La Force. Paul Adam
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—Haalte!…
Dix secondes encore les bêtes résistèrent au mors, et puis se fixèrent en soufflant.
Alors Bernard se vit à la gauche de la ligne. Devant lui grandissaient les schapskas écarlates des chevau-légers, dominant leurs montures au galop, et dardant la flamme jaune des lances. Les voix commandèrent. Bernard répétant les ordres, tâchait de se rendre compte. Son escadron protégeait la charge des deux régiments contre l'attaque en flanc des chevau-légers. Les carabines des hommes sautèrent dans leurs mains. Les chiens craquèrent.
—Visons bien, ou tant pis pour l'omelette. Les œufs vont casser, recommanda Pied-de-Jacinthe.
De fait, deux escadrons accouraient sur le leur, et manœuvrèrent pour déborder. Il fallut se disperser en fourrageurs, afin d'étendre la ligne. Un peloton alla former soutien en arrière… «Ils perceront tout de suite,» craignit Bernard. Mal commandé, l'ennemi ralentit sa hâte, hésita, dans le but unique d'envelopper la droite de l'escadron et de courir sus à la charge. Mais on entendit la voix grêle du petit général. Son cheval blanc trottait large. Il cria. Les capitaines répétèrent son commandement, et l'escadron se trouva divisé en groupes, qui, la carabine armée, présentèrent quatre échelons successifs à franchir. Sans essuyer de feux croisés, il était impossible de s'immiscer entre eux. Alors, selon que les chevau-légers remontant la pente tentaient l'attaque de la droite, à l'ouest, ou que, la descendant, ils tentaient celle de la gauche, à l'est, le petit général conduisait les marches et les contre-marches des pelotons, en telle sorte que partout l'effort des chevau-légers rencontra la quadruple perspective d'obstacles humains. Leurs chefs n'eurent pas l'audace de charger le front. Dès qu'ils voyaient les pelotons français mettre en joue, ils changeaient de manœuvres; et ce fut une sorte de jeu d'échecs où les cavaliers des deux partis occupaient alternativement les cases sur l'étendue verte de l'emblavure.
Bernard laissa toute angoisse. Déjà les Gascons près de lui souriaient aux ordres déplaçant leur ligne, détournant leur marche, fixant leur front, doublant les files, les dédoublant, les portant à droite, à gauche, en avant, puis en arrière. Les Alsaciens s'énervaient un peu. Pitouët eut voulu connaître ce qui se passait vers la ville où roulait le tonnerre du canon et crépitait la fusillade. En arrière, des bouquets de buissons et un pli de terrain cachaient l'est. Sur les figures des Bretons, l'assurance aussi reparut. L'escarmouche devenait amusante. Il sembla que l'on fût en une prairie délicieuse, pour une parade au carrousel. Les deux partis rivalisaient de promptitude et d'adresse. Cependant les dragons constatèrent qu'ils battaient en retraite. Peu à peu ils se rapprochaient des buissons les séparant de la ville. «On recule, grognèrent les Alsaciens.» Bernard observa que les montures des chevau-légers avaient les paturons poilus. Il distingua la couleur des favoris, le dessin des plaques de cuivre sur les schapskas, les bandoulières blanches, les aiguillettes, les parements amarante, la figure vieille, d'un officier et sa haute bête rousse; cette figure vociféra sous une lame brandie; la bête rousse s'enleva, tendit le cou, grandit aussitôt rapprochée par un galop que suivait le galop de cent chevaux, dont les crinières secouées voilèrent cent rictus attentifs sous les schapskas écarlates.
—Halte! commanda le petit général.
—Joue, cria Bernard… et il attendit la meilleure portée.
Vingt-quatre carabines restèrent horizontales sous les casques inclinés. Les sabres nus pendaient par la dragonne aux poings. Les chevaux soufflèrent en s'ébrouant. Les faits se substituèrent aux réflexions; ils apparurent dans le geste du vieil officier autrichien, assurant les rênes en sa main, dans les lueurs des boutons de cuivre aux plastrons amarante, dans les mouvements des lances basses et de leurs banderoles.
Seul, un chien claqua, celui de Pitouët, puis un, celui de Cahujac, ensuite, un à un, ceux des Marseillais. Pied-de-Jacinthe jura plus fort que le bruit.
—Feu! jeta Bernard pour obéir aux premiers tireurs.
