La Sorcière. Jules Michelet
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Mais bientôt elle lui revient, la pauvre, pâle et défaite, hélas! hélas! en quel état!... Elle se jette à genoux, et lui demande pardon. Alors, le cœur de l'homme éclate... Il lui met les bras au cou. Il pleure, sanglote, rugit à faire trembler la maison...
Avec elle pourtant rentre Dieu. Quoi qu'elle ait pu souffrir, elle est pure, innocente et sainte. Satan n'aura rien pour ce jour. Le Pacte n'est pas mûr encore.
Nos fabliaux ridicules, nos contes absurdes, supposent qu'en cette mortelle injure et toutes celles qui suivront, la femme est pour ceux qui l'outragent, contre son mari; ils nous feraient croire que, traitée brutalement, et accablée de grossesses, elle en est heureuse et ravie.—Que cela est peu vraisemblable! Sans doute la qualité, la politesse, l'élégance, pouvaient la séduire. Mais on n'en prenait pas la peine. On se serait bien moqué de celui qui, pour une serve, eût filé le parfait amour. Toute la bande, le chapelain, le sommelier, jusqu'aux valets, croyaient l'honorer par l'outrage. Le moindre page se croyait grand seigneur s'il assaisonnait l'amour d'insolences et de coups.
Un jour que la pauvre femme, en l'absence du mari, venait d'être maltraitée, en relevant ses longs cheveux, elle pleurait et disait tout haut: «O les malheureux saints de bois, que sert-il de leur faire des vœux?... Sont-ils sourds? sont-ils trop vieux? Que n'ai-je un Esprit protecteur, fort, puissant (méchant n'importe)! J'en vois bien qui sont en pierre à la porte de l'église. Que font-ils là? Que ne vont-ils pas à leur vraie maison, le château, enlever, rôtir ces pécheurs?... Oh! la force, oh! la puissance, qui pourra me la donner? Je me donnerais bien en échange... Hélas! qu'est-ce que je donnerais? Qu'est-ce que j'ai pour donner? Rien ne me reste.—Fi de ce corps! Fi de l'âme, qui n'est plus que cendre!—Que n'ai-je donc, à la place du follet qui ne sert à rien, un grand, fort et puissant Esprit!
«—O ma mignonne maîtresse! je suis petit par votre faute, et je ne peux pas grandir... Et d'ailleurs, si j'étais grand, vous ne m'auriez pas voulu, vous ne m'auriez pas souffert, ni votre mari non plus. Vous m'auriez fait donner la chasse par vos prêtres et leur eau bénite... Je serai fort si vous voulez...
«Maîtresse, les Esprits ne sont ni grands ni petits, forts ni faibles. Si l'on veut, le plus petit va devenir un géant.
«—Comment?—Mais rien n'est plus simple. Pour faire un Esprit géant, il ne faut que lui faire un don.
«—Quel?—Une jolie âme de femme.
«—Oh! méchant, qui es-tu donc? et que demandes-tu là?—Ce qui se donne tous les jours...—Voudriez-vous valoir mieux que la dame de là-haut? Elle a engagé son âme à son mari, à son amant, et pourtant la donne encore entière à son page, un enfant, un petit sot.—Je suis bien plus que votre page; je suis plus qu'un serviteur. En que de choses ai-je été votre petite servante!... Ne rougissez pas, ne vous fâchez pas. Laissez-moi dire seulement que je suis tout autour de vous, et déjà peut-être en vous. Autrement, comment saurais-je vos pensées, et jusqu'à celle que vous vous cachez à vous-même... Que suis-je, moi? Votre petite âme, qui sans façon parle à la grande... Nous sommes inséparables. Savez-vous bien depuis quel temps je suis avec vous?... C'est depuis mille ans. Car j'étais à votre mère, à sa mère, à vos aïeules... Je suis le génie du foyer.
«—Tentateur!... Mais que feras-tu?—Alors, ton mari sera riche, toi puissante, et l'on te craindra.—Où suis-je? tu es donc le démon des trésors cachés?...—Pourquoi m'appeler démon, si je fais une œuvre juste, de bonté, de piété?...
