La Force. Paul Adam

Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La Force - Paul Adam страница 16

Автор:
Серия:
Издательство:
La Force - Paul Adam

Скачать книгу

et placeront deux vedettes. On interrogera les gens sur l'ennemi.»

      Pied-de-Jacinthe hochait sa vieille tête pour acquiescer. Il continua de maintenir son cheval en équilibre. Les eaux grouillaient autour des quilles de bateaux. De leurs falots, les pontonniers éclairèrent les poutres où l'homme et la bête persévéraient. Le vent était froid. «Alsaciens, à vous!» dit Bernard. Ils s'avancèrent blonds. Les casques ne pouvaient couvrir entièrement ces grands crânes. Les fortes cuisses enflaient leurs culottes de peau; leur carrure emplissait l'habit vert. Ils se tinrent immobiles; et leurs fronts se ridaient pendant le discours de Bernard. «Ulbach, vous interrogerez les habitants de la maison, et vous traduirez leurs paroles au maréchal des logis…» Celui-ci avait de grosses lèvres pâles, des courts favoris de chanvre… Il montra l'ivoire de ses dents pour sourire, lorsque Bernard eut dit: «Strasbourg et Colmar vous confient la réputation de ses patriotes… Allez…»

      Ils entraînèrent, tous trois, les alezans. «À vous, la Flandre! Avancez Corbehem, Flahaut!» Ils étaient gras de bière; avec des mines écarlates, de grands nez. «Allons, boyaux-rouges, réveillez-vous!» Ils tentèrent de rire à cette appellation qu'ils se donnaient entre eux, au pays! «V'là la kermesse, mes p'tiots!…» Ils furent contents, et claquèrent les flancs des bêtes. «Le Parisien! là… Pitouët!—Voilà, mon lieutenant, ça pique!—À votre rang de file. Et pas de bruit. Nous ne sommes pas chez Procope ni à la Régence.—On pose tout de même les pions sur l'échiquier d'Allemagne!—Chut!… Vous, les vignerons; Nondain! » Ils s'approchèrent, sages et silencieux, et continuèrent de lisser avec leurs gants de cuir les poils des montures. Leurs lèvres brunes sentaient le vin. L'un toussait. Bernard s'informa de sa maladie. «C'est la fraîcheur de la caverne où la famille habite. L'été on est en sueur quand on rentre des prairies!—On se réchauffera, Nondain. On fera flamber les fagots bavarois! C'est du bon sapin! Et puis nous retrouverons au Danube les fleurs de la Loire; les lis!—Les lis!» Ils se regardèrent avec de l'espoir.

      «Marius! Ceux de Provence… Approchez les chevaux.» Noirs et les traits mobiles, ils chuchotaient: «En l'an IV, pitchoun, Buonaparté, il a dit à mon parrain: «Marius, sans toi, je ne serais jamais entré à Mantoue…» Et c'était comme le disait le Consul, mon bon! Sans Marius, mon lieutenant, jamais le Consul ne serait entré à Mantoue!»… Bernard les fit taire. Ils s'agitaient, malheureux; ils passèrent sur l'autre bord où l'attente dura. Les Tourangeaux se plaignirent du froid. Les Flamands voulurent boire. Pitouët égaya trop le détachement avec ses calembours. «Silence dans le rang!…» cria Bernard. Les Bretons somnolaient, taciturnes, piqués de rousseur, la figure sale. «Allongez vos étrivières, Tréheuc!… Essuyez votre nez, Yvon, sale cavalier! À vous les Gascons!… Brigadier Cahujac, vos hommes sont tous là?… Oui. Prenez la tête. Vous dépasserez les Alsaciens; et vous reconnaîtrez la route de Mühlenhof, plus loin que la maison… Dragons!»

      Quinze, à la tête de leurs bêtes, ils se raidirent, la tête haute sous le casque, et bombant de mêmes poitrines plastronnées d'amarante, unissant les talons de mêmes bottes à l'écuyère un peu boueuses. Les gants de cuir tenaient les pommeaux de sabre.

      Derrière leur rang et le fleuve, Bernard contempla les feux de bivouac regardant la rive germanique, de toutes les collines, au bord de tous les bois, le long de toutes les routes et des eaux. La Gaule accroupie dans l'ombre, prête à bondir, guettait l'Europe.

      Ce lui donna de l'émotion. Il ne put la contenir: «Soldats, vous foulerez tout à l'heure le sol de l'empire où s'arment les ennemis de la liberté pour rétablir la tyrannie que vos bras ont abattue. À partir de cet instant, vous n'êtes plus des laboureurs, des marchands, des commis, des fils, des époux, des pères. Vous êtes mieux. Je vous vois géants. Chacun est la Nation, la République, la France qui porte au monde la liberté. Agissez donc en héros, et non plus en hommes!… Vive la Nation!»

