut dire brave et vaillant[11].

      Il se donne et il se garde, se réserve de renoncer. «J'irai plus loin. La terre est grande. Moi aussi, tout comme un autre, je puis là-bas dresser ma tour... Si j'ai défendu le dehors, je saurai me garder dedans.»

      C'est la grande, la noble origine du monde féodal. L'homme de la tour recevait des vassaux, mais en leur disant: «Tu t'en iras quand tu voudras, et je t'y aiderai, s'il le faut; à ce point que, si tu t'embourbes, moi je descendrai de cheval.» C'est exactement la formule antique[12].

      Mais, un matin, qu'ai-je vu? Est-ce que j'ai la vue trouble? Le seigneur de la vallée fait sa chevauchée autour, pose les bornes infranchissables, et même d'invisibles limites. «Qu'est cela?... Je ne comprends point.»—Cela dit que la seigneurie est fermée. «Le seigneur, sous porte et gonds, la tient close, du ciel à la terre.»

      Horreur! En vertu de quel droit ce vassus (c'est-à-dire vaillant) est-il désormais retenu?—On soutiendra que vassus peut aussi vouloir dire esclave.

      De même le mot servus, qui se dit pour serviteur (souvent très haut serviteur, un comte ou prince d'Empire), signifiera pour le faible un serf, un misérable dont la vie vaut un denier.

      Par cet exécrable filet, ils sont pris. Là-bas cependant, il y a dans sa terre un homme qui soutient que sa terre est libre, un aleu, un fief du soleil. Il s'asseoit sur une borne, il enfonce son chapeau, regarde passer le seigneur, regarde passer l'Empereur[13]. «Va ton chemin, passe, Empereur... Tu es ferme sur ton cheval, et moi sur ma borne encore plus. Tu passes, et je ne passe pas... Car je suis la Liberté.»

      Mais je n'ai pas le courage de dire ce que devient cet homme. L'air s'épaissit autour de lui, et il respire de moins en moins. Il semble qu'il soit enchanté. Il ne peut plus se mouvoir. Il est comme paralysé. Ses bêtes aussi maigrissent, comme si un sort était jeté. Ses serviteurs meurent de faim. Sa terre ne produit plus rien. Des esprits la rasent la nuit.

      Il persiste cependant: «Povre homme en sa maison roy est.»

       Mais on ne le laisse pas là. Il est cité, et il doit répondre en cour impériale. Il va, spectre du vieux monde, que personne ne connaît plus. «Qu'est-ce que c'est? disent les jeunes. Quoi! il n'est seigneur, ni serf! Mais alors il n'est donc rien?

      «Qui suis-je?... Je suis celui qui bâtit la première tour, celui qui vous défendit, celui qui, laissant la tour, alla bravement au pont attendre les païens Northmans... Bien plus, je barrai la rivière, je cultivai l'alluvion, j'ai créé la terre elle-même, comme Dieu qui la tira des eaux... Cette terre, qui m'en chassera?

      «Non, mon ami, dit le voisin, on ne te chassera pas. Tu la cultiveras, cette terre... mais autrement que tu ne crois... Rappelle-toi, mon bonhomme, qu'étourdiment, jeune encore (il y a cinquante ans de cela), tu épousas Jacqueline, petite serve de mon père... Rappelle-toi la maxime: «Qui monte ma poule est mon coq.»—Tu es de mon poulailler. Déceins-toi, jette l'épée... Dès ce jour, tu es mon serf.»

      Ici, rien n'est d'invention. Cette épouvantable histoire revient sans cesse au Moyen-âge. Oh! de quel glaive il fut percé! J'ai abrégé, j'ai supprimé, car chaque fois qu'on s'y reporte, le même acier, la même pointe aiguë traverse le cœur.

      Il en fut un, qui, sous un outrage si grand, entra dans une telle fureur, qu'il ne trouva pas un seul mot. Ce fut comme Roland trahi. Tout son sang lui remonta, lui arriva à la gorge... Ses yeux flamboyaient, sa bouche muette, effroyablement éloquente, fit pâlir toute l'assemblée... Ils reculèrent... Il était mort. Ses veines avaient éclaté... Ses artères lançaient le sang rouge jusqu'au front de ses assassins[14].

      L'incertitude de la condition, la pente horriblement glissante par laquelle l'homme libre devient vassal,—le vassal serviteur,—et le serviteur serf, c'est la terreur du Moyen-âge et le fond de son désespoir. Nul moyen d'échapper. Car qui fait un pas est perdu. Il est aubain, épave, gibier sauvage, serf ou tué. La terre visqueuse retient le pied, enracine le passant. L'air contagieux le tue, c'est-à-dire le fait de mainmorte, un mort, un néant, une bête, une âme de cinq sous, dont cinq sous expieront le meurtre.

      Voilà les deux grands traits généraux, extérieurs, de la misère du Moyen-âge, qui firent qu'il se donna au Diable. Voyons maintenant l'intérieur, le fond des mœurs, et sondons le dedans.

       LE PETIT DÉMON DU FOYER

       Table des matières

      Les premiers siècles de Moyen-âge où se créèrent les légendes ont le caractère d'un rêve. Chez les populations rurales, toutes soumises à l'Église, d'un doux esprit (ces légendes en témoignent), on supposerait volontiers une grande innocence. C'est, ce semble, le temps du bon Dieu. Cependant les Pénitentiaires, où l'on indique les péchés les plus ordinaires, mentionnent des souillures étranges, rares sous le règne de Satan.

      C'était l'effet de deux choses, de la parfaite ignorance, et de l'habitation commune qui mêlait les proches parents. Il semble qu'ils avaient à peine connaissance de notre morale. La leur, malgré les défenses, semblait celle des patriarches, de la haute Antiquité, qui regarde

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