La Sorcière. Jules Michelet

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La Sorcière - Jules Michelet

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seule n'aurait pu le détruire. Les bûchers n'y firent rien, mais bien certaine politique.

      On divisa habilement le royaume de Satan. Contre sa fille, son épouse, la Sorcière, on arma son fils, le Médecin.

      L'Église, qui, profondément, de tout son cœur, haïssait celui-ci, ne lui fonda pas moins son monopole, pour l'extinction de la Sorcière.—Elle déclare, au quatorzième siècle, que si la femme ose guérir sans avoir étudié, elle est sorcière et meurt.

      Mais comment étudierait-elle publiquement? Imaginez la scène risible, horrible qui eût eu lieu, si la pauvre sauvage eût risqué d'entrer aux Écoles! Quelle fête et quelle gaieté! Aux feux de la Saint-Jean, on brûlait des chats enchaînés. Mais la sorcière liée à cet enfer miaulant, la sorcière hurlante et rôtie, quelle joie pour l'aimable jeunesse des moinillons et des cappets!

      On verra tout au long la décadence de Satan. Lamentable récit. On le verra pacifié, devenu un bon vieux. On le vole, on le pille, au point que des deux masques qu'il avait au Sabbat, le plus sale est pris par Tartufe.

      Son esprit est partout. Mais lui-même, de sa personne, en perdant la Sorcière, il perdait tout.—Les sorciers furent des ennuyeux.

      Maintenant qu'on l'a précipité tellement vers son déclin, sait-on bien ce qu'on a fait là!—N'était-il pas un acteur nécessaire, une pièce indispensable de la grande machine religieuse, un peu détraquée aujourd'hui?—Tout organisme qui fonctionne bien est double, a deux côtés. La vie ne va guère autrement. C'est un certain balancement de deux forces, opposées, symétriques, mais inégales; l'inférieure fait contrepoids, répond à l'autre. La supérieure s'impatiente, et veut la supprimer.—A tort.

      Lorsque Colbert (1672) destitua Satan avec peu de façon en défendant aux juges de recevoir les procès de sorcellerie, le tenace Parlement normand, dans sa bonne logique normande, montra la portée dangereuse d'une telle décision. Le Diable n'est pas moins qu'un dogme, qui tient à tous les autres. Toucher à l'éternel vaincu, n'est-ce pas toucher au vainqueur? Douter des actes du premier, cela mène à douter des actes du second, des miracles qu'il fit précisément pour combattre le Diable. Les colonnes du ciel ont leur pied dans l'abîme. L'étourdi qui remue cette base infernale, peut lézarder le paradis.

      Colbert n'écouta pas. Il avait tant d'autres affaires.—Mais le Diable peut-être entendit. Et cela le console fort. Dans les petits métiers où il gagne sa vie (spiritisme ou tables tournantes), il se résigne, et croit que du moins il ne meurt pas seul.

       Table des matières

       LA MORT DES DIEUX

       Table des matières

      Certains auteurs nous assurent que, peu de temps avant la victoire du christianisme, une voix mystérieuse courait sur les rives de la mer Égée, disant: «Le grand Pan est mort.»

      L'antique dieu universel de la Nature était fini. Grande joie. On se figurait que, la Nature étant morte, morte était la tentation. Troublée si longtemps de l'orage, l'âme humaine va donc reposer.

      S'agissait-il simplement de la fin de l'ancien culte, de sa défaite, de l'éclipse des vieilles formes religieuses? Point du tout. En consultant les premiers monuments chrétiens, on trouve à chaque ligne l'espoir que la Nature va disparaître, la vie s'éteindre, qu'enfin on touche à la fin du monde. C'en est fait des dieux de la vie, qui en ont si longtemps prolongé l'illusion. Tout tombe, s'écroule, s'abîme. Le Tout devient le néant: «Le grand Pan est mort!»