      Comme d'une seule bouche, ils répétèrent ce cri, en tendant le cou pour grandir.

      Alors, du pont, puis de tous les bivouacs, le même cri propagé jaillit en une clameur immense qui couvrit les voix du fleuve et du vent, qui fit trembler les étoiles.

      La France rugissait; et la clameur finit par un coup de canon qui tonna dans le loin de l'est.

      L'aile droite et le général Lecourbe attaquaient l'Autriche.

       Table des matières

      «POUR L'OFFICIER SUR SCHOPPFHEIM.—Dans le cas que M. le lieutenant Héricourt arrive jusqu'à Schoppfheim, il s'assurera si tous les ponts ont été coupés, si les ennemis ont passé dans le village. Il enverra un sous-officier rendre compte au général Moreau de tout ce qu'il aura appris. Il enverra en même temps le maître de poste ainsi que les lettres et paquets. Jusque cet endroit, il marchera avec précaution. S'il rencontre des partis ennemis, il les sommera, au nom de la République, de se rendre. M. le lieutenant prendra tous les renseignements possibles sur la marche des ennemis, sur leur force et sur la direction qu'ils ont pu tenir. Il aura soin de demander s'ils appartiennent au corps du général Kray. Dans le cas que le lieutenant Héricourt rencontre l'ennemi ou s'il a des renseignements importants, il enverra en toute hâte prévenir le quartier général. Sa reconnaissance sur Schoppfheim étant finie, l'officier viendra rejoindre son régiment, qui se dirige sur Waldschut et Engen.»

      * * * * *

      En relisant cet ordre, Héricourt s'assura qu'il n'avait rien omis de son devoir. Les vingt-cinq dragons étaient réunis hors le bourg traversé. Il ne voulut pas apercevoir les deux volailles pendues par les pattes à l'arçon de Pitouët, ni connaître pourquoi des gens montraient le poing à Marius, en consolant une grosse fille échevelée, débraillée, qui rentrait avec peine dans sa maison. Parmi les sacs juchés en une carriole à deux chevaux, le maître de poste attendait le signal du départ sous la surveillance de Pied-de-Jacinthe, qui rassemblait ses rênes. Nondain toussa. Corbehem à moitié ivre dormait en selle. Yvon et Tréheuc mâchonnèrent du lard cru; leurs mains crasseuses en tenaient les tranches avec le cuir des brides. Les Alsaciens fumaient leurs pipes, rêvaient. Flahaut, les doigts dans la poche de sa culotte, comptait sournoisement des monnaies mal acquises.

      Une brise retroussa les brins épars des crinières pendues aux casques. Bernard ne lâchait pas le papier de l'état-major, couvert d'une écriture lourde dont les éclaboussures tachaient la pâte bleuâtre… «Tu diras, Pied-de-Jacinthe, que, le 7 floréal, dix chevau-légers du général Kray ont poussé jusqu'ici, qu'ils laissent les ponts intacts; que le maître de poste avait caché un sac de dépêches italiennes, que l'ennemi arriva le 7, pour repartir le 8 à trois heures du matin, qu'on n'en a point vu depuis; mais que les têtes de colonnes autrichiennes marchèrent cette nuit-là en vue d'empêcher sans doute le passage du Rhin. Elles ont changé de direction quand les chevau-légers leur eurent signalé nos postes d'infanterie, sur la rive droite.» Pied-de-Jacinthe compta sur ses doigts le nombre de choses à retenir.

      Comme des plis pénibles se formaient au front du vieux soldat, Bernard crut préférable d'écrire. Dans son calepin, présent d'Aurélie, il gardait une plume d'oie court taillée, une fiole d'encre plate sous étui de maroquin. Il rédigea sa lettre contre le bois d'une porte, avant de se remettre en selle. Il y apporta du soin, car il voulait obtenir que Moreau le prît à l'état-major. À cause d'influences que Buonaparté faisait agir dans le dessein d'imposer au général ses créatures de l'armée d'Italie, Moreau avait prescrit à Bernard Héricourt de garder son rang à la brigade. Néanmoins il lui confiait la mission précise de reconnaître le pays à l'extrême gauche du corps central et d'adresser directement ses rapports au chef de l'armée. Fâché de cela, Bernard avait fini par comprendre que son colonel averti lui laisserait

Скачать книгу