La Saga de Njal. Anonyme
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Après cela, Hrut quitta le ting, et sa femme avec lui; et tout alla bien entre eux pendant l'été. Mais quand vint l'hiver, ils n'étaient plus d'accord; et plus le printemps approchait, plus ils s'entendaient mal. Hrut eut encore à faire un voyage aux fjords, pour ses affaires, et il annonça qu'il n'irait point au ting. Unn fit peu de réponse, et Hrut partit, dès qu'il eut fini ses préparatifs.
VII
Le moment du ting approchait. Unn alla trouver Sigmund, fils d'Össur, et lui demanda s'il voulait venir au ting avec elle. Il dit qu'il n'irait pas, si son parent Hrut le trouvait mauvais. «Je t'ai demandé cela, dit-elle, parce que j'ai plus de droits sur toi que sur les autres.» Il répondit: «Je le ferai à une condition; c'est que tu reviendras dans l'Ouest avec moi, et que tu ne diras point de paroles, ni contre moi, ni contre Hrut.» Elle promit.
Quelques temps après, ils partirent pour le ting. Mörd, le père d'Unn, y était. Il fit bon accueil à sa fille et l'invita à demeurer dans sa hutte tant que le ting durerait, ce qu'elle fit. Mörd lui demanda: «Que me diras-tu de Hrut, ton mari?» Elle répondit:--«Certes je dirai du bien de ce vaillant guerrier, tant qu'il est maître de lui-même. Mais un sort a été jeté sur lui, et il me faut parler beaucoup, ou me taire.»
Mörd se tut pendant quelque temps, puis il dit: «Je vois, ma fille, que tu désires que personne que moi ne sache cela. Tu sais que je puis t'aider mieux que qui que ce soit.» Ils s'en allèrent dans un lieu écarté, où personne ne pouvait les entendre, et Mörd dit à sa fille: «Dis-moi tout ce qu'il y a entre vous, et ne crois pas ton malheur plus grand qu'il n'est.» Et elle lui expliqua comme quoi elle et Hrut ne pouvaient pas vivre ensemble, parce qu'on lui avait jeté un sort.
Mörd répondit: «Tu as bien fait de me dire cela. Je vais te donner un conseil qui te sera utile si tu le suis de point en point. Il faut que tu quittes le ting, et que tu rentres chez toi; ton mari sera déjà de retour; il te recevra bien; tu seras douce et complaisante pour lui: il croira qu'il s'est fait un heureux changement; il ne faut pas que tu montres la moindre mauvaise humeur. Mais quand le printemps viendra, tu feras la malade, et tu te mettras au lit. Hrut ne te fera point de questions sur ta maladie, ni de reproches d'aucune sorte; il ordonnera au contraire qu'on te soigne pour le mieux. Puis il partira pour les fjords de l'ouest, et Sigmund avec lui. Il s'occupera de rapporter tous ses biens du pays de l'ouest, et il sera absent tout l'été. Mais toi, au moment où les hommes vont au ting, quand tous ceux qui doivent y aller seront partis, tu te lèveras de ton lit, et tu prendras quelques hommes pour t'accompagner; et quand tu seras prête à partir, tu iras devant ton lit, et avec toi ces hommes que tu auras pris pour t'accompagner. Tu prendras des témoins devant le lit de ton mari, et tu déclareras que tu te sépares de lui par séparation légale, et que tu renouvelleras ta déclaration devant le ting, selon la loi du pays. Tu prendras des témoins une seconde fois, et tu feras une déclaration semblable, devant la porte des hommes. Après cela, tu monteras à cheval, et tu partiras. Tu passeras par les plaines du Laxardal, et par celles de Holtavörd, (car on te cherchera du côté du Hrutafjord) et tu chevaucheras sans t'arrêter jusqu'à ce que tu arrives près de moi. Alors je m'occuperai de ton affaire, et tu ne retomberas plus jamais entre les mains de Hrut.»
