La Saga de Njal. Anonyme
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I
Il y avait un homme qui s'appelait Mörd: on l'avait surnommé Gigja. Il était fils de Sighvat le rouge. Il habitait à Völl, dans la plaine de la Ranga. C'était un chef puissant, et un grand homme de loi. Il savait si bien la loi que personne n'eût tenu pour bon un jugement rendu sans lui. Il avait une fille nommée Unn. Elle était belle, accorte et sage; elle passait pour le meilleur parti de la Ranga.
Et maintenant la saga nous mène à l'ouest, dans les vallées du Breidafjord. Il y avait là un homme nommé Höskuld, fils de Dalakol. Sa mère s'appelait Thorgerd, et était fille de Thorstein le rouge, fils d'Olaf le blanc, fils d'Ingjald, fils d'Helgi. La mère d'Ingjald était Thora, fille de Sigurd aux yeux de serpent, fils de Ragnar Lodbrok. La mère de Thorstein le rouge était Udr la riche, fille de Ketil Flatnef, fils de Björn Buna, fils de Grim, seigneur de Sogn.
Höskuld demeurait à Höskuldstad, dans la vallée de la Saxa. Son frère s'appelait Hrut. Il demeurait à Hrutstad. Il était de la même mère que Höskuld. Son père était Herjolf. Hrut était beau, grand et fort, brave, et d'humeur douce. C'était le plus sage des hommes, secourable à ses amis et bon conseiller dans les affaires d'importance.
Il arriva une fois qu'Höskuld donna un festin. Son frère Hrut était là, assis à côté de lui. Höskuld avait une fille qui s'appelait Halgerd. Elle jouait à terre avec d'autres petites filles. Elle était jolie et bien faite. Ses cheveux étaient doux comme de la soie, et si longs qu'ils lui venaient à la ceinture. Höskuld l'appela: «Viens près de moi», dit-il. Elle vint à lui. Il la prit par le menton et la baisa. Puis elle s'en alla. Alors Höskuld dit à Hrut: «Que penses-tu de cette petite fille? Ne te semble-t-elle pas jolie?» Hrut se taisait. Höskuld lui demanda une seconde fois la même chose. Et Hrut finit par répondre: «Certes l'enfant est jolie, et bien des gens le sauront pour leur malheur; mais je ne sais comment le mauvais œil est venu dans notre famille.» Alors Höskuld se fâcha, et les deux frères furent en froid pendant quelque temps.
Les frères d'Halgerd étaient Thorleik, qui fut père de Bolli, Olaf, père de Kjartan, et Bard.
II
Un jour, les deux frères, Höskuld et Hrut, chevauchaient, allant à l'Alting. Il était venu beaucoup de monde cette année-là. Höskuld dit à Hrut: «Je trouve, frère, que tu devrais songer à ta maison, et prendre femme.»--«Il y a longtemps que j'ai cela en tête, répondit Hrut, mais j'y vois du pour et du contre. Je ferai pourtant comme tu voudras. De quel côté nous tournerons-nous?» Höskuld répondit: «Il y a ici beaucoup de chefs au ting, et le choix est grand; mais je sais déjà qui je veux demander pour toi. Elle s'appelle Unn; c'est la fille de Mörd Gigja, un homme très sage. Il est ici au ting, et sa fille avec lui; tu peux la voir, si tu veux.»
