La Force. Paul Adam

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La Force - Paul Adam

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Or, un cadet de Bergerac, qui avait le meilleur cheval, parvint au flanc. Son barbe, entraîné par l'exemple, rivalisait, les naseaux sur la croupe de son émule hongrois. «Cadet, cria Cahujac Hardi!» Alors le cadet présenta le casque au coup probable du chevau-léger. Soucieux de ne pas abîmer l'animal de prise, il ne frappait point, le sabre prêt à la parade. Ce fut un instant de course passionnante. Les joues du cadet se colorèrent. Il rit presque; car, le fugitif occupé surtout de sa vitesse, et redoutant les représailles de quatre hommes qu'il entendait le rejoindre, ne menaçait plus. Soudain, par-delà les arbres, on reconnut les crinières et les carabines d'autres dragons. Le chevau-léger leva la main, jeta son sabre et tira les rênes. Il se rendit au cadet de Bergerac, qui, le feu sur les joues, les yeux joyeux, criait à tue-tête: «Je l'ai! je l'ai!»

      Marius était là, entre des Marseillais. L'on arriva sur le chemin.

      «Troun de l'air! Mon garçon, tu tireras bien trente écus de la bête, et l'homme te vaut les galons.»

      Chacun souffla. Les chevaux écumaient. Les figures saignaient, à cause des épines et des ramilles qui avaient fouetté les visages des coureurs. Blond et gras, le chevau-léger ne parut point autrement contrit.

      «Malin! lui dit Marius, tu ne risqueras plus ta peau avant la fin de la guerre. On va l'envoyer au chaud.»

      L'Autrichien ne comprit pas. Il déboucha sa gourde et offrit du geste aux dragons, avec un bon rire.

      Au retour, ils virent l'ennemi mort, toujours suspendu par sa lance à l'arbre. Le sang de la bouche béante rougissait le drap vert d'une manche. Sans faire chanceler le cadavre en selle, le cheval broutait les jeunes pousses de l'arbre. On retrouva débarrassé de son habit, de son casque, assis à terre, le dragon atteint. De lourdes larmes ruisselaient au long de sa figure adolescente. Il fermait la plaie avec ses doigts. On déchira sa chemise pour un bandage; on le hissa sur la bête. Après on repartit au pas. Cahujac et le cadet coururent devant, le prisonnier entre eux. De lui, Bernard sut que la ville était pleine de troupes dissimulées dans les jardins et la promenade publique. Presque aussitôt, le soleil pénétra l'ombre qui, dans le bas du val, obscurcissait les verdures. Il éclaira les feuilles. Il dora la terre. Il étincela contre des métaux alignés. Héricourt dut admettre que c'étaient les fusils des soldats en bataille. Heureusement, Marius avait rétabli le contact de l'escadron qui arrivait au trot.

      En tête galopaient le colonel et ses officiers. Suivi du prisonnier, Bernard Héricourt fut au-devant d'eux. Son orgueil craignit un blâme du supérieur, gros homme de quarante-cinq ans, jadis écuyer du duc de Luxembourg, et qui, lors du 10 juin, avait conduit les sans-culottes à l'hôtel de son maître, afin d'y recueillir la correspondance. La Convention l'avait récompensé en le nommant officier de remonte. Il avait gagné ses grades ensuite dans les Flandres et dans les Hollandes, en sabrant. Il lisait à peine. Sa haine des royalistes lui avait valu de la faveur, non moins que sa bravoure contre leurs alliés.

      —Eh bien! Monsieur, cria-t-il de loin. Et il frappait sa cuisse de son gant lourd.

      Le lieutenant parla.

      —Plus haut, Monsieur! Plus haut! Je n'entends rien!…

      Bernard haussa la voix fièrement.

      —Bien… Bien! dit le gros homme. D'ailleurs, vous êtes, je pense, plus que moi le maître du régiment. Que devons-nous faire?

      —Mon colonel…

      —Moi, je chargerais cette canaille…

      Il désigna la ville encaissée dans le ravin, au bas des pentes. Bernard tenta de l'éclairer sur la folie d'une telle manœuvre.

      —Monsieur, je dois toucher aujourd'hui la droite du général Gouvion Saint-Cyr. Je connais mes ordres, s'il vous plaît. Cette bicoque fait obstacle. Il faut l'enlever.