Elle quitta le ting, et retourna chez elle. Hrut était revenu; il lui fit bon accueil. Elle répondit amicalement, et elle était douce et complaisante avec lui. Ils vécurent en bonne intelligence cet hiver-là. Mais quand vint le printemps, elle fit la malade et se mit au lit. Hrut partit pour les fjords de l'Ouest, donnant ordre de la bien soigner. Quand vint le moment du ting, elle se tint prête, fit en toutes choses comme Mörd lui avait dit, et partit pour le ting. Les gens du canton se mirent à sa poursuite, mais ils ne la trouvèrent pas.
Mörd fit bon accueil à sa fille, et lui demanda si elle avait bien fait suivant ses conseils. «Je n'ai rien oublié» dit-elle. Il alla au tertre de la loi, et déclara Hrut et Unn séparés par séparation légale. Et ce fut pour les gens une nouvelle inattendue. Unn s'en retourna avec son père et ne revint plus jamais dans le pays de l'Ouest.
VIII
Hrut revint chez lui. Il fronça le sourcil très fort quand il sut que sa femme était partie. Il se tint pourtant tranquille et resta chez lui tout l'hiver, sans parler de son affaire à personne.
L'été suivant, il partit pour l'Alting et son frère Höskuld avec lui. Ils avaient beaucoup de monde. En arrivant, il demanda si Mörd Gigja était au ting. On lui dit qu'il y était. Chacun crut qu'ils allaient parler de leur affaire; mais il n'en fut rien.
Un jour, comme les gens étaient venus au tertre de la loi, Mörd prit des témoins, et déclara qu'il réclamait à Hrut le bien de sa fille; et il évaluait ce bien à quatre-vingt-dix cents; il déclara qu'il sommait Hrut d'avoir à lui payer cette somme, sous peine d'une amende de trois marks; il déclara qu'il appelait l'affaire devant le tribunal de district qui devait en connaître selon la loi; et il finit en disant: «Ceci est ma déclaration légale, faite de manière que chacun puisse l'entendre, au tertre de la loi.»
Quand il eut cessé de parler, Hrut répondit: «Tu poursuis cette affaire, qui est celle de ta fille, par avarice et par chicane, tu n'y mets ni bon vouloir, ni aucun sentiment d'amitié. Mais je ne te laisserai pas sans réponse, car ces biens qui sont en ma possession, tu ne les a pas encore entre tes mains. Ma réponse est celle-ci, et j'en prends à témoins tous ceux qui sont au tertre de la loi, et qui peuvent nous entendre: je te défie en combat singulier dans l'île. La dot toute entière sera l'enjeu, j'y ajouterai des biens d'une valeur égale, et celui qui sera le vainqueur aura l'une et l'autre part. Mais si tu ne veux pas combattre contre moi, alors tu perdras tout droit sur les biens que tu réclames.»
Mörd ne répondit rien: il prit conseil de ses amis au sujet du combat. Jörand le Godi lui dit: «Tu n'as pas besoin de nos conseils dans cette affaire; tu sais que si tu combats contre Hrut, tu y perdras à la fois la vie et les biens. Sa cause est bonne: il est fort, et c'est le plus brave des hommes.» Alors Mörd parla, et il dit qu'il ne voulait pas combattre contre Hrut. Il s'éleva une grande clameur et beaucoup de murmures sur le tertre de la loi, et Mörd fut couvert de honte en cette affaire.
Les gens quittèrent le ting, et retournèrent chez eux. Les deux frères, Höskuld et Hrut, s'en allèrent à l'Ouest, vers le Reykjardal. Ils vinrent à Lund, où ils furent les hôtes de Thjostolf, fils de Björn Gullberi, qui demeurait là. Il y avait eu beaucoup de pluie tout le jour, les gens avaient été mouillés, et on avait fait de longs feux dans la salle. Thjostolf, le maître de la maison, était assis entre Höskuld et Hrut. Deux petits garçons jouaient à terre (c'étaient des enfants adoptifs de Thjostolf) et une petite fille jouait avec eux. Ils disaient toutes sortes de sottises, car c'étaient des enfants sans raison. L'un d'eux dit: «Je vais être Mörd, et je vais te sommer de te séparer de ta femme, puisque vous ne pouvez pas vivre ensemble.» L'autre répondit: «Moi je serai Hrut, et je te déclare déchu de tes droits sur la dot, puisque tu ne veux pas te battre avec moi.» Ils répétèrent