Le jour suivant, comme les hommes allaient au tribunal, ils virent devant les huttes de ceux de la Ranga des femmes vêtues de beaux habits. Höskuld dit à Hrut: «La voilà, c'est Unn, dont je t'ai parlé. Comment la trouves-tu?»--«Elle me plaît, dit Hrut, mais je ne sais pas si nous aurons du bonheur ensemble.» Et ils allèrent au tribunal. Mörd Gigja expliquait la loi, comme c'était sa coutume. Quant il eut fini, il retourna dans sa hutte. Höskuld se leva, puis Hrut; ils allèrent à la hutte de Mörd et y entrèrent. Mörd était assis au fond. Ils le saluèrent. Il se leva, prit la main d'Höskuld, et le fit asseoir à côté de lui. Hrut s'assit à côté d'Höskuld. Ils parlèrent de beaucoup de choses, et Höskuld en vint à dire: «J'ai une affaire à te proposer. Hrut veut devenir ton gendre et acheter la fille; et moi je n'y épargnerai rien». Mörd répondit: «Je sais que tu es un grand chef; mais ton frère m'est inconnu.» Höskuld reprit: «Il vaut mieux, que moi.»--Mörd dit: «Tu auras à y mettre beaucoup du tien, car ma fille aura tout l'héritage après moi.»--«Je ne chercherai pas longtemps ce que je veux promettre», répondit Höskuld. Il aura Kambsnes et Hrutstad, et toutes les terres jusqu'à Thrandargil; il a de plus un vaisseau marchand prêt à mettre à la voile. Alors Hrut dit à Mörd: «Tu vois que mon frère pour l'amour de moi a bien fait les choses. Si vous voulez donner suite à l'affaire, je veux que vous en fixiez tous deux les conditions.» Mörd répondit: «J'y ai pensé. Ma fille aura soixante cents; tu y ajouteras un tiers de ton domaine, et si vous avez des héritiers il y aura communauté de bien entre vous.» Hrut dit: «J'accepte les conditions; prenons maintenant des témoins.» Ils se levèrent et se donnèrent la main; et Mörd fiança à Hrut sa fille Unn. On décida que le mariage se ferait chez Mörd, un demi-mois après le milieu de l'été.
Et maintenant ils quittent le ting, et s'en retournent chacun chez soi. Höskuld et Hrut prennent à l'ouest, en passant devant le signal de Halbjörn. Et voici venir à leur rencontre Thjostolf, fils de Björn Gullberi du Reykjardal, disant qu'il était arrivé un vaisseau dans la Hvita; Össur, le frère du père de Hrut, venait d'en débarquer, et faisait dire à Hrut d'aller le trouver au plus tôt. Quand Hrut apprit cela, il pria Höskuld d'aller au vaisseau avec lui.
Ils se mirent donc tous deux en route, et quand ils furent au vaisseau, Hrut souhaita la bienvenue avec beaucoup de joie à son parent Össur. Össur les invita à entrer dans sa hutte et à boire. Ils descendirent de cheval, ils entrèrent, et ils burent. Hrut dit à Össur: «Tu vas venir avec moi dans l'Ouest, mon oncle, et tu passeras l'hiver chez moi.»--«Non pas, dit Össur; je t'annonce la mort d'Eyvind, ton frère. Il t'a fait son héritier au Gulating; et tes ennemis vont tout prendre si tu ne viens pas.»--« Que vais-je faire, mon frère? dit Hrut, il me semble que mon affaire se gâte, moi qui viens justement de conclure mon mariage.»--Höskuld dit: «Tu vas aller dans le Sud, trouver Mörd; tu le prieras de changer vos conventions. Il faut que sa fille s'engage à t'attendre, comme fiancée, trois hivers. Moi je retourne à la maison, et je ferai porter des vivres pour toi au vaisseau.»--«Et moi je veux, dit Hrut, que tu prennes de mes provisions, du bois, de la farine, et tout ce qu'il te plaira.»
Hrut fit amener ses chevaux, et partit pour le Sud. Höskuld s'en alla chez lui, à l'Ouest.
Hrut arriva à l'Est, dans la plaine de la Ranga, chez Mörd, ou il fut bien reçu. Il conta son affaire à Mörd, et lui demanda conseil. Mörd lui demanda de combien était l'héritage. Hrut dit qu'il était bien de deux cents marks, s'il pouvait tout avoir. «C'est beaucoup, dit Mörd, en comparaison de ce que je laisserai; tu peux partir si tu veux.» Ils changèrent leurs conventions; et Unn s'engagea à attendre Hrut, comme fiancée, pendant trois hivers.
Hrut revint au vaisseau, et il y passa l'été, jusqu'à ce que tout fût prêt. Höskuld fit apporter au vaisseau toutes les richesses de Hrut, et Hrut remit aux