      —Notre prisonnier appartient au petit corps qui défendait avant-hier le passage de l'Alb. Ce corps a usé d'artillerie.

      —Monsieur… Je me f… de leur artillerie, moi! Il est une heure. Avant cinq heures, je dois avoir pris contact avec les flanqueurs du général Gouvion Saint-Cyr. À deux heures, nous déboucherons de la vallée, au nord. Capitaine, va reconnaître le terrain. Le régiment marchera en colonnes, par pelotons… Une fois en bas… On se formera en bataille devant ces prés, où tu aperçois de l'infanterie… Monsieur, rejoignez votre escadron.

      La fureur gonflait les veines de sa face rouge. À la fin des phrases, il claquait la culotte de peau enveloppant sa large cuisse.

      Bernard Héricourt revint jusque son peloton et transmit le commandement à Pied-de-Jacinthe. Pourquoi le colonel le haïssait-il?

      Ce fut un moment pénible. Il se crut abandonné du monde, et le désastre envelopperait, en outre, son régiment. Mourrait-il? Irait-il, captif, périr d'ennui dans une forteresse des monts Carpathes, après les marchés indéfinies sous les quolibets allemands des villageois. Et ses hommes, de quelle façon le jugeraient-ils, ayant écouté les paroles du colonel qui, pour un peu, eussent qualifié de couardise la prudence. Héricourt n'osa plus voir ses Gascons, ni leurs figures égratignées, ni ce blessé pâlissant entre ses cravates de toiles rougies, à chaque pas de sa monture.

      L'esprit du lieutenant ricanait, ironique envers soi: Aurélie était le sentiment! Zulma, l'amour! Bonaparte, la gloire!… Pitouët injuria «le nouveau Cromwell», dans le discours tenu à sa jument jacobine. La gloire qui allait finir dans la défaite du régiment éclairé par leurs soins! Le caractère!… Scipion! Marius! César! Les aigles! Où sa grandeur en cet instant? Il s'interrogea. Sa grandeur était de subir le sort, résigné, sans murmure, sans violence. Il se vit comme une ruine que les vents assaillent. Et dans cette ruine, un barde solitaire touchait la harpe en chantant la magnificence de sa faiblesse.

      Néanmoins le colonel, cette brute, n'avait point lu trois des livres qui enseignent la guerre. Quelques bassesses et des trahisons civiles l'imposaient comme chef à Bernard Héricourt, qui portait en soi la faculté de vaincre. Proclamer aux soldats l'injustice, les prendre à témoin, supprimer l'imbécile, et préparer, en dépit de tout, la victoire de la Nation!… Il méprisa la nuque épaisse de l'ancien postillon et ses gestes d'écurie. Il se surprit à frapper du poing son cheval pour une désobéissance futile. Enfoncer sa lame dans cette nuque épaisse, débordant le col écarlate de l'uniforme… ah!

      La colonne suivait un chemin à travers bois. La poussière montait du sol, saupoudrait les habits verts, le poil des montures, le cirage des bottes. Le silence des hommes devint solennel. Chacun, à part soi, appréhendait la peur prochaine du combat. Aux cimiers trop droits, aux crinières trop raides, à l'attention qui évitait toute faute minime dans la conduite des bêtes, Bernard devina cette angoisse contenue. Les soldats réunissaient le total des chances possibles en exécutant avec scrupule les prescriptions réglementaires. Ils rectifiaient l'emmêlement des brides. Ils lâchaient aussi le bouton de veste qui gênerait l'aise. Plusieurs raccourcissaient les étrivières, afin de sentir l'étrier comme un piédestal solide pour le geste de mort. Les Gascons seuls bavardaient encore, cherchaient à voir par le travers des files le bout de la route et le hasard. Les Alsaciens tâchaient de grandir en se redressant. Ceux de Marseille au contraire se ramassaient, déjà prudents, à l'abri des encolures. De toute l'inquiétude de leur œil bleuâtre, les Bretons questionnaient les figures des chefs, des camarades, comme si l'on pouvait leur dire le sort. Froids, les Flamands s'assuraient de leur assiette en selle et prenaient une attitude de colère grave. Les Tourangeaux essayaient de ne rien connaître, la tête basse, les yeux clos, déjà prêts à s'endormir du sommeil définitif tout accepté. Bon chien de troupeau, Pied-de-Jacinthe

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