Les Alsaciens et les Tourangeaux lâchèrent la salve. Deux montures de chevau-légers s'écroulèrent. Un Gascon lancé par dessus vint tomber contre Ulbach, les mains en avant; puis s'agenouilla pour se relever. Mais à l'ordre, les dragons firent avancer leurs bêtes, et l'homme bousculé par celle d'Ulbach hurla comme un chien que l'on fouette.
Héricourt éperonna. Il n'eut plus le temps de voir le reste de l'escadron. Les soldats, muets, assuraient leurs armes Pitouët cependant tourna la tête et cria de prendre garde, en même temps que de sa lame abattue il souffletait la schapska la plus proche. Un Tourangeau fut couché en arrière sur la croupe de son cheval par une lance dont le bois fléchit. Après, ce fut un trou rouge au corps du dragon beuglant qui battit l'air de ses mains folles. Un tourbillon de diables verts plastronnes d'amarante surgit de partout sur de petits chevaux vifs; les lances passèrent entre les dragons. Les Alsaciens les coupaient par grands coups de taille.
En une seconde, le pays et le ciel disparurent derrière les masques ennemis, leurs narines frémissantes, leurs bouches tordues pour hurler en allemand, la forêt des lances droites qui renforcèrent le passage des lances couchées, qui traversèrent les groupes du peloton, les cris, les ruades, les estocades, les commandements clamés par le vieux Pied-de-Jacinthe, droit sur l'étrier. Bernard les répétait de toute sa force, inconscient. «Dragons, taillez les lances!—Dragons, sabrez les lances!—À toi, Cahujac, derrière!—Crève le cheval, Pitouët! Le cheval!…—Dragons, sabrez les lances.—Dragons, sabrez à droite…—Dragons, sabrez à gauche!—Dragons, taillez les lances!—Ralliement!…» Menace pointue des fers enveloppés de drap jaune. Claques des pistolets. Chocs des chevaux. Et la bride coupe la paume de la main crispée. L'ouragan passe avec ses têtes fantastiques, ses yeux d'épouvante, sous les schapskas ses corps ramassés, derrière la protection des lances immuables…
Bernard n'eut pas le loisir de penser. Vit-il réellement le moulinet magnifique qu'exécutèrent les Gascons, auréolés des lueurs des lames. Admira-t-il la colère calme des Flamands sur leurs bêtes tenues en arrêt, et qui reçurent l'ennemi par de grands gestes de mort haut levés, coupant les épaules vertes, balafrant de l'oreille à la bouche les visages adversaires? Entouré des Alsaciens qui sapaient le milieu des bras gênés par la longueur des lances, Héricourt imagina seulement de crier qu'on ouvrît les rangs pour laisser fuir l'élan du galop, afin qu'on se reformât derrière le passage de l'ennemi. Là était son devoir, l'œuvre de son caractère. Il se contraignit à ne point connaître autre chose de cet instant tumultueux, sauf le péril d'une lance accourue qu'il évita en creusant la hanche, en levant le sabre rabattu tout de même sur une queue de cheveux blonds soudain tranchée, tandis que l'homme, instinctivement rejetait en arrière la tête et serrait ses vertes épaules couvertes d'une rosée sanglante. «Ralliement!» ne cessa de crier Bernard. Vers sa lame haute, les crinières des casques et les caracoles des chevaux s'agrégèrent, se bousculèrent, s'immobilisèrent. «Chargez vos armes!»
Jusque les buissons, déjà, où ils se rassemblaient assez mal, les diables verts poursuivaient leur fuite, qui tournant l'obstacle, qui le sautant, qui arrêtant net sa monture. Leurs blessés glissèrent de selle, pour souffrir étendus.
Tout de suite Bernard voulut rejoindre l'escadron. Il ne l'aperçut pas, il n'entendit plus le canon aussi près: cela tonnait loin. Au-delà du pli de terrain, comme pour atteindre la charge des deux régiments, les chevau-légers se hâtèrent de disparaître, insoucieux de leurs blessés à terre, de leurs camarades démontés qui ressurgirent, épars, dans l'embarras de leurs fourreaux.
Bien que le sang échappé d'une fêlure au sourcil pût interrompre les mots de Pitouët, bien que le Tourangeau percé par la lance continuât de blêmir, la bouche en hoquets, contre terre, les