      Ce n'était pas une nouvelle que les dieux dussent mourir. Nombre de cultes anciens sont fondés précisément sur l'idée de la mort des dieux. Osiris meurt, Adonis meurt, il est vrai, pour ressusciter. Eschyle, sur le théâtre même, dans ces drames qu'on ne jouait que pour les fêtes des dieux, leur dénonce expressément, par la voix de Prométhée, qu'un jour ils doivent mourir. Mais comment? vaincus, et soumis aux Titans, aux puissances antiques de la Nature.

      Ici, c'est bien autre chose. Les premiers chrétiens, dans l'ensemble et dans le détail, dans le passé, dans l'avenir, maudissent la Nature elle-même. Ils la condamnent tout entière, jusqu'à voir le mal incarné, le démon dans une fleur[1]. Viennent donc, plus tôt que plus tard, les anges qui jadis abîmèrent les villes de la mer Morte. Qu'ils emportent, plient comme un voile la vaine figure du monde, qu'ils délivrent enfin les saints de cette longue tentation.

      L'Évangile dit: «Le jour approche.» Les Pères disent: «Tout à l'heure.» L'écroulement de l'Empire et l'invasion des Barbares donnent espoir à saint Augustin qu'il ne subsistera de cité bientôt que la cité de Dieu.

      Qu'il est pourtant dur à mourir, ce monde, et obstiné à vivre! Il demande, comme Ézéchias, un répit, un tour de cadran. Eh bien, soit, jusqu'à l'an Mil. Mais après, pas un jour de plus.

       Est-il bien sûr, comme on l'a tant répété, que les anciens dieux fussent finis, eux-mêmes ennuyés, las de vivre! qu'ils aient, de découragement, donné presque leur démission? que le christianisme n'ait eu qu'à souffler sur ces vaines ombres?

      On montre ces dieux dans Rome, on les montre dans le Capitole, où ils n'ont été admis que par une mort préalable, je veux dire en abdiquant ce qu'ils avaient de sève locale, en reniant leur patrie, en cessant d'être les génies représentants des nations. Pour les recevoir, il est vrai, Rome avait pratiqué sur eux une sévère opération, les avaient énervés, pâlis. Ces grands dieux centralisés étaient devenus, dans leur vie officielle, de tristes fonctionnaires de l'empire romain. Mais cette aristocratie de l'Olympe, en sa décadence, n'avait nullement entraîné la foule des dieux indigènes, la populace des dieux encore en possession de l'immensité des campagnes, des bois, des monts, des fontaines, confondus intimement avec la vie de la contrée. Ces dieux logés au cœur des chênes, dans les eaux fuyantes et profondes, ne pouvaient en être expulsés.

      Et qui dit cela? c'est l'Église. Elle se contredit rudement. Quand elle a proclamé leur mort, elle s'indigne de leur vie. De siècle en siècle, par la voix menaçante de ses conciles[2], elle leur intime de mourir... Eh quoi! ils sont donc vivants?

      «Ils sont des démons...»—Donc, ils vivent. Ne pouvant en venir à bout, on laisse le peuple innocent les habiller, les déguiser. Par la légende, il les baptise, les impose à l'Église même. Mais, du moins, sont-ils convertis? Pas encore. On les surprend qui sournoisement subsistent en leur propre nature païenne.

      Où sont-ils? Dans le désert, sur la lande, dans la forêt? Oui, mais surtout dans la maison. Ils se maintiennent au plus intime des habitudes domestiques. La femme les garde et les cache au ménage et au lit même. Ils ont là le meilleur du monde (mieux que le temple), le foyer.

      Il n'y eut jamais révolution si violente que celle de Théodose. Nulle trace dans l'Antiquité d'une telle proscription d'aucun culte. Le Perse, adorateur du feu, dans sa pureté héroïque, put outrager les dieux visibles, mais il les laissa subsister. Il fut très favorable aux Juifs, les protégea, les employa. La Grèce, fille de la lumière, se moqua des dieux ténébreux, des Cabires ventrus, et elle les toléra pourtant, les adopta comme ouvriers, si bien qu'elle en fit son Vulcain. Rome, dans sa majesté, accueillit, non seulement l'Étrurie, mais les dieux rustiques du vieux laboureur italien. Elle

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