«Dieu ne peut pas être partout, il ne peut travailler toujours. Parfois il aime à reposer, et nous laisse, nous autres génies, faire ici le menu ménage, remédier aux distractions de sa providence, aux oublis de sa justice.
«Votre mari en est l'exemple... Pauvre travailleur méritant, qui se tue, et ne gagne guère... Dieu n'a pas eu encore le temps d'y songer... Moi, un peu jaloux, je l'aime pourtant, mon bon hôte. Je le plains. Il n'en peut plus, il succombe. Il mourra, comme vos enfants, qui sont déjà morts de misère. L'hiver, il a été malade... Qu'adviendra-t-il l'hiver prochain?»
Alors, elle mit son visage dans ses mains, elle pleura, deux, trois heures, ou davantage. Et, quand elle n'eut plus de larmes (mais son sein battait encore), il dit: «Je ne demande rien... seulement, je vous prie, sauvons-le.»
Elle n'avait rien promis, mais lui appartint dès cette heure.
V
POSSESSION
L'âge terrible, c'est l'âge d'or. J'appelle ainsi la dure époque où l'or eut son avènement. C'est l'an 1300, sous le règne du beau roi qu'on put croire d'or ou de fer, qui ne dit jamais un mot, grand roi qui parut avoir un démon muet, mais de bras puissant, assez fort pour brûler le Temple, assez long pour atteindre Rome et d'un gant de fer porter le premier soufflet au pape.
L'or devient alors le grand pape, le grand dieu. Non sans raison. Le mouvement a commencé sur l'Europe par la croisade; on n'estime de richesse que celle qui a des ailes et se prête au mouvement, celle des échanges rapides. Le roi, pour frapper ces coups à distance, ne veut que de l'or. L'armée de l'or, l'armée du fisc, se répand sur tout le pays. Le seigneur qui a rapporté son rêve de l'Orient, en désire toujours les merveilles, armes damasquinées, tapis, épices, chevaux précieux. Pour tout cela, il faut de l'or. Quand le serf apporte son blé, il le repousse du pied. «Ce n'est pas tout; je veux de l'or!»
Le monde est changé ce jour-là. Jusqu'alors, au milieu des maux, il y avait, pour le tribut, une sécurité innocente. Bon an, mal an, la redevance suivait le cours de la nature et la mesure de la moisson. Si le seigneur disait: «C'est peu», on répondait: «Monseigneur, Dieu n'a pas donné davantage.»
Mais l'or, hélas! où le trouver?... Nous n'avons pas une armée pour en prendre aux villes de Flandre. Où creuserons-nous la terre pour lui ravir son trésor? Oh! si nous étions guidés par l'Esprit des trésors cachés[24]!
Pendant que tous désespèrent, la femme au lutin est déjà assise sur ses sacs de blé dans la petite ville voisine. Elle est seule. Les autres, au village, sont encore à délibérer.
Elle vend au prix qu'elle veut. Mais, même quand les autres arrivent, tout va à elle; je ne sais quel magique attrait y mène. Personne ne marchande avec elle. Son mari, avant le terme, apporte sa redevance en bonne monnaie sonnante à l'orme féodal. Tous disent: «Chose surprenante!... Mais elle a le diable au corps!»
Ils rient, et elle ne rit pas. Elle est triste, a peur. Elle a beau prier le soir. Des fourmillements étranges agitent, troublent son sommeil. Elle voit de bizarres figures. L'Esprit si petit, si doux, semble devenu impérieux. Il ose. Elle est inquiète, indignée, veut se lever. Elle reste, mais elle gémit, se sent dépendre, se dit: «Je ne m'appartiens donc plus!»
«Voilà enfin, dit le seigneur, un paysan raisonnable; il paye d'avance. Tu me plais. Sais-tu compter?—Quelque peu.—Eh bien, c'est toi qui compteras avec tous ces gens. Chaque samedi, assis sous l'orme, tu recevras leur argent. Le dimanche, avant la messe, tu le monteras au château.»
Grand changement de situation! Le cœur bat fort à la femme quand, le samedi, elle voit son pauvre laboureur, ce serf, siéger comme un petit seigneur sous l'ombrage seigneurial. L'homme est un peu étourdi.